Psychanalyse dans la Civilisation
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La psychanalyse comme réponse aux désordres
identitaires de la modernité post-romantique ?
Jean Guillaumin
Psychanalyste,
Société Psychanalytique de Paris
Lyon, France
Jean Guillaumin

Professeur de Psychologie clinique, titulaire de chaire de 1970 à 1990, Professeur Emérite de l'Université Lumière-Lyon 2, le Professeur Jean Guillaumin est membre de l'équipe doctorale de l'Université Paris X-Nanterre, fait partie de diverses sociétés scientifiques françaises et étrangères et a également été membre de commission de l'Education nationale ainsi que du Comité Constitutif des Universités. Il a publié de très nombreux ouvrages dont, notamment:

Ouvrages personnels

La dynamique de l'examen psychologique et l'analyse de l'interaction dans une situation de face à face, Paris, P.U.F., 1965, 1re édition, Paris, Dunod, 1977, 2e édition. Traduit en espagnol.
La genèse du souvenir (souvenir d'enfance et enfance du souvenir), Paris, P.U.F., 1967.
Le Moi et le rêve, Paris, P.U.F., "Le Fil rouge", 1979. Traduit en espagnol.
Psyché, études psychanalytiques sur la réalité psychique, Paris, P.U.F., "Le Fil rouge", 1982. Entre blessure et cicatrice, le destin du négatif dans la psychanalyse, Seyssel, Champ Vallon,
coll. "L'Or d'Atalante", 1987.

Ouvrages dirigés par J. Guillaumin, avec contributions personnelles

Corps création, entre Lettres et Psychanalyse, Lyon, P.U.L., 1980.
Quinze études psychanalytiques sur le temps (traumatisme et après-coup), Toulouse, Privat,
1982.
Pouvoirs du négatif dans la psychanalyse et la culture (codirigé avec Murielle Gagnebin), 1988, Seyssel, Champ Vallon, coll. "L'Or d'Atalante".

Il a également publié quelque 150 articles, fait de nombreuses conférences et participé à de nombreux congrès, tant en France qu'à l'étranger. Il continue aussi de diriger des recherches dans le cadre de l'Université.

Le texte ci-après est publié dans cette revue au titre de "bonnes feuilles" avec l'accord de l'auteur et celui des directeurs ­ Henri et Madeleine Vermorel ­ d'un livre collectif, à paraître, auquel il est destiné.
L'ensemble auquel il appartient est issu d'un colloque tenu à Cerisy, en juillet 1990, sur Freud et la pensée romantique. Nous renvoyons à la lecture l'ouvrage annoncé.




La psychanalyse comme réponse aux désordres
identitaires de la modernité post-romantique ?

La thèse personnelle que j'exposerai ici1 est sans doute digne d'intérêt malgré le grand nombre de sources de variation et d'interactions culturelles qu'elle cherche à prendre en compte, et qui en rendent plus difficile la démonstration rigoureuse.
Je me propose non pas d'expliquer, au sens causal du terme, mais de mettre en lumière, pour en comprendre un peu mieux les liens de nécessité logiques et la cohérence d'ensemble, les rapports dynamiques qu'entretiennent l'éclosion et le développement de la psychanalyse, inventée par Freud dans le creuset de la Vienne des années 1900, avec les profondes modifications culturelles des temps modernes, dont cette Vienne a été dans ce temps-là un lieu et un témoin privilégiés.

Le point de vue que j'adopte n'est pas celui, méticuleux, de l'historien, ni non plus celui du sociologue armé de statistiques et de modèles spécifiques, mais c'est essentiellement, celui même du psychanalyste. Il s'agit d'interroger autant que faire se peut les dimensions latentes du matériel que fournissent les associations et les oppositions manifestes qui se présentent au regard de tout observateur cultivé d'aujourd'hui sollicité par de telles questions.
Je tenterai de montrer comment nous pouvons concevoir, dans le cadre métapsychologique utilisé précisément par la psychanalyse pour décrire le fonctionnement de l'appareil psychique humain, assujetti à la problématique du dehors et du dedans entre dépendance aux objets externes et nécessaire élaboration des objets internes ­ le mécanisme et le destin de cette espèce de renversement vers l'intérieur de la question de l'identité qu'instaure et que poursuit ensuite méthodiquement le choix tout à la fois épistémologique et praxique inauguré par Freud.

Une série de points essentiels alimenteront ma thèse et soutiendront mes conclusions et les discussions que, je l'espère, elles appelleront. Ces points concerneront successivement :
1. la nature, l'objectif ­ ensemble cognitif et éthique-, et la nouveauté de ce qu'on a appelé à juste titre la "révolution" freudienne ;
2. les caractères dominants de ce qu'on est en droit, avec maintenant deux siècles de recul, de considérer, et le mot revient mais en un sens un peu différent, comme la "révolution "sociale et économique des temps modernes, dont les mouvements souvent convulsifs s'étendent, avec des effets variés mais sur fond de tendances constantes, du XVIIIe siècle à notre époque, embrassant notamment, dans le domaine de la pensée, l'immense et complexe mouvement "romantique", avec ses avant- et ses après-coups ;
3. une troisième "révolution" enfin, identitaire, celle-là, due à l'incidence des attitudes de pensée et des conduites et événements collectifs ou individuels modernes sur ce qui, après tout, est le plus précieux pour l'être humain : sa personnalité et son équilibre dans son rapport avec lui-même et avec les autres, ou, si l'on veut, avec "l'environnement" social. Car c'est aux effets de la révolution sociale et économique des temps modernes sur l'identité personnelle que répond la démarche freudienne : moins pour les corriger ou les amplifier que pour en rendre gérable la violence douloureuse.

I. Première assertion, dont je ne saurais, dans l'espace restreint de cet écrit, discuter toutes les preuves et présomptions, fort sérieuses pourtant, et sur lesquelles je m'oppose quelque peu avec d'autres appréciateurs des sources et du sens de la découverte de Freud : la découverte de la psychanalyse a la valeur d'une véritable mutation épistémologique et technique. La psychanalyse n'est pas le produit prévisible, obtenu par petites différences, successives et insensibles, d'une évolution" plus ou moins linéaire des attitudes et des techniques thérapeutiques, qui, du mesmérisme, de l'hypnose et de la suggestion, mènerait doucement à la position et à la pratique2 freudiennes. Certes, la psychanalyse naît de l'héritage d'une pensée médicale et d'une mode praticienne auxquelles Freud a commencé par s'affilier et qu'il a continué dans ses années préanalytiques, entre 1880-1895. Mais l'examen attentif des décisions concrètes par lesquelles, en peu d'années, il a ensuite organisé le cadre de son approche thérapeutique propre entre 1893 et 1900, et tout autant celui de la manière dont se précise alors, dans ses écrits ­ en un sens que toute son évolution ultérieure ne cessera d'accentuer encore ­ sa démarche cognitive à l'égard du matériel de pensée et du discours du patient, montrent amplement, à mes yeux, que, loin qu'il s'agisse d'un héritage, reprise de façon plus ou moins originale mais en partie mimétique de ses prédécesseurs, on a affaire au produit d'une contestation et d'un refus, obtenus par renversement, renoncement et rupture par rapport aux pratiques alors en cours.

Comme je l'ai déjà souligné ailleurs3, le "cadre", largement entendu, ou si l'on veut le "dispositif" d'ensemble de la cure psychanalytique, résultent en effet d'un arrachement psychique de Freud au lien de suggestion qu'il a d'abord pratiqué, et qui assujettit le patient au thérapeute et, corrélativement, dans la toute puissance et l'omniscience supposées du thérapeute, le soignant au patient. Freud, à titre essentiel, en renonçant à l'imposition des mains, aux injonctions verbales, et en se plaçant hors de la vue du patient, se met en retrait à l'égard de la fascination par les messages sensibles les plus puissants et les plus manifestes provenant du patient, cela dès avant les années 95 fort probablement. Et du coup, il inaugure aussitôt le retrait à l'égard de lui-même, la prudence, voire la défiance à l'endroit de ses premiers mouvements psychiques visant l'analysé. La position de l'analyste est d'emblée initialement réservative, ascétique, abstinente : respectueuse au sens étymologique (re-spicere, y regarder à deux fois...). En appui sur son auto-analyse, Freud entreprend de poser l'attention, l'attente et, de là, l'interprétation du latent sous le manifeste comme valeurs fondatrices de l'attitude et du processus analytiques. Bien entendu, cette disposition, qu'il approfondit et développe, et que les "règles" de la psychanalyse, avec leur structure suspensive, "négative", anti-positiviste (l'association "libre", "l'attention également flottante"...), garantiront, restera, bien après les contradictions en tâtonnements du début, en tant qu'élément ou point focal de la psychanalyse, toujours en litige et en danger d'être séduit par le manifeste et la violence de l'actuel. Même protégé par la référence au transfert, l'analyste demeure en péril, incessamment, de se prendre sans recul à son propre insu et durablement, pour ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire pour celui pour lequel le patient, inconsciemment, le prend... Paradoxalement d'ailleurs, il est nécessaire qu'il en soit ainsi,
originairement et répétitivement : c'est la part d'humanité banale, de transgression narcissique naturelle et comme résiduelle par laquelle l'analyste communique en termes d'identifications primaires avec le patient, et sans laquelle, il n'y aurait pas non plus de "travail" à faire pour s'affranchir de l'immédiat et du superficiel, donc pas d'analyse. Mais l'analytique proprement dit, comme tel, apparaît, mieux, il réside dans le décollage identificatoire, dans la distance interne prise bien tôt à chaque fois, à l'égard de cette communication primaire nécessaire, mise en cause et, littéralement, en question par "l'interprétation". De celle-ci, tout l'art est en fait dans l'interrogation aventureuse et méthodique qui vient incessamment, par sa présence même, ébranler la naïveté, douloureuse ou tranquille, des croyances dénégatoires de l'évidence omnibus.

Cette disposition psychique, ascétique, vraiment capitale, cette éthique et cette retenue, à la fois sensibles et secrètes, sans lesquelles il n'y aurait pas l'ombre d'un commencement de psychanalyse, et qu'exprime concrètement au-dehors la technique de la cure, Freud la conquiert en quelque sorte violemment, aux origines de sa pratique spécifique, contre la tendance dominante, à l'époque, de la psychiatrie de suggestion et de la manipulation médicale. Il déchire ainsi la complicité inconsciente aussi bien que consciente du praticien et du patient et il intercepte (interdit en le nommant) le désir de contact et de pression qui circulent entre eux. Il refuse d'être le "maître", le gourou, le séducteur, mais aussi l'esclave. Et peu importe que revienne souvent ensuite, chez lui, à la manière d'erreurs ou d'illusions techniques, la tentation transitoire d'imposer, d'instruire, d'informer, de châtier même, ou au contraire de céder, de s'abandonner au vertige. La brèche, la rupture novatrice est faite dès le premier doute : dès qu'il a renoncé au contact physique puis sensori-moteur permanent avec le patient, et se retire non seulement derrière lui, mais aussi dans le silence de l'écoute et de l'attention flottante. Tout le reste (en dépit de l'opinion à contresens de ceux qui lui prêtent le mérite d'avoir été avant tout un "biologiste de l'esprit" !)4, insistons-y, vient de là. La psychanalyse n'a plus à se trouver mais seulement à se densifier, à se décanter à travers des crises théoriques et pratiques successives, Freud assume et intériorise lui-même, notamment après 1905, entre 1915 et 1920, et surtout dans ses dix-huit et vingt dernières années, les principes intimes issus d'une logique qui est déjà intrinsèque à la pratique et à l'épistémologie de rupture qu'il a fondée et liée à sa propre vie, et qui est son instrument de travail quotidien, autant que l'essentiel de sa philosophie personnelle.

Si maintenant, on se penche sur la signification que prend cette démarche à l'égard du mode commun de fonctionnement mental des hommes, et du lien social banal qui tisse inévitablement leur identité, depuis la naissance et avant, dans leur relation avec les autres, on voit que la psychanalyse invente à Vienne, vers la fin du siècle passé et au commencement du nôtre, une sorte de machine, de "dispositif", à décoller, ascétiquement, les partenaires de la cure (couple prototypique du rapport interhumain) de leurs dépendances psychiques sensori-motrices directes l'un à l'égard de l'autre, cela pour introduire dans leur esprit, par le travail à deux des fantasmes privés enfouis dans le quotidien des pensées, une évaluation peu à peu distanciée et personnelle, individuelle et individuante, de ce qui se joue d'abord spontanément mais obscurément dans l'attraction et l'empiètement des êtres les uns sur les autres.

La rupture épistémologique freudienne a pu à certains égards être comparée justement à celles opérées jadis dans la pensée philosophique par l'ironie socratique, ou par le doute méthodique cartésien. Elle constituerait, Freud même l'a d'emblée saisi, une révolution "kantienne" (plus que "copernicienne") de notre banale position de croyance et de nos sommeils dogmatiques habituels. Elle est en effet criticiste, fondamentalement. Elle place le jugement de vérité dans le sujet, qu'elle détourne de croire que ce qui se donne à croire puisse l'être pour quelque motif que ce soit sans débat, et de lui assurer, en adhérant par la soumission à ce qui vient d'un ailleurs du jugement, une paix de la conscience qui évacuerait la conflictualité intime et l'ambiguïté du vécu. Il faudrait ajouter que la réserve et le recul freudiens ressemblent à la mise en suspens, à l'Epoché phénoménologique husserlienne, elle-même fille de Descartes et de Kant.

On pourrait dire autrement encore: que Freud instaure dans l'envisagement du lien interhumain, une révolte du type "protestant". Il rejette l'autorité du Moi soumis sans écart au Surmoi et à l'Idéal du Moi, comme les protestants ont rejeté l'autorité romaine et réclamé le libre examen des écritures. Mais Freud n'est ni un philosophe, ni un théologien ; et c'est le souci premier de la pratique qui le distingue. Il ne veut s'occuper (quitte à en induire, mais secondairement, une anthropologie ou du moins une théorie psychologique et culturelle générale, que de guérir la souffrance humaine particulière..., en lui donnant le moyen, dans la distance et, ensemble, dans la commensalité, de se soigner elle-même par la remise en cause de la dépendance passionnelle du sujet concret hic et nunc aux objets réels externes sur lesquels il projette actuellement le grandiose objet narcissique interne du manque et de la frustration. Les comparaisons, kantiennes ou huguenotes, que j'évoque ici (après d'autres) ne sont donc que des analogies lointaines. Elles ont ceci de fondé que Freud, comme Kant (et déjà Descartes), et aussi comme Luther ou Calvin, rompt avec l'autorité et le dogmatisme du pré-jugé. Pour lui, cependant, cette rupture véritablement épistémique, qui refuse même l'appel à des néo-croyances de substitution, à des influences suggestives, des ferveurs idéologiques consolantes, concerne non seulement les matières de foi, ou les spéculations ontologiques, mais toute forme de pensée vivante qui peut surgir dans l'esprit du patient, comme aussi bien, par le contre-transfert, dans celui de l'analyste. Ici, sans doute, il y aurait lieu de se demander ce qui, dans l'audace et la liberté de Freud, revient, plus qu'au savant imbu de rationalisme occidental, et à l'homme cultivé, marqué culturellement par l'histoire de la soumission et de l'insoumission dans le christianisme, au juif, devenu incroyant5, mais ayant le culte ou plutôt le respect foncier de la vérité invisible du tréfonds du coeur, et refusant de troquer l'arche d'alliance "vide" contre des idoles et des veaux d'or destinés à rassurer l'angoisse d'Israël au désert... D'une certaine façon, tout Freud est dans le refus des idoles, internes comme externes, et le noyau de l'attitude psychanalytique au centre même du dispositif de soin et d'écoute, est là aussi.

II. Mon second point sera pour situer la "révolution" freudienne (ainsi réalisée par renversement, rupture épistémique, et rejet de la dépendance commune au donné-à-croire, à voir ou à sentir de la vie courante) dans le mouvement de son temps que j'ai dit, fait lui aussi d'un changement révolutionnaire. La Révolution freudienne dans la révolution culturelle en somme.

Il s'agit avec cette dernière de la mutation lente ou violente, selon les moments, des sociétés modernes occidentales, dont le devenir s'est, sur deux ou trois siècles, orienté dans la direction générale de la personnalisation et de l'individuation. Toutes les études dont nous disposons sur le XVIIIe, le XIXe et le XXe siècles conduisent en effet inéluctablement à mettre au centre de la perspective que dessinent la suite des événements et le devenir des mentalités le problème de l' "individu" dans son rapport au social tel qu'il s'exprime par les systèmes politiques, et les croyances idéologiques, philosophiques, scientifiques ou religieuses. Une immense interrogation est née, d'abord lisible seulement à l'échelle collective mais intéressant chaque personne particulière, des suites lointaines de la Renaissance, liée à la libération et à l'accroissement des connaissances offertes aux individus. Le protestantisme lui-même est ici à la fois une conséquence et une cause de ce mouvement général en Occident. Sans entrer en effet dans une discussion approfondie sur les sources du progrès de la conscience et de la critique individuelles en Occident face aux croyances établies et aux valeurs dogmatiques, politiques ou religieuses, on admettra comme actuellement établi par l'histoire, la politologie et l'anthropologie modernes que nos sociétés se sont trouvées assez récemment (à l'échelle séculaire...) contraintes de poser et de tenter de résoudre une question devenue urgente et auparavant jamais pointée (sinon privément, par quelques esprits exceptionnels) : comment accorder l'incontournable unité participative, ou même la sorte de communion que réclame toute vie sociale avec la reconnaissance désormais tout aussi incontournable des droits de l'individu, et de sa fonction de jugement et de choix ? De Hobbes à Max Weber, à Durkheim en passant par Rousseau, Comte, et bien d'autres parmi lesquels Marx, c'est là qu'est l'aiguillon, et que, selon les auteurs, les solutions varient pour faire de l'homme, de manière non contradictoire, à la fois la partie d'un tout (y compris par ses valeurs) et, véritablement, un individu opposable à tous les autres. Sociologues, philosophes, théologiens se sont, on le sait, efforcés depuis 200 ou 300 ans, de repenser, sous cet angle, les fondements du lien social inné, acquis, conventionnel, libre, obligatoire, réel, artificiel, détestable ou protecteur? Et Freud même, en son temps, s'est lui aussi, en 1921 notamment, attaché au problème dans le point de vue de la psychanalyse. Mais plus frappant encore est le fait historique (bien mis en lumière par des études comme celles par exemple de L. Dumont, ou d'autres) non seulement que les "crises" révolutionnaires (au sens politique) du monde occidental depuis 1789, mais aussi les catastrophiques séismes guerriers et moraux du XXe siècle (les deux grandes guerres, avec la monstruosité du nazisme et la violence stalinienne), relèvent de la même tentative devenue, au XXe siècle, perverse, incontrôlable, et comme désespérée et fanatique, de réguler les rapports Tout social / Individus, ou encore Etat / Individus (en aplatissant de nouveau l'un sur l'autre mythes publics et croyances privées...)

Les données du même problème se retrouveront, d'ailleurs incontournables, dans la grande méditation sur la démocratie à laquelle nous convoque aujourd'hui l'effondrement récent du dernier bloc totalitaire majeur.
De tels faits obligent à interroger plus avant le fonctionnement psychique des humains comme êtres sociaux De ce fonctionnement intime, il est, soit dit en passant, remarquable qu'on ne se préoccupe vraiment que depuis moins d'un siècle, comme si, jusque-là, il allait de soi que ce qui se passait à l'intérieur d'un esprit particulier n'avait d'intérêt qu'eu égard à une sorte de Psyché collective6.

La réponse appelée par la question qui est ainsi soulevée, semble bien pouvoir s'énoncer dans les termes suivants : les êtres humains tiennent ensemble spontanément par les formations les plus archaïques et les moins différenciées de leur psychisme7, qui perpétuent ou reproduisent l'héritage des condensations et solidarités narcissiques primaires fondées sur d'étroites interactions d'identification projective, que le bébé a vécues dès sa naissance et même avant. Et ce que nous appelons l' "individuation", toujours difficile, progressive et vouée à rester en partie inachevée, consiste ­ quelque valeur éthique et thérapeutique qu'on accorde à cette notion ­ dans un travail interne de séparation et de différenciation psychique ; imposé par le Moi conscient, sous la pression de la réalité, à ces formations obscures, profondes, qui abrasent et nient les différences, et dont les croyances et idéaux collectifs recueillent habituellement, chez l'adulte, les inévitables restes infantiles, ainsi mis en commun.

Les solidarités identitaires narcissiques archaïques vécues par les divers individus d'un groupe forment, en quelque façon, le ciment intrapsychique des socialités interindividuelles. Et ce sont elles, bien entendu, qu'utilisent les collectivités humaines et ceux qui les dirigent pour fonder et rendre impérieuses les idéologies, croyances et pratiques de tous ordres qui définissent la communauté sociale. C'est un point que Freud, le premier sans doute, a parfaitement entendu. Dans ces conditions, on comprend que, plus la part de tels liens archaïques, réinvestis sur des objectifs qualifiés de communautaires, est grande dans le fonctionnement des pensées et des conduites particulières de l'ensemble des individus d'un groupe, plus ces individus sont d'emblée solidaires, sans autre réflexion, et se sentent affectivement confortés dans leur sentiment d'identité de type fusionnel par l'image homologue que leur rend en miroir le spectacle d'autrui. Il s'ensuit qu'ils s'identifient au groupe (à 1' "Idéal du Moi" du groupe, porté par les représentants qu'il s'est donnés (cf. Freud, 1921). Ils alors ont des valeurs communes peu conflictuelles entre elles, simples - voire simplistes - et constantes, transmises d'ailleurs de génération en génération, tant du moins que prévaut chez la majorité cette organisation intrapsychique, et étroitement étayées sur un autrui semblable, souhaité et supposé rassurant, jamais défaillant et sans ambiguïté, dans le fantasme indifférencié et omnipotent de l' "illusion groupale" (D. Anzieu).

Mais qu'une dissociation entre le jugement individuel et le jugement "du groupe" intervienne, s'accentue ou se généralise, la communauté est aussitôt obligée de recourir à des moyens plus complexes pour conserver un contrôle suffisant sur des sujets qui se personnalisent, s'affirment dans leur voie propre, et peuvent s'opposer entre eux ou s'opposer au groupe. Ces moyens, faits de contrainte et d'intimidation, ou alors utilisant des liens censitaires ou contractuels plus précaires, favorisent évidemment jusqu'à un certain point des angoisses, des culpabilités, des sentiments de persécution ou de solitude, selon les cas. Fantasmes et affects maintiennent ainsi défensivement une sorte de lien ombilical palliatif entre les individus et le grand corps psychique "collectif" dont ils se perçoivent déjà trop séparés Il y a en effet en chacun un vécu de désétayage ou de déliaison entre les messages généraux qui viennent du dehors et les pensées et dispositions particulières qui tendent à s'organiser sur le mode privé.
L'écart entre les attentes dont sont porteurs les objets internes et l'idéal privé de l'individu, et la réponse - désormais non idéalisable par lui - que lui fournit le monde environnant devient mal supportable. Il y a un espace plus grand pour l'incertitude, et le trouble. L'identité est désormais, nécessairement à réinventer, soit dans le sens de la régression soit dans celui d'une élaboration plus personnelle, mais plus aventureuse.

C'est ce type de transformation que produit sans nul doute l'évolution individuante des hommes des temps modernes. Source de perfectionnisme privé (et éventuellement, mais secondairement, public, s'il reste modéré), un tel devenir des hommes, en fait, détermine inévitablement une manière d'oscillation plus ou moins synchrone des désirs individuels entre deux pôles : celui du retour à la sécurité des croyances unitaires et des identités totalement partagées d'antan, menacées par la montée des fantasmes paranoïdes-schizoïdes, et celui d'une recherche d'individuation et d'égotisme forcené, cherchant à exclure violemment, dans le Moi et au dehors, la rémanence persécutoire, au fond du Soi, du besoin de dépendance infantile, désormais sans issues compatibles dans l'environnement. D'un côté, l'aspiration à une restitution ou à un remplacement des idéologies dépersonnifiantes, mais rassurantes et enveloppantes, d'autrefois: de l'autre, le vertige et l'exaltation grandiose et angoissée d'un Moi solitaire et anarchiste, à la manière de Steiner sinon à celle de Nietzsche.

Or, dans la perspective que je suis ici, on peut dire, à peu près à coup sûr, que l'histoire de la pensée "romantique", prise dans son sens le plus large, fournit un bon analyseur culturel de ce conflit identitaire intime entre le Tout protecteur et la solitude exaltée, conflit vécu et amplifié par un grand nombre de consciences depuis le XVIIIe siècle, sous des formes très variées et souvent si particulières qu'elles n'autorisent pas même la naissance de nouvelles solidarités inter-psychiques, sauf fugitives, capricieuses, irréalistes et parcellaires. Ecole, groupuscules, mouvements, sectes diverses, tendant tous et toutes, souvent en vain, à substituer leur autorité ou leur ferveur communionnelle aux valeurs perdues des communautés quasi unanimes et bien réglées du temps jadis.

Prise "at large", dans la plus grande acception, la mentalité propre au romantisme (dont la tradition allemande a alimenté la pensées freudienne en son temps) montre bien, dans presque tous les domaines, les effets du travail de ce conflit entre le dehors et le dedans, entre l'affiliation passive et dépendante, et la solitude créatrice mais douloureuse. De multiples modalités de compromis par clivage, par déni, par basculement et conversions soudaines entre les deux pôles des réglages identitaires se rencontrent notamment au XIXe siècle dans le discours philosophique, esthétique, dans l'art, la vie religieuse, les idéologies politiques, sociales, raciales, scientifiques, techniques mêmes (dans la médecine et chez les aliénistes en particulier). Et il est patent, comme on l'a montré dans ce colloque même8, que la personnalité contrastée, conflictuelle et multiculturelle de Freud a baigné dès sa jeunesse dans le flux de ces variations, particulièrement sensibles et attirantes dans la sorte de creuset que la Vienne de l'empire à deux têtes des Habsbourg offrait aux contradictions (et bientôt aux convulsions) de la modernité en quête qu'un dépassement de ses conflits internes, issus de désétayages identitaires.

Que représente alors, vers 1900, ce qu'on peut appeler la "solution freudienne" aux problèmes du temps, solution qu'exprime le choix épistémologique et praticien hardi qu'a opéré l'inventeur de la psychanalyse ?

Ce que j'ai dit plus haut de la nature et des finalités intrinsèques de l'option psychanalytique, et l'accent que j'ai mis sur l'ascétique renversement ou retournement vers l'intérieur, dans l'analyse, du travail de liaison, avec prise de recul et maintien d'un espace de latence pour l'élaboration du sens, suggère clairement ceci. Freud, en renvoyant le sujet aux traces obscures de son origine interne et à la source des besoins et des pulsions dont il a à vivre, dans son rapport avec lui-même et avec le monde extérieur, propose, malgré toutes les réserves que ce mot a pu appeler quand on l'applique à la cure psychanalytique, une "expérience correctrice" faite à l'aide d'un véritable dispositif à remonter le temps. Avec le moyen et sous la protection du transfert correctement géré (à la distance opportune) par l'analyste, le patient est ramené à l'origine de l'invention des objets, et peut sinon reconstruire, du moins revoir et réviser, en se débarrassant de vaines scories douloureuses, ce qu'il a fait de la nécessaire inadéquation entre le désir et ses objets, porteurs au dedans de la psyché d'un manque toujours à combler, que le déni, l'idéalisation ou même le désespoir avec sa dimension masochique cannibale ne parviennent plus à compenser.

L' "homo nevroticus" de Freud, le sujet en somme de la névrose de transfert, ou si l'on veut l'homo psychanalyticus, c'est le porteur de la "maladie humaine" (celle du conflit dépendance-isolement et des symptômes infinis qu'elle se donne, et qui servent aussi à vivre) telle qu'elle s'accuse, et éclate de toute part au coeur viennois de la modernité et du malaise contemporain de la civilisation. Le génie de Freud fut alors d'offrir à ce névrosé-type, image de la souffrance culturelle autant que victime d'un malheur singulier, un dispositif d'accueil rigoureusement cohérent avec la situation, et fait tout exprès pour renverser dans son contraire la tendance des hommes à fuir en avant et à combler par des actes et de nouvelles croyances addictives, vainement offertes à autrui, leur incurable béance interne, réactivée par les changements sociaux. Une espèce de piège à angoisses, de "piège à négatif"9, forgé, comme je l'ai rappelé, de règles (négatives) d'attente, de retrait dans l'accueil, et au fond duquel on ait quelque chance de se trouver enfin soi-même, longuement et à loisir, non seulement générateur de choix et de valeurs, mais reconstructeur du monde, à travers le transfert effectué sur celui qui, à la fois, le représente hic et nunc dans la réalité thérapeutique du cadre et en suspend l'urgence, dans l'intemporel du destin personnel des objets internes.

Romantique, elle aussi, la solution freudienne ? Oui, et non.
Oui, par l'audace incroyable qui affronte un homme seul, son créateur, véritable surhomme nietzschéen, à l'Achéron de l'Inconscient, au mépris de toutes les soumissions, du bien-penser de l'époque, et des prescriptions activistes et positivistes de ses collègues saisis par l'idéologie scientifique mécaniste du progrès. Oui, par le besoin de rejoindre la patrie perdue de la vérité, chez cet homme aussi enclin au doute qu'à la certitude intime, et tellement conscient de jouer, par son oeuvre, le sens de sa vie, en même temps que celui de l'énigme humaine, à quitte ou double. Oui, par l'esprit de prosélytisme, voire, paradoxalement, de secte qui a soutenu son entreprise, après le temps de la solitude.

Non, à cause de la vigilance de la raison, du soin apporté à la dénonciation des séductions et des mirages, de la modestie jusque dans la confiance en soi. Non, par l'intérêt dominant porté au sujet, aux autres comme sujets Et cela, non pas par curiosités, ni sauf marginalement et secondairement) par souci de prestige, mais par juste et intense sentiment de la nécessité, pour qui veut, ensemble, conjurer la solitude et éviter la fusion imaginaire avec l'autre, de reconnaître au sein de la pensée le réel et la différence, et de renoncer à se l'approprier narcissiquement.

A cet égard, certainement, l'invention et la pratique de la psychanalyse pour soigner les déséquilibres d'âme des autres en les ramenant aux origines de la construction de soi et du monde fut aussi, pour Freud lui-même, une auto-cure. Par là, il s'affirmait doublement solidaire de la quête de son temps et ouvrait en pionnier et en homme moderne une voie toute nouvelle pour dépasser par le dedans la problématique même des désordres identitaires que les oscillations romantiques tenaient en vain et contradictoirement de traiter. En amont de la cure du Moi, de la cure de l'individualité, mais à l'abri des séductions oblitérantes de l'interaction sociale, voilà où Freud conduisait ses patients, à force de lucidité avec lui-même, compagnon de route avec eux d'une même démarche de vérité dans l'être au monde.

D'autres, à la même époque, ont suivi avec rigueur un chemin quelque peu parallèle au sien.
Un philosophe comme Husserl, ou un autre comme Bergson (d'ailleurs tous deux juifs comme Freud ­ interrogeante similitude) s'aventuraient aussi jusqu'aux "données immédiates" et jusqu'aux "expériences originaires" de la conscience : mais il s'agissait chez eux d'approches qui restaient assises sur une introspection intellectuelle et non sur une mise en jeu des inconscients et une connaissance en quelque façon interactive. Si bien que les modèles qui en résultaient étaient d'emblée théoriques, et demeuraient "génériques" (comme dit Husserl dont "l'épochè" phénoménologique ne saurait accueillir vraiment, la singularité d'une histoire).
Solution pour philosophe, solution pour penseur, pour l'homo noeticus idéal, et non pas, comme chez Freud, solution concrète et praticienne, à la fois spécifiquement humaine et singulière, offerte à tous sans préjugé d'école ni langage savant. La machine freudienne à régler les excès du désespoir ou des idéalisations romantiques issus du cataclysme identitaire de la modernité allait, par son humble position soignante, et par la subordination qu'elle instituait de la théorie à la pratique clinique, bien au-delà de tous les systèmes, et de toutes les attitudes heuristiques nouvelles, fût-ce les mieux pensées. Plus loin et plus large que les démarches parallèles et intuitives de Husserl, de Bergson, de Wittgenstein aussi, sans parler de toutes les séductions esthétiques ou éthiques nouvelles proposant le salut par la liberté absolue ou au contraire par l'engagement idéologique, et l'engloutissement de l'homme dans les mythes totalitaires.

Un signe supplémentaire du caractère exceptionnel de la solution freudienne et de la mutation épistémique dont elle était porteuse est certainement dans ce qui fut à la fois sa réussite réelle, maintenant déjà séculaire (véritable conquête progressive de la culture moderne) et le destin des très vives oppositions qu'elle a longtemps soulevées. Ces oppositions ont été aujourd'hui remplacées par une sorte de complaisance familière, édulcorante mais tout aussi défensive, qui tend à châtrer l'exploration de l'Inconscient de sa violence naturelle. Rien ne montre mieux, mais c'est une autre histoire que je ne développerai pas ici, combien la psychanalyse a été par la société elle-même ressentie comme dangereuse et dissolvante. Si, après que la plupart des pensées et des idéologies modernes l'ont combattue, certaines ont cherché à l'embaucher, à la réduire en instrument auxiliaire d'un autre discours, c'est que par sa nature et sa structure mêmes, elle s'inscrivait à contre-courant des défenses et des désirs collectifs, lesquels ont horreur du vide et tendent toujours soit à rejeter l'individu jusqu'au désert de sa solitude existentielle, soit à l'enrôler dans les gros bataillons des convaincus, sans lui laisser ni espace ni latence entre l'enfer et les paradis artificiels, pour trouver son propre chemin.

La solution freudienne ? Une réponse toujours actuelle, étonnante et redoutée des prêcheurs d'unité communautaire comme des nihilistes en mal de radicalisme, au vertigineux problème de la confrontation de l'individu avec les séductions toujours renaissantes qu'engendrent l'excès, l'instabilité et l'échec répété ­ sous des formes apparemment nouvelles, mais visant compulsivement le même but ­ des défenses romantiques et postromantiques appelées par la longue crise moderne de l'identité

Cerisy, juillet 1990
Jean Guillaumin
16, cours d'Herbouville 69004 Lyon

Résumé

L'auteur envisage ici l'invention (à ses yeux épistémologiquement mutative) de la psychanalyse, faite par Freud entre 1895 et 1900, comme une réponse remarquablement pertinente aux troubles psychiques et aux confusions identitaires de ce temps, issus de la longue crise des rapports de l'individu et de la société qui s'est développée en Occident depuis au moins le XVIIIe siècle. Cette crise, qui s'est traduite partout en Europe par certaines sortes de dépression et de désillusion individuelles et collectives graves10, appelant des défenses où l'exaltation et l'idéalisation romantiques et post-romantiques jouent un grand rôle, se concentre à cette époque-là, de manière paradigmatique, dans toute sa force et avec toutes ses dimensions, dans le creuset culturel viennois, cela pour des raisons historiques assez bien repérées aujourd'hui. La "psycho-analyse" de Freud en propose le traitement dans un sens complètement opposé à celui qui est sous-jacent à toutes les "autres" solutions - éthiques, scientifiques, religieuses, sociologiques ou politiques - qui fleurissent alors. Elle offre en effet à I' "individu", en mettant en suspend les valeurs de ses groupes de référence, et en privatisant radicalement, pour ainsi dire, sa problématique identitaire dans le cadre d'un dispositif protégé, une issue régressive, qu'on peut dire homéopathique (par désidentification), au désordre de ses solidarités psychiques avec ses objets sociaux. Cette démarche proprement révolutionnaire - et sentie comme telle par son inventeur et par les contemporains - commence par refuser les conditions communes de la socialité pour donner à la personne le moyen de les reconstruire à son compte, à ses risques et plus librement, d'une façon plus heureuse, à partir d'une reprise de leurs prémisses infantiles. Romantique peut-être, par son aspect secret ou même solitaire ­ bien dans le style de Freud ­ et par la violence des affects et des fantasmes qui y sont en procès, la réponse que la psychanalyse apporte ainsi s'oppose par contre à l'inflation narcissique romantique et ses succédanés modernes et post-modernes, par sa dimension d'étude méthodique et même scientifique de la réalité des mécanismes psychiques investis par le Moi dans les rapports avec son environnement et avec lui-même. Cela lui confère un statut dont on est en droit de se demander comment (et si) elle triomphera des résistances et procédés réductifs de récupération nouveaux de plus en plus pervers, mis en oeuvre par la société du XXIe siècle, à la recherche d'un nouveau monde mais hantée par des désirs (auto-) destructeurs.

Mots-clés : crise identitaire, dépression culturelle, collective et privée, individu/société,
narcissisme, révolution épistémologique, réalité psychique, romantisme.

Summary

The author envisages here the invention (in his view epistemologically mutative) of psychoanalysis made by Freud between 1895 and 1900 as a remarkably pertinent response to psychic disturbances and identity confusion of that time, - born of the crisis of relationships among individuals and society, which developed in occidental countries since at least the middle of the 18th century. This crisis induced in Europe certain types of serious depression and individual and collective disillusionment11 calling on the defenses where the romantic and post romantic exaltation and idealization play an important role, focusing on this period in a pragmatic manner, in all its force and dimensions in the Viennese cultural crucible for - actually well known - historical reasons.

The Freudian "psycho-analysis" proposes the treatment in a sense completely contrary to that which is subjacent to all other solutions: ethical, scientific, religious, sociological or political, which thrive in this manner. It leads to, in effect, a regressive outcome, which one can call homeopathic (by disidentification) by suspending the values of these reference groups by radically privatizing, so to speak, the problematic identity in the frame work of a protected system, to the disorder of its psychic solidarities with its social objects. This property revolutionary approach - felt as such by its inventor and by its contemporary - begins by refusing the communal conditions of the sociality, in order to provide the means by which the person can reconstruct his own account, with its risks and more freely in a happier manner beginning with their infantile premises. Romantic perhaps in its secret or even scientific study of the reality of the psychic mechanisms invested by the "me" in rapport with its environment and himself. This confers to him a status from which one is within one's right to question how (and if) it will triumph over the resistances and reducing processes of new recuperation, more and more perverse, put in place by the society of the 20th century in researching a new world, but haunted by the auto-destructive desires.

Key words: identity crisis, cultural depression, collective or private, individual/society, narcissism, epistemological revolution, psychic reality, romantism.

1 Il semble que, peu à peu, dans ces tous derniers temps, des vues analogues quoique plus globales, s'imposent à divers esprits, atteignant même le grand public par la voie d'une certaine presse. La rédaction première de ce texte, présentée au colloque de Cerisy, date de l'été 1990. La ligne directrice en a été conçue au cours d'échanges avec Henri et Madeleine Vermorel, pendant l'année universitaire 1989-1990, année durant laquelle l'auteur a fait à l'Université Lumière-Lyon II une série de conférences publiques sur les relations de la psychanalyse et de la culture.

2 Je crois différer quelque peu, à cet égard, de certaines des vues de mon ami René Roussillon, qui a fort étudié les antécédents de la psychanalyse à travers l'hystérie et la suggestion au XIXe siècle.

3 Entre blessure et cicatrice, Seyssel, Champvallon, 1987 avant-propos et ch. 1 ; cf. aussi ma contribution au collectif Figures et modes du négatif: avec A. Missenard et coll., Paris, Dunod, 1989.

4 On connaît les vues, pourtant érudites, sur ce point de Sulloway (1982) et de divers autres.

5 Cf. la thèse de P. Gay sur l'importance conjointe de la judaïté et de l'incroyance religieuse dans la pensée de Freud.

6 L'appareil psychique "groupal" qu'étudient les analystes aujourd'hui est une réalité interactive, et non une super-individualité plurielle valant par elle-même.

7 Point qui a été depuis longtemps fort bien vu, précisément, par les théoriciens et les praticiens des groupes, des premiers travaux de W.R. Bion et F. Jacques à ceux, actuels, de D. Anzieu, R. Kaës et d'autres.

8 Cerisy, juillet 1990. Voir note à la première page.

9 C'est une formulation que j'ai proposée dans mon livre de 1987, cité, Entre blessure et cicatrice, ch. 3.

10 A laquelle l'animatrice de cette Revue, Gabrielle Rubin, a justement pu porter une grande attention dans ses
intéressants articles.
11 To which the director of this review, Gabrielle Rubin, could rightly bring attention to these interesting articles. 

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