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Théâtre et psychanalyse

Jean Gillibert
Société Psychanalytique de Paris
Paris - France
Psychiatre et psychanalyste, Jean Gillibert est aussi acteur, metteur en scène et écrivain. Il a écrit un grand nombre d'ouvrages de psychanalyse, ainsi que plusieurs essais et poèmes. Il a également mis en scène et joué plus de cinquante pièces de théâtre.





Théâtre et psychanalyse

Généralités

La psychanalyse avec Freud et certains de ses successeurs, offre une réduction particulière de l'aventure théâtrale, écrite, jouée, mise en scène, depuis la tragédie grecque à nos jours ; la psychanalyse, avec Freud, utilise des métaphores théâtrales à un tel degré, à un tel niveau, que la psychanalyse elle-même pourrait être prise, non comme une pièce de théâtre, mais comme l'analogon, voire le paradigme du conflit dramatique théâtral par excellence. C'est certainement une illusion, au sens où Freud a entendu lui-même l'avenir des illusions. Une illusion sans avenir?

Si la psychanalyse est un système interprétatif à partir de données d'expérience, de concepts, de significations a priori où conflit, transfert, résistance demeurent des clefs de voûte, elle peut interpréter et le texte théâtral et la raison d'être de la représentation théâtrale. La systématique des instances peut être une grille herméneutique du phénomène théâtral, mais elle risque, de ce fait, de se perdre dans la métaphysique des idéologies qui interprète a priori un conflit représentatif par l'intermédiaire d'un conflit préalable, repérable et codé. Elle manque, alors, la spécificité du phénomène théâtral.

Est-il possible, pensable de comparer un conflit psychique, intra-psychique, fût-il sous la forme de discours et un conflit de théâtre, répondant à des exigences d'écoute, de rassemblement et de formes esthétiques ?
Le lieu public du rassemblement d'un public, festif ou non, ne correspond en rien aux topiques des descriptions freudiennes.
L'architecture interne et l'architecture externe des "lieux" n'ont aucune ressemblance. Ont-elles une analogie ? Y a-t-il un pouvoir analogique, entre ces deux accidents du temps, de l'espace et de l'histoire, le lieu théâtral et le lieu psychique ?
Le théâtre est-il seulement le lieu d'où l'on regarde un autre lieu qui ne regarde plus et qui ne serait que pure démonstration d'exhibition ?
Psyché est-elle aussi ce lieu, cette panoptique totalisante ?

La représentation publique du théâtre n'est-elle pas aussi un défi au monde avant d'être un désir de reconnaissance d'un désir collectif ? Les séquences privées de la cure analytique où le langage demeure le seul tiers, ne sont-elles pas aussi un défi au monde du social, au monde tout court ?
Si cela était, aux pointes les plus extrêmes de ce qu'on pourrait appeler la pensée du théâtre, la pensée de la psychanalyse étant aussi ce même mythe rationaliste. Une anthropologie de la culpabilité humaine.

Freud et les Grecs

Les sources de Freud :
Freud est un homme de culture, élaborée, savante et classique qui l'a mené tout de suite aux tragiques grecs, à Shakespeare, à Goethe, à Schiller, à Ibsen pour les plus inspirants. Quand Freud pense et s'appuie sur la tragédie grecque, il la pense, certes encore au nom de la tragédie du destin ­ conflit avec le divin ­ jusqu'à un certain fatalisme.
OEdipe devient vite son héros comme le transgresseur par excellence qui "fatalise" son châtiment que Freud entrevoit comme un seul châtiment de castration. Assister à OEdipe-Roi et faire une psychanalyse, c'est tout un. La représentation théâtrale "économise" la dépense psychique de l'aventure oedipienne. Un autre le fait à notre place.

Bien entendu, il ne peut comprendre qu'à demi l'enjeu de Philoctète ou d'Ajax. Si les thèmes de Philoctète et d'Ajax n'étaient pas connus d'avance, les tragédies qui les concernent n'auraient aucun effet théâtral. Comme dit Freud : "Le rideau du drame grec s'ouvre pour ainsi dire au milieu de la pièce".
Freud, ici, dans sa psychanalyse appliquée, néglige totalement le sens même des formes organiques et articulatoires de la tragédie.
Freud rend-il compte de la "passion" grecque si particulière, si spécifique et qui dépasse le conflit humain-divin, humain-polis ou plutôt genos-polis?
En présupposant une structure conflictuelle préalable, généralisable, universalisable, celle d'OEdipe, Freud tombe dans les erreurs de la modernité, sociologique, marxologique, épistémologique d'une dramaturgie, d'une théâtralité préalables, a priori.

Or, il y a des spécificités historiques ; les premières tragédies n'étaient pas celles, très "littéraires" d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide. Il y a des spécificités d'écriture. Eschyle n'est pas Euripide. S'il y a une "forme" globalisante et convenue de la tragédie grecque et si cette "forme" détient un devenir, celui-ci est co-existant, co-répondant à l'architecture d'un théâtre, à la réceptivité d'un public, plus à son imaginaire qu'à sa structure sociale, civique, ou religieuse, enfin et surtout à son écriture "poétique". C'est cette dernière qui décide de tout.

En mythifiant la tragédie grecque, Freud commet la même erreur qu'Hegel ; au mieux, on pourrait dire : c'est une "interprétation". La tragédie grecque, comme toute expression théâtrale, est soumise alors historiquement au conflit des interprétations.

On peut cependant superposer à l'existence textuelle, laissant en puissance le devenir possible des représentations, un code mythique, originaire. Nietzsche et Freud y ont excellé. Le code mythique de Freud valorise le choeur comme l'entité rassemblée et rassemblante de la mise à mort du héros. Le meurtre du père primitif demeure, pour Freud, la clef de voûte mythique du principe théâtral communicatif de la tragédie grecque, culpabilité et châtiment s'ensuivant.

Dans la lignée de Freud, nombre de psychanalystes ont interprété, par exemple, l'Orestie
d'Eschyle comme le passage du matriarcat au patriarcat (avec meurtre d'Agamemnon à l'appui). Non seulement le texte est forcé, contraint, mais le "théâtre" lui-même et la passion tragique, spécifiquement grecque, qui l'anime est totalement perdue. Cela devient "théâtre à programme" comme on dit "musique à programme".
La psychanalyse propose un théâtre "privé" qui peut "s'appliquer" à des événements publics, avec précautions, distanciation... elle ne peut pas se poser en totalitarisme ou
fondamentalisme.
Ce qui nous fait réceptifs au théâtre grec, c'est sa spécificité : spécificité de la passion grecque. Ce qui nous fait réceptifs ­ avec résistance ­ au théâtre de la psychanalyse c'est sa spécificité : la passion psychique. Mais entre les deux "passions", il y a un abîme, dont la réduction eidétique à l'universel est un leurre, ou une... colonisation.

Freud et Shakespeare

Freud est plus à l'aise avec Shakespeare. C'est presque son Dieu. Il y vibre très fort. Ses coups de sonde sur Hamlet, Macbeth, le Marchand de Venise, le Roi Lear sont toujours éloquents et sensibles. Certes, il mythifie avec Lear et Shylock, mais il délivre une incomparable valeur avec la représentation figurée de la mort (Cordélia, le dernier coffret).

Hamlet représente la névrose hystérique oedipienne. C'est un drame moderne (sic). Un homme jusque-là normal, devient névrosé par une tâche à accomplir (venger son père mort) éveillant en lui des passions-pulsions, refoulées avec bonheur jusque-là (inceste et parricide).

La forme artistique "shakespearienne", selon Freud, a pour but de maintenir le refoulement chez le héros tout en devenant reconnaissable par le spectateur car, dit Freud, "le même processus (de refoulement) est parvenu chez le spectateur à détourner son attention et il est la proie de ses sentiments au lieu de se rendre compte de ce qui se passe. Par ce moyen lui est épargnée une partie de la résistance qu'on peut voir dans le travail analytique, où le dérivé du refoulé lui demeure toujours refusé. Dans "Hamlet, le conflit est tellement bien caché que j'ai dû dans un premier temps le deviner" [sic Freud].

Cette perspective de pulsion refoulée, de résistance pour un héros de théâtre et de moindre résistance pour un spectateur, entraîne Freud à un véritable "positivisme" de l'histoire du théâtre. Ceci dans le même article "Personnages psychopathique".
Freud, dans son interprétation hystérique d'Hamlet, rend compte de la fascination du primitif qui s'exerce sur le personnage et qui en déclenche, jusqu'à la saturation, toute la nostalgie.

Freud et la modernité

Il y a un drame grec, l'agon par excellence : le héros entre dans la lutte agonale avec une satisfaction masochiste dans la défaite. Le drame "réalise" la souffrance et le malheur dans le combat contre l'ordre divin. Donc, identification au rebelle. Drame religieux. La tragédie bourgeoise responsabilise davantage l'humain en lutte contre les puissances sociales (Ibsen).
La tragédie de caractère est la lutte des "humains". Entre eux pas de révolte.
Toutes ces catégories peuvent se mêler évidemment. Ainsi, le conflit entre "l'amour et le devoir". Freud dit penser ici à Schiller. Nous, nous penserions à Corneille. Mais, que ce soit Schiller ou Corneille, le conflit n'est pas entre amour et devoir, mais entre ce qui, dans l'amour est déjà un devoir.

Comme toujours, Freud va trop vite, génialement trop vite. Son génie est injuste. Pour lui, un personnage psychopathique ne peut pas être source de conflit théâtral. Freud sépare le théâtral et le réel. Peut-être plus exactement, il théâtralise le réel, ou plus encore, s'il se trouve devant un cas de névrose "finie" (sic) nous ne sommes plus à la scène, nous ne sommes plus au théâtre... mais nous appelons un "médecin" (sic) c'est-à-dire un psychanalyste.

Et Freud de retrouver un lien entre le réel et le théâtral, en faisant appel au théâtre de la
psychanalyse, quand le théâtre du monde devient défaillant, déconstitué. Etrange paradoxe de la psychanalyse. Nul doute que Freud ne se soit pris pour le médecin d'Hamlet !

Il y a donc un théâtre - non théâtral - de la psychanalyse. Historiquement, cela apparaît avec les "Etudes sur l'hystérie". L'hystérie étant un théâtre du corps en "présentation" avec idiome langagier à l'appui (métaphoricité du langage commun) qui a besoin de la dé-théâtralisation par le théâtre non théâtral de la psychanalyse. Ce qu'a fait Freud.

Le théâtre de Freud et de la psychanalyse

Quel est donc ce théâtre non-théâtre de la psychanalyse avec Freud ?
Il repose sur bien des données, certaines fondamentales, d'autres plus ambiguës, voire incertaines, d'autres même, aporétiques.
Y a-t-il une esthétique de la psychanalyse au sens où Kant entendait lui-même une esthétique
transcendantale, catégorielle, non métaphysique ? Les questions soulevées sont les suivantes :
· la dialectique du paraître (pulsion, affect et représentation) ;
· la figurabilité comme exhibition et mise en scène autonome et auto-référenciée ;
· l'association des idées et l'articulation des scènes ;
· la fiction et le faux, l'imagination fantasmatique et l'illusion ;
· les machines narcissiques ;
· les personnages et la pluralité psychique ;
· transfert et transcendance au théâtre ;
· de l'acte à la pensée et de la pensée à l'acte ;
· la dramatisation ;
· l'économie de la mort ;
· les grandes syntaxes de théâtre: le rêve, le jeu ;
· la sublimation et le sublime ou le beau ;
· la psychanalyse: théâtre ou cinéma ?
· note sur le psychodrame.

Catharsis-abréaction

Il y a d'abord un aristotélisme de Freud ; une version interprétée, certes, de la pensées d'Aristote sur le poétique, le tragique, le théâtral. Les relations érotiques et d'ambition conduisent à des transgressions de tous ordres qui provoquent souffrance et châtiment par masochisme fondamental : douleur destinale d'exister dans le conflit vu comme un destin d'adversité.

Purification de la terreur que provoquent ces transgressions par la pitié. Catharsis, abréaction qui "soulagent" le porteur de souffrance. Appel à la guérison. "Théâtre-thérapeutique".
Théâtre parce que thérapeutique. Thérapeutique parce que consommation du théâtral de toute relation humaine.
Doublement de cette souffrance reprise par un médiateur (le spectateur, l'auditeur... le thérapeute inconsciemment thérapeute).

Freud passera de l'abréaction... à la durée et au travail proprement dit de la psychanalyse. A travers des associations, mentales, langagières et à travers l'association malade-thérapeute, un théâtre privé s'installe qui soit dé-théâtraliser le conflit et le déprivatiser au nom d'une publicité reconnue comme consciente (le devenir conscient). Surgissent alors les valences-valeurs métapsychologiques : les topiques, les dynamiques, les économiques.

Rien ne doit avoir lieu que le passage d'une topique à l'autre. Systémique du refoulement dont la barrière se fonde alors sur un idéal, une Idée qui, in fine, se révèle comme un contre-investissement narcissique qui est la relation humaine propre: le non-rapport qu'est toute monade narcissique.
Le théâtre devient alors la formidable économie pulsionnelle d'une communication (?) d'un non-rapport fondamental : public (spectateurs) et scène où l'on joue (acteurs).
Les transgressions de la scène où l'on joue économisent les transgressions refoulées du psychisme des spectateurs. Deux scènes se présentent et s'affrontent dans un "agon" mesuré : la scène où l'on joue et la scène où l'on perçoit ce que l'on joue. Hamlet "économise" notre OEdipe, mais il le fait vivre.

La condition au plaisir, pour le spectateur, est que le héros soit donc un névrosé. C'est comme un plaisir préliminaire. La condition au plaisir pour le "personnage-acteur" est que l'auteur dramatique lui donne par l'écriture une conscience et un refoulement. Le névrosé
"personnage" doit faire comprendre qu'il ressent du plaisir à exposer la pulsion-passion refoulée et aussi du plaisir à distinguer ses "résistances".

Le drame théâtral explore alors tous les affects, mais par la médiation d'un acteur qui en
devient le messager.
Freud oublie cette médiation de l'acteur qui véhicule les affects non dans la ressemblance
adéquate à ceux que, fictivement, devrait éprouver le "personnage", mais dans l'analogie singulière où il vit non seulement à compte d'autrui, mais pour autrui. Il "bâille" l'affect en signifiance ; il dispose le spectateur à recevoir et à vivre l'affect.
Freud oublie l'acteur car il lui substitue immédiatement le thérapeute qui ne doit rien montrer de ce qu'il éprouve. Acteur muet et neutre.

Le théâtre n'est pas tout à fait une thérapeutique si la psychanalyse est aussi un théâtre. Freud croit plus à une dialectique du paraître que le théâtre lui-même semblerait le faire accroire.
Le paraître de la présence et de l'absence ne sont encore qu'une puissance de devenir vers l'être et le non-être ne tient aucun compte de ces catégories d'absence et de présence.
Freud n'a été ni net ni clair - le pouvait-il ? - entre la pulsion de mort, via le néant (?) et l'absence (maîtrise de l'absence par le jeu de la bobine).

L'hystérie proposait bien une dialectique du paraître. Elle proposait en effet une hystérie des objets idéaux. Une grande Idée inaccessible d'extériorité. Un signifiant, a priori, d'extériorité.
Une médiation au miroir et un exhaussement symbolique de dépassement de l'image.
Hystérie et théâtre ont cheminé ensemble longuement jusques et y compris dans l'invention de la psychanalyse. On ne peut pourtant pas les confondre. Le théâtre, par le jeu de l'acteur et ses pouvoirs de représentation, n'obéit pas à la dialectique du paraître hystérique, il ne fait que la dénoncer, au meilleur comme au pire de l'écriture.

Le grand théâtre de l'hystérie, c'est celui, avorté, de Baudelaire et de Mallarmé : le théâtre de l'Idée, d'Igitur et d'Hérodiade. L'idéo-réalisme de St Pol Roux a quelque chose d'enfantin, mais il dit bien un "accompli" du paraître, sa tentative du moins.
La dialectique du paraître (paraître/disparaître) est bien celle de la pulsion-passion. La pulsion n'est ni consciente, ni inconsciente. Elle ne devient inconsciente que par et pour le refoulement. Le refoulement devient inutile dans la sublimation ou l'identification.
Si l'affect pose la redoutable question de son inconscience, donc, en fait, de sa communicabilité, la représentation comme mise "devant" objectale, n'est en fait qu'une doctrine insuffisamment élaborée. La pulsion elle-même est représentation psychique. On ne la connaîtrait pas autrement, et la pulsion délègue ses pouvoirs à ses représentants, ses mandants, ses tenants-lieu, ses signifiés et autres médiateurs.

Le sens d'une oeuvre leur échappe. Le sens échappe à la signification toute prête. Pour le théâtre, c'est le déroulement temporel et spatial qui délivre le sens, énigmatique en son fonds.
Le sens est ébranlement, au-delà des déterminations, il se révèle comme l'indéterminé dans tout discours, dans toute signification.
Même s'il y a un consensus mythique ou mythifiant de la représentation théâtrale, ce qui en fait la force, la violence ­ le défi éthique et esthétique ­, c'est la réserve du sens qui n'apparaît comme tel que dans le signe éclaté du dire. De toutes façons on ne sait pas ce qu'on va dire y compris et surtout en le disant. Processus paradoxal : pour ignorer ce qu'on va dire, il faut, pour les acteurs, savoir "par cour", d'une mémoire infaillible. Mémoire immémoriale de l'inconscient.

Si, dans la cure, on ne sait pas ce qu'on va dire, on ne souffre pas de réminiscence, mais le sens ne se dévoile que comme nouveauté déstabilisante... à intégrer. Les significations des liens érotiques, leur syntagme, sont nécessaires à l'apparition du sens à son paraître, mais en elles seules ­ les signifiants ­ elles n'ont aucun pouvoir d'être. Ce n'est pas un dévoilement heideggérien, mais un surgissement de l'inattendu ; la parution du sens, d'un être "historique" est inépuisable et la tragédie grecque ne laissait pas prévoir la psychanalyse et la psychanalyse ne laisse pas prévoir rétrospectivement la tragédie grecque.

La syntaxe

Qu'est-ce qui transfère ? Qu'est-ce qui transcende ? Quel est le lien plus grand que toute
liaison et toute déliaison et qu'on appelle théâtre et qu'on appelle cure (théâtre privé) ? Avant d'en venir aux grandes syntaxes de la réunion-séparation que Freud a installées par le rêve et par le jeu, il faut dire un mot de ce qui différencie la temporalité et la spatialité des discours dramatiques - lyriques, épiques, poétiques - des discours intra-analytiques.

La relation langagière de l'analyse est fondée sur l'association libre du patient, l'écoute flottante de l'analyste. L'ensemble dans un contexte de neutralité, d'abstinence et d'abstention.
L'association libre n'a aucune perspective esthétique ; elle n'est pas formalisable a priori ; elle laisse supposer des voies de frayage choisies, des déterminations multiples, des voies de passage, des véhicules de significations.
Les discours dramatiques obéissent à une écriture, à un procès formalisable, à des articulations de dépassement de sens et par le sens, qui outrepassent le tropisme inhérent au langage signifiant.
Les associations ne sont pas des articulations. L'écriture automatique n'a pas tenu longtemps devant l'exigence éthique et esthétique du transcatégoriel.

Les formes codées des grandes expressions théâtrales ont une valeur en soi qui ne les réduisent pourtant pas à la finalité fragmentaire. Une tragédie grecque n'est ni une somme, ni une totalisation de Parodos + Stasimon + Episodes + Exodos... et pourtant le formalisme de la composition est nécessaire à la validité de son expression.
L'unité de lieu et de temps est nécessaire à la tragédie classique française ; mais le néo-académisme qui respecte seulement cette forme pour la forme (Giraudoux, Cocteau, Montherlant) n'entame pas pour autant un procès dramatique lui correspondant.

La modernité a cru qu'il suffisait de théâtraliser le réel pour faire du théâtre. La dramatisation spatiale où une machine se met en marche, la machine panoptique par exemple, associée à la dialectique du paraître ne concernant en rien la vérité éclatée des signes magiques du théâtre.
Freud l'avait bien compris, en fait. Il oppose à la carence théâtrale des modernes, un théâtre "social, civique et religieux" (voir Totem et Tabou et ses mythes collectifs) d'où, par extraction scientifique, la psychanalyse vient au jour.

Le théâtre n'obéit pas au principe de totalisation comme l'ont cru aussi bien Wagner que Brecht, aussi bien Genêt que Claudel.
Shakespeare ne compose pas à partir de fables mythiques, mais à partir de ses réserves d'imagination - langagières en premier lieu où le mythe vient se greffer.
Il suffit de trois vers de Shakespeare pour qu'un théâtre -intérieur et expressif - soit "planté". Il n'y a aucune théâtralisation. Il n'y a aucun effet de texte, aucune dramaturgie. Mais cela est réservé seulement aux grands poètes.

La syntaxe du rêve

C'est peut-être avec le rêve que Freud installe le proprement théâtral et cinématographique.
Les deux indissociables dans ce rêve individuel nocturne.
Le rêve est un conflit de désirs, entre un désir de dormir-mourir) et un désir sexuel infantile non rédimable. Ce conflit provoque une projection sur un écran de figure dramatisées - le travail du rêve et des processus primaires - qui conduisent à une satisfaction hallucinatoire du désir. Hallucination qui négative le monde par présentification sans optation.

Telle serait ainsi la boîte noire, la cinématographie du rêve. A-socialité, autarcie, égoïsme absolu du rêve et présence de l'image.
Les métaphores théâtrales de Freud, ici, abondent mise en scène de la figurabilité - Autre scène (expression prise à Fechner etc.)
Il faut rester, ici, très vigilant. Il n'est pas question de théâtre. Freud métaphorise, à l'excès, par idéalité à partir du mot "Szenc" (Scène). La scène de théâtre se dit en allemand ("Schaubühne"et non "Szenc" Freud choisit une métaphoricité idéaliste, pas du tout matérialiste.

D'abord qu'est-ce que la figure (la figurabilité) ? Ce n'est pas la représentation (Vorstellung) qui laisse supposer une délégation, une substitution possible entre pulsion et représentation.
Ici la figure porte absence et présence ; elle est en perpétuelle transformation, mutation, métamorphose, anamorphose, etc., la plasticité de la figure et non de l'image ou du signifiant est une caractéristique du matériel du rêve. La condensation et le déplacement n'ont de sens que sur le fonds de cette plasticité, de ce changement perpétuel.

Les déguisements, duplicités, travestissement appartiennent aux métamorphoses. Ce sont des formes dynamiques obéissant dans leur mutation autant à la censure qu'au désir lui-même, autant au désir sexuel qu'au désir de dormir.
La figure se met en scène, elle-même. Elle détient un pouvoir de mise en scène. C'est elle le metteur en scène répondant aux doubles exigences citées précédemment.
Présentation directe qui n'est pas encore la "présence" sans optation de l'hallucination mais qui y conduit.

Aventure de la figurabilité que Freud, après Kant, décrit admirablement dans le chapitre VI de "L'Interprétation des rêves" et qu'il nous faut toujours relire et reprendre pour comprendre et l'imagination et la réceptivité originaire. Multiplicité "phanique" de ce qui n'est encore que la figure de l'objet présent-absent. Délire fantastique du travail du rêve pour le fantastique idéal... mais aussi pour le pragmatisme final. Retrouver l'objet en simulacre ­ qui donne la satisfaction (hallucination). Là, dans cet accomplissement, la présence est sans revers ­ non optative. Il y a dans la plasticité des figures du rêve une permanence et une simultanéité, une succession qui n'est pas la consécution et qui s'ajointe fort bien à l'intemporalité.

La dramatisation des figures, née de la transformation des figures elles-mêmes est à la fois associative et articulatoire. Elle n'est pas que tropique. Elle n'est ni supra ni infra-linguistique elle est hors tout langage et ce qui a été appelé par Freud comme représentation de chose ­ contenu de l'inconscient ­ et qui reste marqué d'un positivisme foncier ne rend pas compte du pouvoir de la figure, de la "Darstellung" En termes de cinéma, on appelle cela le "montage".
Freud renouvelle Kant en montrant qu'il y a quelque chose de plus originel que les impressions psychiques ou les appareils sensoriels, un séjour "subjectif" d'un autre rapport à l'être et au néant ; une vocation réceptive d'abord et une vocation donatrice. Il y a une phénoménologie du phénomène de la figure en ses mutations.

Cette phénoménologie est dramatisation, car elle n'est pas qu'associative ; elle est aussi articulation. Elle donne une prééminence au visuel parce que l'image détient en elle-même, par elle-même, le pouvoir symbolique de la représentation indirecte. Il y a un soi caché de l'art et non un ordre du symbolique. C'est 1' "inscience" et l'inconscience du phénomène du théâtre ; ici, dans le rêve nocturne, un théâtre seulement cinématographique, un cinéma muet; la parole n'y est pas consommée.
Freud sauve la "phanie" par la figure; il sauve l'apparition jusqu'à l'hallucination comprise, l'apparition et non l'apparence.

Car si l'apparition est sauvée, la présence l'est aussi. L'élément singulier de ce travail de montage des figures du rêve est que le rêveur est sa propre caméra. Le rêveur assiste aux métamorphoses plastiques ; il assiste à son "rêvé", à son rêve. Il est à la fois acteur et spectateur, abstrait et concret. Vigile et endormi. Est-ce l'altérité fondamentale de l'Autre scène que cette extériorité intérieure ? Si le rêveur "sait" qu'il rêve par "inscience", sachant qu'il rêve, il sait qu'il dort. Alors le rêve dans le rêve comme le théâtre dans le théâtre accrédite une vérité du rêve et du théâtre. La finalité du rêve dans le dormir est bien l'hallucinante satisfaction, il faut pour cela l'autarcie d'un narcissisme absolu.

Cette inscience dans le rêve et dans l'onirisme a posé de redoutables questions aux hommes de théâtre. L'acteur est-il le personnage. N'en est-il qu'une figure comme dans le rêve? Doit-il s'identifier au personnage ?

A J.-J. Rousseau et à A. Artaud qui demandaient l'identification totale au personnage, naturelle pour l'un, mystique et cruelle pour l'autre, se sont opposés Diderot, Jouvet et Brecht qui ont voulu un dédoublement vigilant et critique devant les "phanies" de l'acteur. Les deux idéologies, car ce sont des idéologies, se trompent l'une et l'autre. L'onirisme du jeu représentatif n'exclut pas la lucidité et le procès critique. Ce n'est pas le phénomène qui est important, mais la manière de s'en servir. Quelle distance, l'acteur doit-il mettre entre le "jouant" et le "joué", le "rêvant" et le "rêvé" ?

Le somnambulisme de l'acteur, de ses figures doit sauver l'apparition du personnage, qui, en soi, pour soi-même, n'apparaît jamais, a priori, en "caractère". Il n'y a pas de personnage contrairement à ce qu'a pensé Stanislavski, mais des figures qui entrent dans un rêve-jeu, où rêvent et jouent dans le même temps l'acteur et le spectateur.
Il y a une consanguinité entre la surveillance et le déroulement, entre le rêveur et le dormeur, entre la censure et le désir.
Là, réside le narcissisme primaire sans représentation et sans représentants. On ne peut que soumettre le narcissisme primaire. C'est le génie primitif d'un narcissisme qui fait le rêveur et qui fait l'acteur. On euphémise cela en l'appelant le "don". Donc, par réceptivité et activité originaires ­ ce qu'on donne avant ce pour quoi on donne. L'hystérie, la théâtralisation ne sont pas des dons ; elles sont la compensation à ce qu'on ne peut donner et qu'on veut pourtant donner.
Reste alors à dire son rêve dans un récit à la fois censuré et à la fois relevé de la censure. Le travail du rêve et le récit du rêve ne coïncident pas, mais ils ont une structure commune. Le langage linguistique n'était pas dans le rêve, hormis quelques sous-entendus ou quelques pensées verbales comminatoires, mais la dimension non linguistique du langage séjournait et activait le travail du rêve. Le rêve écoute le silence du langage, dans la transformation du préconscient en inconscient. Dans le rêve, mis en forme de récit, ce n'est plus l'articulation du récit qui compte, mais le détail ou l'élément disant qui font retourner aux pensées langagières non linguistiques du rêve.

Ce n'est pas l'interprétation de l'acteur qui compte, mais sa puissance d'imagination, sa présence figurale, son pouvoir onirique de faire rêver. C'est ce qui lui échappe ­ non vu, non dit ­ qui fait l'art : le soi caché.
Le rêve pour Freud, comme syntaxe, doit éviter le déplaisir. Il ne l'évite pas toujours.
C'est que le rêve pour Freud, accomplissant le désir, est toujours inquiété par le désir d'accomplissement que l'accomplissement du désir ne remplit pas. De toutes façons, le désir d'accomplissement qui guidait le devenir des figures tropiques, des processus primaires, n'est pas rempli par le rêve. Le rêve peut accomplir le châtiment, mais non le néant, le non-être. Le dormir-mourir devient une hypostase dans le rêve, mais ne peu être la séparation.

Le rêve, dans ses premières fonctions, est l'établissement d'un lien psychique par rapport au traumatisme. Le rêve traumatique qui répète le traumatisme dont le sujet est sorti indemne est un lien. Sous le masque de la répétition, c'est la permanence narcissique qui perdure. Le rêve ne donne plus le sentiment d'une répétition, mais d'un retour, de quelque chose qui revient, ce qui n'est pas la caractéristique de la répétition.
Pour rêver, il faut avoir acquis le "concept de séparation" (sic Freud), mais la séparation est-elle un concept ou une expérience?
Une expérience irréductible au concept?

Freud et la séparation le jeu. Le jeu de la bobine (cf. Freud), le jeu au miroir deviennent le jeu symbolique d'une maîtrise de l'absence, l'acquisition d'une séparation. La pulsion de mort et sa fable sont inséparables : existence première, de l'inorganique, du non-vivant, de l'inerte.
Le désagréable se répète et l'inerte représente une force pulsionnelle.
L'unité primordiale est ce négatif en puissance de néant qui ne se fait jamais remarquer en tant que tel, qui est silencieux et qui peut s'associer aux pulsions de vie et d'éros.
La proposition spéculative de Freud demande bien des attendus. La compulsion de répétition ne peut se confondre avec l'automatisme de répétition. La nécessité, fautive de toute compulsion est une croyance ou n'est qu'une croyance (sic Freud).

C'est vrai qu'on voit des engagements de théâtre établis sur la compensation par le jeu approximatif de ce qu'on n'a pas eu. On devient alors ce qu'on n'a pas eu. C'est le propre de l'identification à l'absence.
Etrange identification narcissique avec maintien de l'objet en absence où l'on joue et la vie et la mort de l'objet et de soi-même.
Il est vrai qu'un véritable acteur-artiste ne peut s'avancer que masqué par l'image de sa mort au-delà d'un disparaître et d'une aphanisis du sujet.

Le jeu ludique de Freud, qui ne cesse d'acquérir le plaisir et la jouissance de soi par soi, par la répétition même, vit sous la menace d'un retour au néant. Le jeu permet de se séparer non de l'objet, mais de la pulsion de mort. A vrai dire, le jeu, n'est ni une liaison ni une dé-liaison.
C'est une séparation qui tient le sujet et l'objet tenus dans une séparation. Séparés, mais tenus.
Il est bien entendu que l'exemple de Freud, son petit fils à la bobine, ne vaut que parce que cet enfant a pu "mesurer" l'absence de l'objet maternel. Il a pu envisager la nostalgie et son jeu se greffe sur cette amplitude du possible d'une absence et d'un retour.

S'il n'avait pu investir l'absence, il n'aurait pas pur jouer à la "bobine" (voir en cela les enfants psychotiques ou autistes).
Qu'en est-il des acteurs qui répètent et qui jouent ? On ne peut traiter le personnage à "jouer", comme un "objet" au sens analytique du mot.

Dans l'écriture du dramaturge, dans l'organicité de la pièce, de la scène, un personnage intervient comme une possibilité d'acteur. Il y a inscrit dans le personnage, l'acteur en puissance. Il y a déjà du "jeu" dans l'écriture dramatique. Du "jeu" pour un acteur futur et pour un spectateur tout autant futur puisque possible. Plus il y a de "possible", plus il y a un champ ouvert à l'interprétation, plus il y a de "jeu". Le problème de l'identification, infiniment ressassé, est spécieux et même "faux". Un acteur n'a pas à s'identifier à un personnage, car un personnage n'a qu'une existence d'objectivation. Tout le monde peut être Phèdre ou Hamlet, mais tout le monde ne peut pas les rendre accessibles, crédibles, révélations d'art.

L'acteur est une construction, au sens freudien du mot "délirant" qui laisse venir à lui, le texte, le déploiement et le jeu du texte. En rester aux effets de texte, au plaisir du texte n'est pas encore "jouer", n'est pas encore du théâtre. C'est de la démonstration hédoniste par où le théâtre s'est toujours affaibli, amoindri, consumé.
La finalité d'un texte de théâtre demande la médiation de l'acteur en premier lieu sinon il reste voué aux idéologies, aux commentaires, aux "lectures", ces parasites du théâtre.

Ce qu'on appelle répétition au théâtre n'est pas une répétition au sens freudien du terme. La répétition ici n'est ni le ressassement, ni la rengaine, ni la compulsion, mais la nécessité contractuelle d'une construction :
· construction d'un personnage issu de ce qu'est l'acteur (son histoire, son humeur, toutes ses contingences ;
· construction de la scène (l'enjeu) ;
· construction du public.

C'est dans la construction du public que se révèle la finalité sans fin de l'art. Construire le
public, c'est offrir une construction, circonstanciée, certes, qui concerne l'imaginaire d'un public donné et son inconscient. C'est là où se situent des identifications possibles. Ce n'est pas une psychologie des masses et l'identification du fragment au tout, mais la possibilité de rêver sur le fonds commun et non la communauté de signification préétablies.
C'est là où le "jeu" rejoint le rêve. Qui rêve alors ? Ni l'acteur sur la scène. Ni le spectateur dans la salle. Mais la scène d'acteur s'accomplit dans l'inconscient du spectateur (et cet accomplissement est le même pour tous) en délire de rêve scénique. C'est pour cela qu'il y a du "jeu".

L'enjeu du jeu : Le "jeu" ne concerne pas que le jeu d'acteur, le jeu scénique ; le jeu demande un "public" (fut-il absent) et le travail des répétitions est de susciter cette altérité que deviendra le public, que remplira le public... ou non.
Le jeu de l'enjeu du théâtre défie l'exhibition, l'hystérie, la compensation et en partie la sublimation.
Le jeu du théâtre est un grand rêve transcendantal en apposition au monde, en roue parallèle, en analogie.

Un acteur n'a pas à faire "comme si", à partir d'un personnage, mais à "faire analogue", c'est-à-dire donner à voir, à entendre, à penser, à vivre la ressemblance parfaite de deux rapports d'un jeu d'acteur à son aventure personnelle, d'une écoute de spectateurs qui est aussi un jeu, à son aventure personnelle.

Dans le dépouillement biographique des acteurs et des spectateurs, dans l'abandon d'eux-mêmes à une autre vie, celle de l'art théâtral, de la dimension théâtrale d'une "histoire", le commerce de théâtre ne se fondera pas uniquement sur l'économie masochique du transgressif comme Freud l'a pensé, trop brutalement à mon avis, mais comme ce qui est accueil et réception (fut-ce un horrible crime).
L'enjeu du jeu théâtral n'est ni une illustration de texte ni une dramatisation, ni une mimesis (cette perversion du jeu) c'est une analogie du soi caché de l'art. Ce qui n'est pas contradictoire avec une volonté pragmatique et un matérialiste de lettre.
Le spectateur est aussi un acteur. il n'est pas passif, mais réceptif et actif dans sa réceptivité. Il doit accepter activement de ne pas parler, de ne pas bouger. Afin de rêver, il doit accepter activement de dormir et... de mourir. Au même titre que l'acteur.

C'est là où le théâtre de la psychanalyse en tant que théâtre, peut mieux faire comprendre cette dimension téléologique. Il y a une grande métaphysique du rêve par le jeu théâtral. Le théâtre est la longue marche de ce qui, au fond du public, est privé. Aucun socius, aucune idéologie ne l'aliènent.

Ni la psychanalyse, ni le théâtre, ni l'art, ne sont une terre trouvée. Ils sont terre promise et terre d'exil.
Le théâtre est un grand rêve constant, un travail qui répond aux exigences du travail de rêve dont la première fonction est de lier psychiquement le monde extérieur traumatique au monde interne tout aussi traumatisant. On ne pourra jamais ôter la valeur cosmique et religieuse au théâtre, fut-il athée, marxiste... ou de "boulevard".
Au théâtre, on ne "joue" pas le texte - il joue tout seul -, on ne joue pas la situation ­ elle n'a pas besoin d'interprétation ­, on joue l'enjeu d'un devenir et d'une finalité.
L'erreur de la psychanalyse appliquée, c'est d'appliquer des structures préalables de conflit avant que se déploie 1' conflit de sens par la médiation du système figural et représentatif événementiels.

La vérité de la psychanalyse avec Freud est de faire comprendre analogiquement, théâtre du Psyché, théâtre du monde, théâtre dans le monde et défi à ce monde.
Y a-t-il un théâtre juif ? Non, mais le destin tragique du peuple juif dessine un théâtre qui ira jusqu'à l'extermination.
Le théâtre grec est une fin destinale. Il signe l'éclatement et la fin d'un peuple. Le théâtre grec achève la pensée grecque, c'est d'abord une passion qui fera parler autant Platon qu'Aristote... puis Hegel, Nietzsche, Heidegger, mais sans le peuple grec...

Le fictif

On a ravalé le fictif au faux ; l'art théâtral est devenu par excellence le "mentir vrai". Ceci relève de l'imposture. Que l'art soit le "vrai rien", le courage de dire non au néant, le refus de toute complaisance nihiliste, le désintéressement passionné, bref une économie de la mort, certes, oui, mais que la fiction, cette part possible du réel, ce refus de la nécessité, ou de moins cette acceptation de la nécessité que seulement comme une croyance, cette vérité du néant est alors l'enjeu du destin qu'a ressaisi la psychanalyse, fût-elle aussi athée qu'avec l'homme Freud.

Est-ce le règne de la seule illusion pour laquelle il y a ludisme ? Oui et non. L'art théâtral ne promet pas de récompense malgré la scansion des bravos à la fin de la représentation, ne promet pas d'autre monde ; il peut donner de la jouissance et de la connaissance, partageables..., mais s'il ne promet pas un autre monde édénique, il figure l'outre-monde, ce qui dans le monde s'est déjà séparé de lui-même, le jeu du monde par où le monde communique avec l'homme.

Cassandre, dans l'Agamemnon d'Eschyle, prophétise sa mort ; c'est une transfiguration. Dans ce même Agamemnon, ce n'est pas le meurtre de son mari qui rend intéressante Clytemnestre, mais le meurtre d'une présence tant attendue, plus onirique dans sa survenue que dans toutes ses évocations. Clytemnestre est transfigurée par son meurtre. Elle n'a pas vaincu les dieux, mais est entrée en correspondance avec eux (voir en cela, l'extraordinaire dialogue de Clytemnestre avec le choeur après le meurtre d'Agamemnon).

Jocaste est transfigurée dans les dernières paroles qu'elle adresse à OEdipe avant qu'elle se pende. C'est le plus bel adieu de la consanguinité qu'on puisse entendre. Rien de pathétique, mais un "dé-jeu", un par-delà le jeu, une dé-création de transfiguration qui est encore une création, peut-être même l'origine de toute création.
Ces moments de "connaissance" intuitive, transfixiants et transfigurants sont l'extraordinaire du théâtre et des cures.
Les pluralités psychiques ici, se réduisent, non au profit de l'un, mais de l'unique. La machinerie narcissique s'arrête. Il n'y a plus ni justification, ni nécessité d'être aimé, mais le don absolu d'une essence humaine.

La sublimation

Comment alors, avec la psychanalyse de Freud, peut-on revisiter la sublimation et le sublime du théâtre ? Freud voulait y situer une désexualisation, une inhibition, quant au but sans idéalisation de l'objet à proprement parler. Qui devient alors "sublime" ? La finalité sans fin ou la transfiguration de la mort ? Quel est le sens de la promesse éthique d'une esthétique possible du théâtre, visité par la psychanalyse ?

On ne peut se passer d'une promesse éthique. Personne ne doit en ignorer le prix terrible, voire sanguinaire. Le théâtre hédoniste comme la psychanalyse hédoniste sont des impostures. Déconstituer les idéologies historiques, pédagogiques, politiques des traditions pour garder sauve la tradition cachée du soi caché de l'art. La faiblesse des déconstructeurs est leur machinerie narcissique. Ce ne sont plus des artistes. Nietzsche ayant été le seul et dernier déconstructeur "artiste".

La vision esthétique, au-delà de l'ordre des corps et du langage (de leur démembrement éventuel) est un passage qui fait fi et défi des fragmentations et des disséminations possibles.
Déjà, avec le rêve, on quittait le monde et le mode des tropes pour le monde et le mode des figures en vue de transfigurations où cette transfiguration ne réponde que d'elle-même.
Tout est "menaçable" dans les théâtres dramatiques de langage et de psyché. Pas au même titre et pas de la même façon. La fragmentation du discours n'a pas de correspondance immédiate au niveau du mécanisme psychique.

L'imagination est aussi souffrance, contrairement à ce qu'a cru Kant. Elle n'est pas là uniquement pour dépasser la souffrance ou la difficulté. Elle est aussi cette difficulté des terreurs et des pitiés. Elle ne donne pas de supériorité. Elle rend plus vulnérable au contraire.
Les acteurs imaginatifs sont fragiles. Ils ne vivent que de ce qui leur échappe. Ce qui leur échappe est leur don. Cette échappée peut être ressaisie par une fascination de conscience pour son inconscient.

Mais la vision n'est jamais proprement oculaire, l'ouïe n'est jamais proprement écouté. Le rêve visionne aussi des esprits et des "abstracts". Il les rend visuels en tant qu'oeil de l'esprit où l'oeil n'est pas que son propre agent. Abstraction et concrétude ne sont pas antinomiques.
L'Autre Scène est une Idée, et la scène de théâtre est une pratique. Les deux ne sont pas les mêmes "scènes", mais ne sont pas non plus incompatibles. Il y a analogie. Et il y a de la scène de théâtre dans l'Autre Scène et de l'Autre Scène dans la scène de théâtre.

Freud, à l'instar de Goethe, a gardé de la nature dans l'homme. L'oeil n'est pas l'écho spéculaire du soleil, mais il est soleillant... même quand Freud réduit la terreur du sublime, devant le Beau, en connaissance apaisée, à l'admiration tranquille il ne délivre pas le familier de l'étrange ou l'étrange du familier. Il les garde tous les deux.
Ce qui pourrait être appelé astuce du regard imaginatif, voire truc (à la Cocteau), stratégie (à la Poe ou à la Hoffman) est aussi la puissance du miracle. Psychanalyse et théâtre s'inscrivent dans la thaumaturgie qui va du truc, du procédé ­ de la technique ­ au miracle (la "guérison par surcroît") où la révélation du "Beau-Sublime" demande terreur, sang et cruauté.
Cette tradition cachée, ce soi caché de l'art est toujours dévoyée, travestie, par les traditions officielles, ou les déconstructions des traditions (celles dans lesquelles l'intelligentsia du monde moderne veut nous faire vivre).
La psychanalyse, comme le théâtre, appartiennent aux traditions cachées.

N.B. : Note sur le psychodrame
Le psychodrame psychanalytique mérite un chapitre à part. Historiquement, le psychodrame pratiqué par des psychanalystes, est issu des travaux des jeux de rôle de Moreno. La psychanalyse l'a intégré d'une manière tout à fait essentielle. Car on peut dire que le psychodrame était inclus dans la pensée même de la psychanalyse, Freud au départ. Mélanie Klein en faisant valoir les "jeux" de l'enfant comme des associations verbales et de pensée, a été, en fait, la première à faire émerger la technique et la dynamique du jeu comme médiation de compréhension et de thérapeutique.

S'il y a un ludisme infantile, un jeu symbolique par-delà le principe de plaisir, il y a avec, constituant et constituée par le complexe d'OEdipe, un "roman théâtral". Romanesque du
roman familial qui se transpose en "roman théâtral" et qui ne peut pas ne pas évoquer tout le "romanesque" qui infiltre toute la dramaturgie théâtrale: de Sénèque à Genêt.

Le jeu est aussi une "névrose actuelle" et la représentation est une doctrine. Peut-être, dans ce domaine privilégié comprend-on mieux que l'acte et la pensée ne sont pas dans une antinomie aussi grande et absolue que Freud ne l'a cru : "Au commencement était l'acte", dit Freud après Goethe. L'acte comme passage, appartient aussi à la pensée et la pensée n'est pas que cette réduction de l'être à une réserve économique d'un retrait d'agir. L'actualisation, la névrose actuelle du jeu, ne dissocient pas l'acte du fantasme.

De même, on ne peut dissocier mimesis et catharsis aussi exagérément que la pensée traditionnelle le fait. L'acte d'énonciation est contemporain bien que conflictuel en son être même de la pensée de l'énoncé.
Le passage du mouvement tropique au performatif n'es encore qu'une euphémisation positiviste, des pensées "actuelles" et propositionnelles du langage.
C'est d'ailleurs pourquoi le psychodrame s'adresse, avec privilège, aux problèmes des troubles de l'identité (adolescence, psychose), non plus en raison des "jeux de rôle" en miroir où le sujet ne dépend que du regard d'autrui, mais à la prise en conditionnalité subjective de toutes les énonciations et actualisations possibles. Le "je" devient un symbole et non plus un symptôme. Une liaison dé-liante.
Le psychodrame appartient à la psychanalyse freudienne avec le jeu fantasmatique pulsionnel, révélé avec le roman théâtral de la complexion oedipienne.
Le psychodrame est dans le théâtre, avec les mimodrames fondateurs, les jeux à mystères, et surtout les psychomachies.

Résumé

La psychanalyse et le théâtre comme "représentation" ont des affinités par les syntaxes du jeu, du rêve, de la figuration.
Mais il s'agit plus, dans la psychanalyse chez Freud, au départ, de métaphores théâtrales
"représentatives" qui rendent insuffisamment compte de la "pensée théâtrale du théâtre".

Summory

Psychoanalysis and theater as 'performance" have affinities for the syntax of the game, the dream and the figuration.
But in the early psychoanalysis of Freud (at the start) it is more a matter of theatrical metaphor 'representatives' which insufficiently represent the theatrical 'thought' of the theater.


Bibliographie

Freud (S.), Etudes sur l'hystérie, Paris, P.U.F. ; Essais de psychanalyse appliquée, Paris,
Gallimard; L'Interprétation des rêves, Paris, PUF ; Le mot d'esprit et ses rapports à
l'inconscient,
Paris, Gallimard, Personnages psychopathiques à la scène, R.F.P., 1980-1.
Gillibert (J.), Les Illusiades, Paris, Clancier-Guénaud ; Le psychodrame de
la psychanalyse,
Paris, Césura.
Green (A.), Hamlet/Hamlet, Paris, Balland.
Mannoni (O.), Clefs pour l'Imaginaire, Paris, Seuil.
Winnicott (W. D.), Jeu et réalité, Paris, Gallimard.

Key words: identity crisis, cultural depression, collective or private, individual/society,
narcissism, epistemological revolution, psychic reality, romantism.

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