Gabrielle Rubin
Psychanalyste, diplômée de Psychologie clinique, docteur en
Psychopathologie et
Psychanalyse de l'Université de Paris.
Principaux travaux :
· Trois séances de l'Homme aux rats (thèse de
doctorat)
· Les sources inconscientes de la misogynie
et divers
articles dont :
"La mélancolie de l'Occident"
"OEdipe et droit de
l'homme"
"Eloge de l'hystérie"
"Une civilisation adolescente"
"L'impossible deuil des morts perdues" (éloge des rituels)
"Le bêlement
du tigre" (sadomasochisme et névrose de destinée)
"Champ et limites de la
psychanalyse dans la civilisation"
L'omnipotence du psychanalyste
Un cas
particulier de risque de retour à l'omnipotence infantile m'est apparu comme
exemplaire (peut-être seulement parce que j'ai pu l'étudier de plus près),
c'est celui du psychanalyste.
J'y ai vu une collusion entre la part
omnipotente du patient et la toute-puissance qu'il projette sur son
analyste. Parfois aussi, éventuellement, la réactivation que cette idéalisation
de la part de son patient peut réveiller d'omnipotence infantile
inconsciente chez l'analyste lui-même.
(Cas rare, espérons-le).
[-
J'emploierai plutôt le mot "omnipotence" lorsqu'il s'agira d'un enfant ou de la
partie omnipotente infantile d'un adulte et le mot "toute-puissance" quand
il s'agira du fantasme d'un adulte ou de sa projection.
- L'idéalisation
est un processus psychique par lequel les qualités et la valeur de l'Objet
(d'amour, de haine, d'admiration, etc.) sont exaltées, surestimées et
portées à un paroxysme de perfection ; elle est toujours fortement marquée
de narcissisme.]
Cette situation, si particulière mais si
"expérimentalement pure" qu'est la relation psychanalyste/patient, m'est
apparue comme pouvant être un modèle de ce qui se joue entre un dictateur et
ses fidèles, c'est-à-dire un cas d'identification projective des "sans-pouvoir"
(ou qui se sentent tels) sur le "puissant". C'est cet agglomérat de diverses
omnipotences qui me semble être destiné à devenir presqu'indestructible.
Le psychanalyste n'est heureusement en rien ni dictatorial ni
tout-puissant. mais, à cause de son indispensable fonction de porteur du
transfert qui le met à la place de chacun des parents de la petite enfance,
il est inévitable que le patient le ressente comme tout-puissant. D'où un
certain nombre de dérapages possibles, dont je me propose d'étudier quelques
aspects. Je passerai d'abord, pour ce faire, par l'analyse que nous donne
Freud des liens qui unissent ces "foules organisées" que sont par exemple
l'Eglise ou l'armée, pour mieux comprendre celui qui me semble être à la
fois assez semblable et pourtant différent, qui unit un analyste à son
patient et, au-delà, un dictateur et ses fidèles.
Dans son ouvrage
Psychologie des foules et analyse du moi Freud a étudié les causes qui
assurent la cohésion des foules organisées ; il a retenu pour cela plusieurs
critères dont l'un, l'identification au chef, me semble pouvoir éclairer un
point demeuré encore assez obscur, celui qui permet à un dictateur, au-delà
de sa "foule organisée" (son parti) une extraordinaire emprise sur la
plupart de ses concitoyens.
C'est bien évidemment à travers un cas clinique
que s'est éclairée pour moi une des raisons de cette emprise, qui me semble
s'exercer au moyen d'une des composantes de l'identification dont parle
Freud, et qui concernerait plus spécifiquement une identification à
l'omnipotence infantile du dictateur.
[Je dirai, arrivée à ce point, que ce que l'on appelle
"charisme" me semble avoir son origine dans une omnipotence
restée particulièrement vivace. Cette certitude
intérieure qu'on est forcément le meilleur, puisque
le plus aimé (ou, en contre-investissement, parce qu'on a
été, ou qu'on s'est cru, le mal-aimé), donne une
puissance, une présence, que ressent tout l'entourage. Freud
disait que le fait d'être le préféré de sa
mère est un puissant moteur de réussite. Et en effet,
cela entretient le sentiment d'omnipotence qui sera si utile, plus
tard, pour l'épanouissement d'un être. A condition,
toutefois, de ne pas dépasser les limites. Comme la langue
d'Esope, un sentiment de puissance peut devenir la meilleure ou la pire
des choses.]
Il y a plusieurs façons de comprendre la nature des liens qui
soudent un groupe à son chef, qui ne sont d'ailleurs nullement exclusives
les unes des autres. L'une d'entre elles a été explicitée par Freud dans
l'ouvrage précédemment cité : il s'agit d'un lien libidinal et d'une
identification au chef.
Mon projet est d'étudier une des composantes de
cette identification, c'est-à-dire l'identification d'un patient à la toute
puissance qu'il prête, dans son transfert, à son psychanalyste et de
l'identification projective de son désir d'omnipotence dans l'analyste.
(Dans le cas d'un groupe et de son leader, cette identification projective
va rencontrer un
fragment de la personnalité du leader: son propre fantasme
de toute-puissance, rejeton de son omnipotence infantile).
Cette
dernière forme d'identification, à laquelle il est si difficile de renoncer
pourrait, lorsqu'elle est projetée sur l'analyste, être une des causes qui
empêchent la fin de certaines analyses, comme elle pourrait être aussi une
des causes du soutien qu'apportent "les foules non-organisées" à un
dictateur, alors même que chaque personne prise individuellement sait
obscurément qu'un tel chef ordonne ou autorise des pratiques inacceptables
et mène le pays au désastre.
Florence Bégoin-Guignard écrit :
"Saisissant dans le Je sais bien, mais quand même..., toute la
dimension du problème des limites entre réalité extérieure et réalité psychique,
elle (Mélanie Klein) comprend que le fantasme narcissique est un fantasme de
prise de pouvoir sur tout ou partie d'un objet de la réalité extérieure, en
qui le sujet projette son omnipotence et auquel il peut dès lors
s'identifier sur un mode très particulier qui lui évite d'avoir à passer par
le douloureux travail de deuil et de renoncement à l'objet qui mène aux
identifications introjectives post-oedipiennes décrites par Freud."1
Certaines analyses semblent presqu'impossibles à terminer et nous
laissent une impression d'insatisfaction, d'inachèvement, même quand
d'indéniables et souvent d'importants progrès sont pu être constatés.
Nous savons bien évidemment qu'une analyse n'est jamais vraiment finie
et qu'elle devrait tout naturellement se poursuivre par une auto-analyse
mais, cette réalité prise en compte, nous admettons que la plupart des
analyses se terminent de façon satisfaisante et peuvent donc être tenues
pour terminées. Les cures dont je voudrais ici faire état s'interrompent au
contraire sur une demi-réussite ou, suivant l'optimisme plus ou moins grand
des deux partenaires, sur le constat d'un demi-échec ce qui signe, par
définition, l'analyse non-finie.
Il peut même parfois s'agir, dans les cas
extrêmes, des cures de ces patients qui, après avoir été en analyse avec
plusieurs thérapeutes, sont tenus pour inanalysables. Constatation qui est,
à coup sûr, parmi les plus pénibles pour les analystes.
Freud, dans plusieurs de ses textes et tout particulièrement dans
son article "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin"2, s'est longuement
préoccupé des questions qui concernent la fin d'une analyse ; il dit très
justement que s'il est facile de savoir quand une analyse est terminée sur le
plan formel : "L'analyse est terminée quand l'analyste et le patient ne se
rencontrent plus pour l'heure de travail analytique". Il ajoute que
lorsqu'on en est arrivé là, on est bien obligé de se demander si l'analyse a
été menée jusqu'à son point extrême. Plus encore : on doit se demander si ce
"point extrême" peut exister, "comme si l'on pouvait atteindre par l'analyse un
niveau de normalité psychique absolue, auquel on serait aussi en droit de
faire confiance quant à la faculté de se maintenir stable, comme si
d'aventure on avait réussi à lever tous les refoulements survenus et à
remplir toutes les lacunes du souvenir. On interrogera d'abord l'expérience
pour savoir si une telle chose arrive et ensuite la théorie pour savoir si même
c'est possible. "3
A partir de là, la notion de "fin d'analyse"
devient plus floue, plus incertaine et il semble plus raisonnable de parler
d'une analyse menée plus ou moins loin que d'analyse finie ou non-finie.
Il est aussi dès lors plus intéressant et plus fructueux d'essayer
d'éclairer un des innombrables points sur lesquels peut buter ou a buté une
analyse plutôt que de penser l'avoir menée à son terme ultime. Freud écrit
d'ailleurs : "Au lieu d'examiner comment la guérison advient par l'analyse,
ce que je tiens pour suffisamment élucidé, la question devrait être: quels
obstacles se trouvent sur le chemin de la guérison analytique"4. Tandis que
dans sa présentation de l'analyse de "L'homme aux loups", il note que les
analyses menant à une issue favorable sont certes précieuses pour
réconforter l'analyste, mais que les plus instructives sont celles qui
présentent des difficultés importantes pourvu, bien sûr, qu'elles nous
enseignent quelque chose.
Le cas dont il sera ici question et qui
m'a beaucoup aidée à comprendre l'une des raisons pour lesquelles les
citoyens acceptent le dictateur, est celui d'une patiente dont l'analyse s'est
terminée, pour moi plus que pour elle je crois, sur un sentiment d'échec,
d'inachèvement qui, au-delà de la déception professionnelle, m'a amenée à me
poser beaucoup de questions. Questions longtemps restées sans réponse, mais
auxquelles une lettre de ma patiente, plusieurs années après la fin de
l'analyse, m'a semblé apporter un début d'éclaircissement.
Cette
patiente - que j'appellerai Paule - m'écrit une ou deux fois l'an, depuis la fin
de son analyse, pour me donner de ses nouvelles, et c'est pour moi une
grande satisfaction de constater qu'elle continue à faire des progrès grâce
à une auto-analyse dont elle me relate parfois quelques fragments.
C'est
une de ses dernières lettres qui m'a fait brusquement entrevoir la possibilité
de mieux comprendre la raison de mon semi-échec.
Lorsque je l'ai
rencontrée, Paule était une femme d'âge moyen, fine, intelligente et très
cultivée mais qui m'a longtemps semblé faire partie de ceux que Joyce
McDougall5 appelle les anti-analysants en analyse : régularité absolue aux
séances, respect du cadre, capacités intellectuelles indéniables et pourtant
très peu d'insight. Cependant, au bout de longues années, et à la suite de
certaines circonstances, l'analyse prit un autre tour et Paule commença à
s'intéresser de plus en plus vivement à son propre fonctionnement psychique ;
d'importants progrès, tant dans sa vie quotidienne (c'est-à-dire dans sa
capacité à s'accorder ce qui rend la vie agréable et qu'elle se refusait
auparavant) que dans sa vie professionnelle s'en suivirent.
Sa vie
relationnelle restait pourtant relativement limitée mais, à mon sens, sans
conséquences douloureuses, car si sa vie était assez solitaire, elle était
cependant peuplée de multiples activités satisfaisantes : lectures, visites
de musées, voyages, concerts, théâtre, etc. Quelle qu'ait été la part prise
par les traumatismes de l'enfance dans cet amour de la solitude, il ne m'a
pas paru possible de le faire évoluer de façon importante, et il me semble à
présent qu'il faisait tellement partie des couches les plus profondes de sa
personnalité qu'il n'était réellement pas dans son désir et donc ni
souhaitable, ni d'ailleurs dans mes possibilités, de le faire changer.
L'analyse se poursuivait depuis de longues années déjà lorsque je
commençai à percevoir une motivation pulsionnelle si profondément refoulée
qu'elle correspondait presque à une dénégation.
Cette femme,
intelligente et cultivée, dont les principaux centres d'intérêt étaient les
musées, les peintres et la peinture avait longtemps exercé un métier jugé
par elle dévalorisant (et, si l'on tient compte de ses capacités, réellement
inférieur à ses possibilités). L'analyse aidant, elle en avait changé pour
un autre, plus en harmonie avec ses goûts et son amour pour la peinture. Et
pourtant, tout en étant plus satisfaisant, ce métier était, lui aussi, jugé
décevant.
J'avançai donc, durant une séance, l'idée que son désir profond,
inexprimé, interdit, était peut-être de devenir peintre elle-même. Cette
proposition se heurta à un refus total: non seulement pareille idée ne lui
avait jamais traversé l'esprit, non seulement elle ne désirait nullement
devenir peintre, mais encore pareille perspective l'écoeurait positivement.
[Freud : "Un contenu de représentation ou de pensée refoulé peut donc se
frayer la voie jusqu'à la conscience, à condition de se faire nier. La
négation est une manière de prendre connaissance du refoulé, de fait déjà
une suppression du refoulement, mais certes pas une acceptation du refoulé.
"6]
C'est évidemment toute cette énergie mise à refuser ma proposition,
tout autant que son goût pour la peinture et son admiration pour les
peintres, qui me fit penser qu'il s'agissait précisément là d'une
dénégation.
L'analyse se poursuivant, l'idée se frayait cependant peu à peu
un chemin jusqu'au moment où elle parvient à reconnaître que c'était là son
plus cher désir, mais qu'il n'était en aucun cas question qu'elle en arrive
à le mettre en actes.
De longs mois furent encore nécessaires, ainsi qu'un
grand travail d'approche et de multiples interprétations, pour qu'un jour
elle en vint à formuler le fantasme qui se dissimulait sous ses dénégations
: "Je me vois, au sommet d'une colline, assise sur un trône, tenant mon tableau
devant moi, face à la foule des admirateurs qui se pressent d'aussi loin que
porte mon regard jusqu'aux pieds de mon trône. Ils admirent tantôt en
silence tantôt en m'ovationnant. Ce tableau, ce n'est pas un tableau parmi
d'autres, ce n'est même pas un de mes tableaux, c'est LE tableau, le seul,
celui qui est indépassable, la perfection. Et tous, le comprenant, me rendent
hommage."
Ce genre de fantasme est, chez des névrosés, à la fois
parmi les plus énergiquement refoulés et parmi les plus fréquents: on en
trouve le prototype déjà dans l'Ancien Testament : "Or Joseph eut un songe
et il en fit part à ses frères qui le haïrent encore plus. Il leur dit :
"Ecoutez le rêve que j'ai fait: il me paraissait que nous étions à lier des
gerbes dans les champs et voici qu'une gerbe se dressa et qu'elle se tint debout, et vos gerbes
l'entourèrent et elles se prosternèrent devant ma gerbe"... et il eut encore
un autre songe qu'il raconta à ses frères ; il dit : "J'ai encore fait un
rêve : il me paraissait que le soleil, la lune et onze étoiles se
prosternaient devant moi" (Genèse, Histoire de Joseph).
Pour ma
patiente, ce n'étaient point les gerbes, le soleil, la lune ou les étoiles qui
se prosternaient devant son tableau mais le peuple, innombrable. C'était
toutefois le même genre de songe omnipotent.
Ce fantasme fut repris
en de très nombreuses séances, travaillé, perlaboré, retourné en tous sens,
moi-même m'efforçant de lui montrer que c'était précisément lui qui l'empêchait
de se réaliser comme peintre. En effet comme chaque chercheur et chaque
artiste qu'il soit peintre, écrivain, compositeur, etc. le sait bien,
l'oeuvre est faite de "99 % de transpiration et de 1 % d'inspiration". Par
conséquent, l'idée de remettre "l'ouvrage cent fois sur le métier", le fait de
reconnaître la difficulté de la tâche et donc sa propre insuffisance par
rapport à elle, tout en s'efforçant de travailler, de prendre de la peine,
de recommencer et recommencer encore avec pour toute certitude celle que,
même réussie, l'oeuvre sera imparfaite, cette idée là est antagonique avec
l'idée omnipotente qui lui permettait fantasmatiquement de créer, du premier
coup et sans peine, l'oeuvre parfaite finie.
Les fantasmes omnipotents
et ce type de l'oeuvre à créer me semblent être dans le même rapport que des
vases communicants : plus le fantasme omnipotent est fort et moins les
difficultés de la création sont acceptées par le sujet. Il est clair, en
effet que, comparée à l'oeuvre parfaite, magiquement engendrée par un
fantasme de toute puissance, n'importe quelle oeuvre humaine, aussi réussie
soit-elle, apparaît comme radicalement inférieure, comme désespérément et
radicalement décevante. Si toutefois le fantasme perd de sa puissance, la
possibilité de créer, ou au moins d'agir dans ce sens, augmentera d'autant.
Ces fantasmes viennent donc "bloquer" l'évolution normale du complexe
d'OEdipe qui, même si elle n'aboutit jamais à une résolution totale, n'en
permet pas moins au sujet d'accepter sa castration symbolique.
[Un autre
exemple de fantasme omnipotent qui est dans une relation de "vases communicants"
avec celui de totale impuissance vient de m'être fourni par une patiente :
devenue amoureuse d'un autre homme elle se désole de ne pouvoir quitter son
mari : celui-ci n'est pourtant nullement satisfaisant mais, malgré tous les
griefs qu'elle peut avoir contre lui, elle se sent incapable de refaire sa
vie, parce qu'un terrible sentiment de culpabilité l'en empêche : elle se
vit comme "quelqu'un de vraiment moche" une traîtresse, sans morale et qui,
même dans son travail, ne vaut rien : "minable, c'est tout ce que je suis",
etc.
Or, le fantasme omnipotent qui se cachait derrière cette dépréciation
d'elle-même et l'empêchait de se libérer de liens devenus des chaînes
c'était, très soigneusement refoulée, l'idée que "le pauvre homme" (qui
avait une trentaine d'années et l'avait déjà abondamment trompée) lui serait
fidèle lui jusqu'à la fin de ses jours. Elle lui était donc indispensable et
préférait gâcher sa vie plutôt que de renoncer à ce fantasme omnipotent.
Mais ce fantasme, auquel il lui était déjà difficile de renoncer, était
encore renforcé par son entrée en collusion avec l'idée, qu'elle projetait
sur moi, de ma toute-puissance (puisque, disait-elle, "vous seule pouvez me
sortir d'une pareille situation"). On voit donc clairement ici comment le
transfert qu'il soit amoureux ou omnipotent peut, comme nous l'enseigne
Freud, s'inverser et, de meilleur allié de la cure, devenir son pire ennemi.
De même, le transfert sur un bon leader, qui permet à une famille de rester
unie, à une entreprise de bien fonctionner ou à une nation de prospérer,
peut brusquement s'inverser et, de meilleur atout, devenir cause de désastres. Il y a hélas assez
d'épisodes historiques, passés et présents, qui nous montrent où conduit la
collusion d'un peuple avec un chef omnipotent.]
Il me faut maintenant
essayer de mieux cerner ce que signifient les mots "omnipotence" et
"castration symbolique".
L'omnipotence semble bien avoir été définie en
premier par Ferenczi ; en effet, comme le fait remarquer Michèle Bertrand7
dans son très intéressant article : "Toute-puissance et faute originaire":
"Pour Freud, dans la toute-puissance des pensées, ce qui est au premier plan,
c'est l'ambivalence avec les pulsions hostiles destructrices. Alors que chez
Ferenczi, ce qui est au premier plan, c'est le paradis perdu de la première
enfance ou, mieux, la vie du foetus dans le corps maternel. La vie
intra-utérine est cet état du développement humain qui réalise l'idéal d'un
être soumis au seul principe de plaisir. Si l'être humain a une vie psychique,
même inconsciente, dans le corps maternel, il doit éprouver l'impression
d'être tout-puissant. Car qu'est-ce que la toute-puissance ? L'impression
d'avoir tout ce qu'on veut et n'avoir plus rien à désirer".
On voit très
bien là par quel mécanisme Paule refusait la satisfaction de ses désirs dans la
réalité extérieure, mais aussi combien ce fantasme d'omnipotence est
destructeur car, à l'extrême, c'est aussi celui de l'autiste. Nous en avons
d'ailleurs si fortement l'intuition que nous pensons que Dieu, le
Tout-Puissant par excellence, a désiré créer un être en dehors de lui, et
l'a doté d'un libre-arbitre.
L'acceptation de la "castration
symbolique", que je tiens pour la reconnaissance de notre non-omnipotence,
est un renoncement du même ordre que l'abandon de l'omnipotence infantile,
mais qui se situe à un autre moment, plus tardif, du développement de
l'enfant ; il se situe aussi, au niveau topique, dans une instance
différente ; l'omnipotence, très archaïque, subit un refoulement profond et,
de ce fait, est toujours plus ou moins prête à ressurgir en symptômes.
La
castration symbolique, au contraire, est - plus ou moins - reconnue par le moi :
c'est le
renoncement qui nous permet de nous accepter comme imparfaits, qui
nous permet d'abandonner - plus ou moins - la pensée magique et la
toute-puissance des pensées.
C'est aussi, on le voit matérialisé dans la
circoncision, l'abandon de la toute-puissance par le renoncement au fantasme
de posséder tous les sexes. Groddeck écrit: "Le prépuce est retranché pour
éliminer tout trait féminin de l'insigne de la masculinité"8 et Jean Laplanche
: "Ce qui est enlevé dans la circoncision, loin d'être une partie prise pour
le tout (partie du pénis pour le pénis dans son entier) devrait être
considéré comme le symbole d'un fourreau du gland (ce qu'il est
effectivement, physiologiquement) donc d'une partie féminine, d'une partie
vaginale. Si bien que la circoncision, loin d'être l'ablation d'une partie
de l'organe mâle serait, au contraire, confirmation du sujet dans son sexe
biologique, par suppression d'une espèce de reliquat féminin"9. Freud :
"C'est, dans les deux cas, (homme et femme) ce qui concerne le sexe opposé
qui succombe au refoulement"10. Et Groddeck : "De même que le pénis est fendu
(dans la subincision) pour donner à l'homme la partie sexuelle féminine, de
même le prépuce est retranché pour éliminer tout trait féminin de l'insigne
de la masculinité"11.
Bettelheim, dans son livre sur les blessures
symboliques12
écrit : Nunberg introduit son sujet en affirmant le lien
établi par la psychanalyse entre la circoncision et la
castration. Il déclare que "l'étude des rites de
puberté chez les primitifs apporte la preuve que la circoncision
représente une castration symbolique, sa motivation sous-jacente
étant la prévention de l'inceste" Or, ajoute Bettelheim,
cette relation n'est pas directement établie, encore moins
prouvée. Et il a certes raison s'il pense à un inceste
mis en acte, mais non si l'on donne au concept "inceste" son sens de
rapport fusionne! mère/enfant, de retour fantasmatique dans le
ventre maternel, qui est le modèle de tout fantasme
d'omnipotence. Par la circoncision on éliminerait donc non
seulement la partie féminine du garçon mais aussi le
symbole, demeuré dans le corps, du ventre maternel.
Une autre représentation de ce
même fantasme d'un être total et parfait nous est proposée par Platon
lorsqu'il nous raconte, avec un regret infini, que les dieux ont coupé en deux
les humains parce qu'ils étaient jaloux du bonheur parfait que leur
procurait leur complétude fusionnelle. Pour ce philosophe, dont on connaît
les goûts, la perfection était représentée par la fusion de deux mâles (la
fusion homme/femme, comportant encore un élément masculin, était certes
inférieure, mais encore acceptable, tandis que la conjonction de deux femmes
était définitivement désastreuse). Je crois qu'on peut tout de même admettre
que le désir platonicien de fusion de deux hommes fait référence, cachée
sous le désir homosexuel, à l'union du bébé avec une mère au pénis.
Il
va sans dire que la fusion mère/bébé inceste psychique loin de mener au
bonheur et à la toute-puissance mène, tout au contraire, à l'impuissance ou
à la psychose.
On peut donc dire qu'en renonçant à l'omnipotence infantile
on renonce à la fusion avec la mère parfaite du fantasme, de même qu'en
acceptant sa castration symbolique on renonce à la toute puissance phallique
ce qui, du même coup, ouvre la voie vers une puissance certes limitée mais
réelle, je veux dire celle qui s'inscrit dans la réalité extérieure.
Dans son ouvrage Le désir de former, René Kaes écrit : "La marque
de la castration symbolique, c'est-à-dire le renoncement au désir infantile
de toute-puissance, garantit le formateur et l'être en formation contre
l'angoisse ultérieure de la castration imaginaire, c'est-à-dire la
représentation fantasmée de la réalisation de la menace d'émasculation"13.
Je reprends ici l'étude du fantasme omnipotent de Paule et l'obstacle
qui a empêché de mener l'analyse jusqu'à son terme. Lui ayant interprété ce
fantasme plusieurs fois et par des points d'approche différents, lui ayant
montré comment ce fantasme omnipotent l'empêchait d'aborder la peinture,
avec ce qu'elle comporte de difficultés mais aussi avec les satisfactions
qu'elle procure, je pensais que Paule, comme il m'était arrivé jusque là
avec d'autres patients dans des circonstances semblables, allait faire
porter une partie de son travail psychique sur l'élaboration de ce fantasme,
puisque c'était lui qui l'empêchait de prendre conscience de son désir.
Il n'en fut rien, et c'est avec beaucoup de surprise que je l'entendis
déclarer calmement qu'elle n'avait rien à faire de la peinture en tant que
"réalité ayant prise sur l'extérieur" puisque ses fantasmes étaient bien
plus beaux que n'importe quelle réalité.
A partir de là et pendant quelques
mois, certaines séances ou partie de séances furent consacrées à
l'interprétation de cette résistance.
Rien n'y fit, et c'est moi, alors, qui
dus reconnaître mon impuissance devant cette omnipotence fermement et
tranquillement revendiquée.
La vie quotidienne de ma patiente étant devenue
agréable et Paule s'affirmant comme définitivement décidée à ne pas renoncer
à son fantasme, j'acceptai, sur sa demande, que nous mettions fin à cette
analyse non-finie.
[Henri Danon-Boileau : "Le fantasme représente une forme
d'accomplissement de désir. II en va ainsi pour les fantasmes de
toute-puissance; mais souvent on peut observer que ce fantasme, dans le
temps même où il remplit ce rôle, entraîne l'annulation du désir qui le
motive. Tout se passe alors comme si le "fantasmeur" devait s'administrer la
preuve que son fantasme de toute-puissance répond à un désir destiné à ne
jamais se réaliser, ce qui prend valeur de réassurance narcissique. "Pour
cet auteur, c'est la destructivité de ces fantasmes de toute-puissance qui
crée l'angoisse et inhibe leur réalisation, notamment dans les cas de
création artistique. Il écrit : "Si la création signifie la réalisation
concrète du fantasme de toute-puissance, l'artiste risque de se sentir, à
cet instant, à la merci de son propre pouvoir (et vouloir), libre de donner
vie à ses fantasmes les plus interdits et les plus angoissants. L'inhibition
de la création combat l'angoisse déchaînée par l'oeuvre d'art, instrument du
fantasme de toute-puissance"14.]
Je fus, je dois le dire,
extrêmement déconcertée par le choix de Paule parce qu'il était pris en
pleine connaissance de cause. Elle acceptait toutes les limitations que lui
imposait son fantasme ne jamais réaliser son désir de peindre (pour ne pas
avoir de démenti) n'avoir ni compagnon ni ami(e)s (qui eût été à la hauteur,
quel être n'aurait fini par briser son rêve ?), garder son travail actuel,
certes plus intéressant que le précédent mais quand même insatisfaisant,
elle acceptait tous ces renoncements plutôt que de leur sacrifier sa
toute-puissance fantasmatique.
Or, lorsqu'on interprète son fantasme
omnipotent à un patient, celui-ci, en règle générale et comme déjà dit, mis
dans l'obligation de choisir entre l'actualisation de son désir dans la
réalité extérieure et une réalisation hallucinatoire de désir, choisit la
première option. Ceci ne va jamais sans une élaboration longue et
douloureuse, sûrement jamais complète, tant il nous est difficile
d'abandonner l'idée de perfection totale et obtenue sans peine. Un tel abandon
implique en effet lui-même le renoncement à la mère parfaite,
toute-puissante et au sein inépuisable des premiers mois.
Renoncement
pourtant indispensable puisque seul il permet de continuer le travail de
résolution du complexe d'OEdipe et donc le travail d'analyse et que seul
aussi il peut nous permettre de concrétiser notre vrai désir. Autrement dit,
c'est ce renoncement qui nous conduit à accepter de remplacer le principe de
plaisir par le principe de réalité.
J'en étais donc là, ayant dû mettre
fin à une analyse que je considérait comme non-finie et dans une grande
incompréhension des causes de mon échec; lorsque une lettre de ma patiente
vint "éclairer ma lanterne". Après m'avoir donné de ses nouvelles, elle
m'informait qu'elle avait fortuitement appris que je n'avais pas pu réaliser
un de mes projets ; elle regrettait, pour moi, cet incident mais surtout, et
c'est cela qui a retenu mon attention, elle marquait sa stupéfaction :
"Comment, vous? Vous, subir un échec ? Mais c'est impensable!"
Et c'est
cette impossibilité à me voir comme non omnipotente qui m'a fait saisir la cause
de mon incapacité à mener son analyse à bonne fin : j'avais bien interprété
- et à combien de reprises ! - son omnipotence infantile, mais je n'avais
pas su voir que cette omnipotence était indestructible parce qu'elle était
en collusion avec celle qu'elle projetait fantasmatiquement sur moi. Il me
semble désormais clair que si l'on n'arrive pas à réduire notablement le
fantasme de la toute-puissance supposée de l'analyste, il n'y a guère
d'espoir, avec des patients eux-mêmes dotés d'une forte omnipotence
infantile, de parvenir à ce qui m'apparaît comme une des conquêtes
indispensables d'une analyse terminée : l'abandon, dans toute la mesure du
possible de l'omnipotence.
Mon échec en cette circonstance m'a été d'autant plus pénible
à constater que j'étais persuadée de n'avoir pas abusé de ma position de
toute-puissance analytique. Celle-ci est en effet inévitable et même
indispensable dans la première partie d'une analyse, durant laquelle le
transfert doit pouvoir se déployer librement et totalement pour permettre
l'identification introjective à un analyste aussi tout-puissant que le
furent les premiers Objets la mère d'abord, puis le père du patient.
Mais à cela doit succéder une position de non-omnipotence de l'analyste
qui se traduit, à mon sens, par un certain nombre de façons d'être qui nous
ont toutes été données par Freud. La plus évidente est naturellement un
respect scrupuleux du cadre, car il s'agit là de la première indication ,
silencieuse, du fait que l'analyste, tout comme le patient lui-même, doit obéir
à une instance supérieure. L'analyste représente la Loi, il ne fait pas la
Loi Au-dessus de lui, comme au-dessus de l'analysant, comme au-dessus de
chaque être, il y a la Loi (ici représentée par le cadre), à laquelle tous
doivent se soumettre.
[C'est une des raisons majeures pour laquelle les
séances à durée variable et décidée par le seul analyste sont si
dangereuses: elles induisent la toute-puissance de l'analyste, prétention
qui s'inscrit d'autant plus profondément dans le psychisme du patient
qu'elle n'est pas verbalisée et qu'il n'y a donc pas ce correctif que serait
la mise en phrases. Celles-ci, en effet, s'inscrivant le plus souvent dans
le processus secondaire15 sont davantage susceptibles d'être élaborées.]
Une autre possibilité de signifier sa non-omnipotence est la parole,
justement pour cette même raison son inscription dans le système
secondaire. Qu'on m'entende : il ne s'agit évidemment pas de parler
d'abondance au lieu de laisser se déployer les associations de l'analysant. Mais
le silence de l'analyste n'est pas toujours perçu de la même façon : il est
accueil de la parole de l'autre, attention, écoute. Mais il est d'autres cas
où le silence est ressenti comme une terrible prise de pouvoir ; vécu comme
énigmatique, le silence d'un être déjà "intronisé" comme infiniment
supérieur et sur lequel on n'a même pas l'emprise du regard16 ne peut que
rappeler le silence terrifiant de la mère indifférente, absente ou encore de
la mère morte, perdue à jamais. Beaucoup d'enfants préfèrent n'importe
quelle punition au : "je ne te parle plus" et souvenons-nous aussi du
désespoir des mystiques lorsqu'ils sont parfois soudain confrontés au
"silence de Dieu".
La parole de l'analyste le place, au contraire, en
position de risque (donc de possible castration), puisqu'il s'adresse à son
patient d'égal à égal ; non au niveau du savoir, mais à celui d'un médium
le langage, avec toutes ses règles vis-à-vis duquel ils sont dans un
rapport à peu près identique ; le silence, où même une parole avare et
réduite à quelques...
mmm... ou à de trop brèves interprétations (parfois un seul mot,
parfois même la reprise,
agrémentée d'un "?" du dernier mot prononcé par le
patient) met au contraire l'analyste dans la position de Dieu, qui comme on
sait, parle peu mais est tout-puissant.
Le presque-silence de l'analyste
(et plus encore un silence total), crée une distance parfois nécessaire mais
parfois aussi créatrice d'idéalisation de l'analyste ; les deux issues de cette
distance sont indispensables, mais elles sont à utiliser à des moments
différents et, autant que possible, avec discernement. Il n'est donc pas
question, encore une fois, ni de parler inconsidérément, ni de ne pas
utiliser les "hum ?", ni de se priver de la simple reprise d'un mot qui est
apparu comme significatif, mais il s'agit d'offrir parfois au patient une
interprétation plus explicite, voire même de lui donner ce qu'il faut de
théorie.
Freud faisait ainsi : il expliquait au patient comment
fonctionne le psychisme humain, et donc le sien propre. Il l'écrit
clairement et en plusieurs occasions, lorsqu'il relate ses analyses. Dans
"Dora", par exemple il explique longuement, après l'avoir compris, que les
images d'un des rêves de la patiente se rapportaient, en réalité, à des
représentations symboliques d'organes génitaux; il ajoute : "Je communiquai
mes conclusions à Dora"17. Il est bien clair qu'il a dû donner à Dora tout
son cheminement : lui dire simplement: "La gare, le cimetière, la forêt de
votre rêve sont des représentations d'organes génitaux" n'auraient eu aucune
force de conviction pour la patiente ou alors cette conviction n'aurait pas
été une adhésion véritable, mais le fait d'une croyance aveugle dans la
toute-puissance du psychanalyste, semblable à l'inébranlable certitude que
donne la suggestion hypnotique.
On retrouve partout les traces de ces
explications que Freud donnait à ses patients : dans "L'homme aux rats":
"Cette notion de résistance, je la lui avais communiquée au début de la
séance..."18 après quoi il lui explique la "différence entre conscient et
inconscient ; usure du conscient et inaltérabilité de l'inconscient.
J'attire son attention sur les objets antiques de mon bureau et dont
l'ensevelissement conditionne la conservation..., etc." et, plus précis encore :
"Après ces paroles prononcées avec une vigueur accrue, je crois nécessaire
de lui donner un fragment de théorie. La théorie affirme que, puisque toute
angoisse correspond à un ancien souhait refoulé..., etc."
Ces citations
sont extraites de "L'homme aux rats, journal d'une analyse" ; mais on les
retrouve formulés exactement de la même façon dans le cas publié par Freud
en 1909, soit deux ans plus tard, après mure réflexion ; on peut donc dire
qu'elles expriment bien sa pensée.
Je ne crois pas que Freud ait procédé
ainsi comme on l'a dit parce que la psychanalyse, science encore très
peu connue, avait besoin qu'on en explique constamment le bien-fondé
théorique, mais au contraire parce que son inventeur était persuadé de la
nécessité de ne pas laisser agir trop longtemps un transfert idéalisant ; il
écrit : "Si l'on considère la théorie de la technique psychanalytique, on se
rend compte que le transfert en découle nécessairement.
Pratiquement du
moins, on se rend à l'évidence qu'on ne peut éviter le transfert par aucun
moyen et qu'il faut combattre cette nouvelle création de la maladie comme
toutes les précédentes' "... ainsi se détruit sans cesse à nouveau le
transfert. Le transfert, destiné à être le plus grand obstacle à la
psychanalyse, devient son plus puissante auxiliaire, si l'on réussit à le
deviner chaque fois et à en traduire le sens au malade"19.
[Or l'omnipotence de l'analyste, projetée sur lui par le patient,
est évidemment liée au transfert. Il est vrai que Freud a rapporté le
transfert à l'amour (ou la haine, transfert négatif) vis-à-vis de l'analyste
(cf. "La dynamique du transfert", "Observations sur l'amour de transfert",
"Au-delà du principe de plaisir", etc.) et a laissé dans l'ombre les autres
éléments qui se réactualisent dans le transfert. Parmi ceux-ci, pourtant,
celui qui se rapporte au transfert sur l'analyste de la toute-puissance
fantasmatique de la mère constitue une des entraves majeures à la bonne fin
d'une analyse. Il doit donc, comme nous l'indique Freud, être repéré et
traité comme n'importe quelle autre résistance ; ou peut-être même avec plus
de soin que n'importe quelle autre, car l'identification projective de son
patient peut aussi, s'il n'y prend garde, réactiver dans l'analyste
l'omnipotence infantile que, soigneusement refoulée, nous gardons cependant
tous en nous.]
Une autre raison qui poussait Freud à donner à ses
patients "un fragment de théorie" était son intention de fournir ainsi à
chacun d'entre eux les outils nécessaires à la poursuite de leur
auto-analyse après la fin du travail analytique commun. Il semble en effet
que ce soit trop demander aux analysants que de leur laisser retrouver, sans
aide, ce que Freud un génie a découvert et de réinventer aussi les
développements qu'ont apportés ses disciples après lui.
Enfin last but not
least , je pense que Freud introduisait ainsi, au cour même de la cure, le
tiers indispensable. Car ce tiers qui représente la Loi, s'il est bien
présent par le cadre, l'est, néanmoins, à l'extérieur de la séance. Alors
qu'en introduisant un fragment de théorie à l'intérieur du temps durant
lequel analyste et analysant sont "seuls au monde", Freud se "châtrait" de
sa propre omnipotence infantile.
Il avait bien évidemment sur nous ce
désavantage que la théorie était son oeuvre, son enfant et donc pas vraiment
extérieure. Pourtant, le fait de l'avoir en quelque sorte mise hors de
lui-même, de lui avoir permis de se développer par le travail des autres
analystes, voire des lecteurs, en avait fait quelque chose de différent de
lui et donc capable de jouer le rôle du tiers.
Ces interprétations
plus explicatives, voire même accompagnées d'un "fragment de théorie" me
semblent donc avoir été utilisées par Freud pour compléter ce qu'apporte le
transfert (et les interprétations très courtes) qui inscrit plutôt son
impact dans le processus primaire des patients.
["Du point de vue
économico-dynamique : dans le cas du processus primaire, l'énergie psychique
s'écoule librement, passant sans entrave d'une représentation à une autre selon
les mécanismes de déplacement et de condensation ; elle tend à réinvestir
pleinement les représentations attachées aux expériences de satisfaction
constitutives du désir (hallucination primitive). Dans le cas du processus
secondaire, l'énergie est d'abord liée, avant de s'écouler de façon
contrôlée ; les représentations sont investies d'une façon plus stable, la
satisfaction ajournée, permettant ainsi des expériences mentales qui mettent
à l'épreuve les différentes voies de satisfaction possible (autrement dit
permettent l'activité de pensée). L'opposition entre processus primaire et
processus secondaire est corrélative de celle entre principe de plaisir et
principe de réalité20.]
Mais, chaque analyse le prouve, les patients
n'ont aucune envie d'abandonner leurs anciennes croyances que, réactualisées
dans le transfert, ils mettent la plus grande énergie à conserver. Il est
clair qu'en ce qui concerne l'omnipotence, la plupart des êtres humains ont une
forte envie (consciente ou inconsciente) de se bercer de l'illusion de
continuer à ne faire qu'un avec une mère toute-puissante et de compter sur la "toute-puissance de
leurs idées" (névrose obsessionnelle et pensée magique) pour résoudre leurs
problèmes ou réaliser leurs désirs sans trop d'effort.
Il est donc
normal que les patients opposent une forte résistance quand l'intention de leur
psychanalyste est de diminuer sa propre toute-puissance, c'est-à-dire de
leur montrer que celle-ci n'est autre que la projection, sur lui, de leur
omnipotence infantile.
Il faut aussi prendre ici en compte la force
extraordinaire et la complexité du mouvement perpétuel de
projection-introjection, que F. Bégoin-Guignard qualifie de "respiration
psychique". Elle écrit : "Cette complexité tient spécifiquement à la
pluralité du sens qui est véhiculé par chacun des mouvements pulsionnels
projectifs et introjectifs vers chacun de ces lieux du Self et du monde
extérieur. Car aucune de ces significations n'est univoque. Aucune n'est
davantage équivoque de la manière dont le décrivait Freud dans "Le clivage du
Moi...".
Du moins ne peuvent-elles devenir équivoques qu'au niveau conscient
déjà très sophistiqué du "Je sais bien, mais quand même..." alors qu'au
niveau inconscient, chacune d'elle a la concrétude impérieuse du fantasme
inconscient, émotion à peine issue des données sensorielles brutes,
proto-pensée infra-symbolique, règne des processus primaires et des
représentations de choses"21
[C'est, me semble-t-il, cette
"concrétude impérieuse", cette "proto-pensée infra-symbolique" du processus
primaire qui rendent si difficile l'abandon, par le patient, de l'identification
projective de son omnipotence infantile sur l'analyste ; je ne prendrai pas
en compte ici le cas de thérapeutes qui, n'ayant pas mené assez loin leur
réflexion sur leur propre omnipotence infantile22, encourageraient, par là
même et à leur insu, la résistance de leurs patients. Mais je donnerai par
contre un exemple de la résistance au renoncement de la toute-puissance de
l'analyste: Pierre est un homme d'une trentaine d'années, d'une vive
intelligence. Après environ trois ans d'analyse, d'abord à trois puis à
quatre séances par semaine, et sans que cela fut délibéré de ma part, au
lieu d'une interprétation personnelle je dis : "A ce sujet, Freud dit..." ;
il devint furieux et m'intima l'ordre de ne pas avoir recours à Freud. "Je
n'aime pas que vous fassiez cela," ajouta-t-il. Quelques mois passèrent et,
de façon délibérée cette fois, je fis précéder mon intervention d'un :
"Freud dit que ..." Il m'interrompit: "Je vous ai déjà dit que je n'aimais
pas que vous citiez Freud. Pourquoi le faites-vous encore ?" Et ma réponse fut :
"Parce qu'il faudra bien qu'un jour vous acceptiez l'idée que ce n'est pas
moi qui ai inventé la psychanalyse". Comme il a une intelligence rapide et
que je lui avais déjà interprété son omnipotence, il comprit tout de suite
mais me déclara qu'il préférait de beaucoup continuer à penser que c'était
moi qui avais tout découvert.]
Comme le fait Freud, je récuse donc
ici, partiellement, la phrase de Le Bon (cité par Freud in Psychologie
des foules et analyse du Moi23 qui écrit, lorsqu'il examine les nouvelles
propriétés que présentent les individus en foule, propriétés qu'ils ne
possédaient pas auparavant : "L'individu en foule acquiert, par le seul fait
du nombre, un sentiment de puissance invincible lui permettant de céder à
des instincts, que, seul, il eût forcément réfrénés". En effet, si le fait
d'être "en foule" multiplie le sentiment d'omnipotence, il ne le crée pas.
Il serait sans cela impossible de comprendre comment tant de "braves gens"
soutiennent et ovationnent individuellement jusques et y compris par un bulletin de vote
librement mis dans l'urne, un dictateur. Ni de comprendre le "je sais bien
(qu'en réalité il ordonne ou couvre des persécutions, des tortures, des
horreurs de toutes sortes) mais quand même..." à cause duquel, après la
chute du dictateur, celui qui a soutenu aimé un dictateur, se réveille et,
tout confus, ne peut plus comprendre pourquoi il ne s'y est pas opposé. Lui,
et tous les petits "ils" qui, ensemble, auraient peut-être été capables de
le faire avec succès.
Ensuite, justement parce qu'il ne s'agit pas d'un
malencontreux hasard mais de pulsions profondes, lorsque la toute-puissance
du dictateur s'effondre mise à mal par les folies engendrées pas sa
toute-puissance elle-même , bien des sujets se cherchent un autre chef,
heureusement parfois moins omnipotent que le précédent. Car ce que "seul, il
eût réfréné", ce ne sont pas ses instincts, mais seulement la mise en acte
de son omnipotence. Et celle-ci aurait été freinée non par la solitude,
comme le pense Le Bon, mais par l'interdit de la loi, appuyé sur la police,
qui empêche le citoyen lambda de mettre en actes sa toute-puissance
fantasmatique. C'est d'ailleurs la satisfaction, par procuration et sans
danger, de cet instinct réfréné qui favorise l'identification projective de
"lambda" sur le chef, le dictateur qui est, lui, au-dessus de la loi. [Ceci
n'est pas exact pour une minorité d'individus dont le Surmoi a franchi la
barrière qui sépare les deux définitions qu'en donne Freud. La première définit
le Surmoi comme "introjection des interdits parentaux", la deuxième comme
"héritier du complexe d'OEdipe". Le premier Surmoi, infantile, n'implique
pas le renoncement librement accepté à l'omnipotence mais seulement la peur
du châtiment, autrement dit "je ne dois pas faire cela, sinon je serai
châtié : mes parents ne m'aimeront plus". La deuxième formulation, au
contraire, présuppose que l'enfant a pris la mesure du conflit oedipien et a
accepté le fait que c'est son père qui est l'époux de la mère et non pas
lui, et ce à tout jamais. Ce qu'il perdrait alors, s'il passait outre, ce
n'est plus l'amour de ses parents de la réalité extérieure, mais sa propre
estime, i.e. l'amour de ses parents internes, et c'est ce qui rend inutile la
peur du gendarme.]
C'est certes à cause des liens libidinaux
qu'il y a entre un chef et ses troupes que, comme le dit Freud, lorsque le
chef disparaît ses hommes se débandent. Mais je crois qu'il faut y ajouter le
brusque effondrement du sentiment "d'omnipotence partagée".
La citation,
tirée par Freud, d'une parodie du drame "Judith et Holopherne" de Hebbel, le
montre bien; lors d'une bataille "un guerrier s'écrie : "Le général a perdu
la tête' et, là-dessus, tous les Assyriens prennent la fuite. La perte du
meneur, de quelque manière qu'on l'entende, la perplexité dont il est
l'objet, font surgir la panique, alors que le danger reste le même ; avec le
lien au meneur disparaissent aussi, en règle générale, les liens mutuels des
individus de la foule. La foule se pulvérise"24.
Or, sans nier le lien
libidinal qui unit une foule organisée à son chef ni celui qui lie entre eux
les membres de cette foule, je propose l'idée qu'un lien libidinal réel ne
peut pas se défaire instantanément, alors que la brusque disparition d'un
fantasme omnipotent laisse le sujet aussi démuni que le serait un nourrisson
privé de sa mère. "Alors que dans la réalité le bébé est extrêmement
désemparé et qu'il dépend complètement de sa mère (ou de son substitut) pour
subsister, il assume dans ses fantasmes une attitude omnipotente à l'égard
de ses objets ; ils lui appartiennent, ils font partie de lui, ils ne vivent
que par lui et pour lui il continue son unité prénatale avec sa mère."25
En effet, le fantasme d'omnipotence du bébé, fantasme qui lui est
indispensable, à pour fonction de le mettre à l'abri de la terreur
d'abandon, comme pour dire: "Je suis totalement impuissant? Pas du tout, ne
faisant qu'un avec maman je suis, au contraire, omnipotent". C'est ce
premier et indispensable fantasme qui est le prototype, plus ou moins refoulé,
des manifestations ultérieures de toute-puissance. Des manifestations qui ne
sont plus, à l'âge adulte, que des moyens de défense périmés; comme le fait
remarquer Freud au sujet d'autres mécanismes de ce type : ils "deviennent
des infantilismes et partagent le destin de tant d'institutions qui
cherchent à se maintenir au-delà du temps où elles étaient utiles : 'La raison
devient non-sens, le bienfait calamité', comme le déplore le poète
(Goethe)"26.
C'est à cause de cette solidité du lien libidinal que la
proposition de Freud au sujet d'un roman de Guy Thorne (d'inspiration
catholique et recommandé par l'évêque de Londres), ne me semble pas épuiser
le sujet. Le livre, paru en 1903, eut un très grand succès ; Freud écrit : "Le
roman raconte qu'une conjuration des ennemis de la personne de Christ et de
la foi chrétienne réussit à faire découvrir dans Jérusalem une chambre
sépulcrale avec une inscription où Joseph d'Arimathie confesse que, pour de
pieux motifs, il a secrètement retiré de sa tombe le corps du Christ au
troisième jour après son inhumation et l'a enterré en ce lieu.
C'en est fini
de la résurrection du Christ et de sa nature divine et cette découverte
archéologique a pour conséquence un ébranlement de la civilisation
européenne et une extraordinaire recrudescence des violences et des crimes,
qui ne disparaît pas avant qu'ait pu être dévoilé le complot des
faussaires."
A mon sens, autant les milieux catholiques et l'évêque de
Londres que Freud ont sous-estimé la force du lien libidinal qui unit les
fidèles au Christ. Comme l'ont montré un certain nombre de "découvertes"
plus ou moins récentes : l'affaire Gaulée, la persécution des Indiens
d'Amérique et d'ailleurs, les manuscrits de la Mer Morte, etc., un lien
libidinal possède une force extraordinaire: "Je sais bien mais quand
même..."
Ce qui disparaît, par contre, ce qui se "pulvérise", c'est
"l'omnipotence partagée"; lorsqu'un des termes coupe le lien, l'autre ne
peut qu'en faire autant : un général (Assyrien ou autre) sans tête est
l'image même de l'impuissance - de la castration. Dès lors, à quoi "accrocher"
son identification projective d'omnipotence ?
Un lien libidinal,
amoureux, va, au contraire perdurer ; il n'est que de penser, pour s'en
convaincre, à tous le amant(e)s trahi(e)s, abandonné(e)s, trompé(e)s, dont
l'amour reste vif très longtemps, parfois jusqu'à la mort, ce qui est,
d'ailleurs, un des grands ressorts du roman d'amour.
Le lien
d'omnipotence me semble être soit une partie du lien libidinal, soit exister à
son côté, qu'il soit projeté sur un analyste, un leader ou tout autre
personne. Suivant le rapport de force qui existera entre le lien libidinal
et le fantasme d'omnipotence projeté, une déception entraînera ou non
l'effondrement du lien qui unit le sujet à son Objet.
Le lien de cette omnipotence partagée semble être de
même nature que celui qui lie un sujet à l'hypnotiseur
où, ajoute Freud, à l'amoureux. Il écrit : "Il n'y
a manifestement pas loin de l'état amoureux à l'hypnose.
Les concordances entre les deux sont évidentes... Simplement,
dans l'hypnose, les rapports sont encore plus nets et plus intenses, si
bien qu'il conviendrait plutôt d'expliquer l'état amoureux
par l'hypnose que l'inverse. L'hypnotiseur est l'objet unique, à
côté de lui nul autre objet ne compte. Que le Moi vive
dans un rêve ce que l'hypnotiseur exige et affirme, nous rappelle
que nous avons oublié de mentionner que, parmi les fonctions de
l'idéal du Moi, il y avait aussi l'exercice de
l'épreuve de réalité. Rien d'étonnant
à ce que le Moi tienne pour réelle une perception,
lorsque l'instance psychique à qui incombe habituellement la
tâche de l'épreuve de réalité cautionne
cette réalité". "La relation hypnotique est un abandon
amoureux illimité, la satisfaction sexuelle étant exclue,
alors que dans l'état amoureux celle-ci est repoussée
pour un temps et demeure à l'arrière-plan à titre
de but possible ultérieurement."
Freud ne semble
pas, dans ce passage, poser d'autre différence que celle de l'acte sexuel exclu,
entre l'amoureux et l'hypnotiseur.
Pour moi, il y en a une autre,
essentielle : celle du lien libidinal qui, à mon sens, n'est pas
présent
entre un sujet et son hypnotiseur. Et il est par contre présent aussi bien chez
l'amoureux, où il comporte un désir d'accomplissement sexuel, que chez
l'analysant où un tel accomplissement est totalement et formellement exclu.
Il est bien clair cependant que là, tout comme en politique, dans les
entreprises, dans les
médias et dans tous les échanges humains, le "trop de
pouvoir", en modifiant notre rapport à la loi perturbe aussi le respect des
règles de la morale en même temps que la reconnaissance et la prise en
compte de l'existence de l'autre.
Celui qui se sent au-dessus des lois ne
peut plus les respecter ni en ce qui concerne l'argent ni en ce qui concerne
la sexualité ni en ce qui concerne le juste droit des autres. On le voit
clairement aussi bien dans les dictatures, qui s'écroulent toutes dans la
corruption, que dans les démocraties où les "fins de règne" offrent un
triste spectacle lorsque l'homme ou le parti au pouvoir y sont restés trop
longtemps.
Lorsque l'omnipotence projetée - ou partagée - est très
forte, l'épreuve de réalité ne suffit pas pour arrêter le "Je sais bien,
mais quand même..." comme on le voit dans le célèbre exemple princeps de
Freud, où l'hypnotisé ouvre son parapluie à l'Opéra en dépit de la réalité qui
lui montre que ce n'est pas un lieu adéquat.
Pour détruire un
fantasme, il faut une réalité d'une puissance exceptionnelle, comme lorsque
le commandant en chef est tué dans la bataille: il s'agit alors de la
brusque prise de conscience, jusque là occultée par l'amour du chef27 que
c'est la vie même de chaque soldat qui est en cause. Encore faut-il qu'en
face de cette réalité extérieure massive il n'y ait qu'un lien libidinal
modéré, car la présence matérielle d'un chef n'est pas indispensable, comme on
le voit dans le cas des martyrs. On peut très bien imaginer également que le
cri : "Ils ont tué notre chef, vengeons-le" remobilise la troupe.
La
disparition du lien omnipotent devient par contre très problématique lorsque le
lien libidinal vient renforcer le lien d'omnipotence partagée ; c'est le cas
de l'amour-passion (où on reproduit l'amour fusionnel avec la mère), des
foules organisées (armée, parti, églises) comme l'a explicité Freud, ou
encore de la psychanalyse.
Là, le transfert (et le contre-transfert) venant
tout à la fois permettre et entraver la bonne marche de la cure à cause
entre autres et comme j'ai essayé de le montrer par l'analyse du cas de
Paule de l'identification projective à la toute-puissance fantasmée de
l'analyste, il est nécessaire d'interpréter de façon particulièrement
persévérante cette projection transférentielle si l'on veut essayer de mener
à bonne fin le deuil de la séparation.
1
Bégoin-Guignard, Florence, "Limites et lieux de la psychose et de
l'interprétation" in Topiques, 35/36.
2 Freud, "Analyse avec fin et analyse sans fin" in
Idées, Résultats, Problèmes II, P.U.F.
3 Freud, "Analyse avec fin et
analyse sans fin" in Idées, Résultats, Problèmes II, P.U.F.
4 Freud,
op. cit.
5 McDougall, Joyce, "L'anti-analysant en analyse" in
Plaidoyer pour une certaine anormalité, Gallimard, 1978.
6 Freud, "La négation" in Résultats,
Idées, Problème P.U.F.
7 Michèle Bertrand, "Toute-puissance et faute originaire" in Etudes
freudiennes ; 1985, n° 26.
8 Groddeck, Le double sexe de l'être
humain, Gallimard NRP n° 7.
9 Laplanche, Psychologie à
l'université n° 2, p. 226.
10 Freud, Analyse sans fin..., p. 267.
11 Groddeck, op. cit.
12 Bettelheim, Les blessures
symboliques, Gallimard 1971.
13 Kaës, René et coll. "Inconscient et
culture" dirigée par R. Kaës et D. Anzieu, Dunod, 1976.
14 Danon-Boileau, Henri, "Propos du
fantasme de toute-puissance" in R.F.P, tome XXXV, n° 2-3, 1971.
15 "Le processus secondaire caractérise le système
préconscient-conscient, tandis que le processus primaire caractérise
l'inconscient. Dans celui-ci, l'énergie psychique s'écoule librement tandis que
dans le processus secondaire l'énergie est d'abord liée avant de s'écouler
de façon contrôlée; les représentations y sont plus stables, la satisfaction
ajournée, permettant ainsi des expériences mentales qui mettent à l'épreuve les
différentes voies de satisfaction possibles." (Vocabulaire de Psychanalyse)
16 "Face au supplice de Tantale que représentent des séances trop courtes,
trop espacées et dépourvues d'activité interprétative suivie et cohérente,
l'enfant qu'on laisse jouer dans un espace qui, soi-disant, lui appartient, vit,
en réalité, le non-intervention de l'adulte comme une invite à intensifier
ses tendances à l'identification massive à des objets internes
tout-puissants qu'il utilise pour faire intrusion dans le psychisme de
l'analyste et contrôler totalement l'activité de pensée de celui-ci, au prix
d'une culpabilité inconsciente considérable, à prédominance persécutoire "
Florence Bégoin-Guignard : "L'évolution de la technique en analyse d'enfants" in
Mélanie Klein aujourd'hui, C.L.E. éd.)... C'est aussi ce que
ressentent, mutatis mutandis, les adultes.
17
Freud, Cinq Psychanalyses, P.U.F., 1954.
18 Freud, L'homme aux
rats, Journal d'une analyse, P.U.F., 1974.
19 Freud, "Dora" in Cinq
psychanalyses, P.U.F. 1954.
20 Laplanche et Pontalis,
Vocabulaire de la psychanalyse, P.U.F.
21 Bégoin-Guignard, Florence, "Voies d'entrée
dans la psychose" in Topiques..., pp. 35-36.
22 Car, comme le dit
Freud : "Chez l'analyste lui-même, du fait du commerce incessant avec tout le
refoulé qui, dans l'âme humaine, lutte pour sa libération, se voient
arrachées à leur sommeil toutes ces revendications pulsionnelles qu'il peut
habituellement maintenir dans l'état de répression" (L'analyse finie et
l'analyse sans fin p. 265).
23 Freud, Psychologie des masses et
analyse du Moi.
24 Ibid.
25 Heimann, Paula, Certaines fonctions de
l'introjection et de la projection dans la première enfance.
26 Freud,
Analyse avec fin et analyse sans fin, p. 253.
27 Car "l'appareil psychique
ne supporte pas le déplaisir, il lui faut s'en défendre à tout prix et lorsque
la perception de la réalité apporte du déplaisir, elle c'est-à-dire la
vérité doit être sacrifiée" in L'analyse sans fin et l'analyse avec
fin.
Résumé
L'impossibilité de terminer certaines
analyses sans fins pourrait être due à la projection de l'omnipotence de
l'analysé sur son analyste et requièrent donc, de la part de celui-ci, la prise
en compte de cette résistance transférentielle particulière.
Des
exemples cliniques sont mis en parallèle avec la collusion omnipotente que l'on
peut voir dans chaque couple dominant-dominé et singulièrement entre un
dictateur et ses sujets.
Summary
The impossibility to
terminate certain analysis without end could be due to the projection of the
omnipotence of analysis on the analyst and therefore requiring, on his part, the
taking into account of this particular transferential resistance.
Some
clinical examples are compared to the omnipotent collusion which one can see in
each dominant-dominated couple and singularly between a dictator and his
subjects.
|