Dr. Susana de Gorodokin
Asociación Psicoanalítica Argentina
Buenos Aires, Argentina
Susana Lustgarten de Gorodokin est licenciée en
psychologie de la Universidad Nacional de Buenos Aires, diplômée du Centro
de Investigación de Medicina Psicosomática, enseignante au Centro de
Investigación en Medicina Psicosomática (1979/1981). Professeur Adjoint de la
chaire de Psychologie générale de l'Université du Salvador (1980/1984).
Elle fait partie de l'Institut de la Asociación Psicoanalítica Argentina.
Auteur de :
· Notas preliminares acerca la fe (1980).
· E1
pueblo judío, una construcción acerca de su historia (1980)
· Reflexiones
acerca de la diferenciación sexual (1089)
· Psicoanálisis e ideología
(1990).
Psychanalyse et idéologie
Mon intérêt pour ce sujet est né de l'observation de deux sortes
de phénomènes, apparemment contradictoires, que je me propose d' étudier
dans cet article.
La crise profonde dans laquelle se trouvent les régimes de
l'Est et la tendance à 1'unification de l'Europe nous invitent à réfléchir à
la fin des idéologies, ou tout au moins à celle des idéologies
traditionnelles
Or la pensée contemporaine débouche précisément sur cette
problématique : sujet de 1'Histoire/fin de l'Histoire ;
modernité/postmodernité ; idéologies/fin des idéologies.
(Dans le cercle
plus restreint de notre relation à la théorie psychanalytique, nous constatons
un phénomène différent. Les théories scientifiques dans n'importe quelle
science , développent, sous certaines conditions, une forte tendance à
devenir des idéologies. Des théories se succèdent, provoquant des adhésions
et des rejets, de forts sentiments d'appartenance et d'exclusion, des
discours passionnés et dogmatiques).
En partant de ces phénomènes,
j'aimerais formuler les questions ci-après :
· Quel est le sens
psychologique de l'idéologie ?
· Quelle est la différence entre une théorie
scientifique et une idéologie ?
· Existe-t-il actuellement une tendance à
transformer la théorie en idéologie ?
· Ou bien assistons-nous, au
contraire, à la fin des idéologies ?
Il s'agit là d'un sujet qui
appartient au domaine philosophique et plus précisément à celui de
l'épistémologie. C'est un thème très vaste, qui est en relation avec
d'autres versants de la pensée; aussi n'ai-je pas l'intention de l'explorer
en totalité, mon but étant seulement de formuler certaines interrogations et
de proposer quelques réflexions au moyen de l'instrument qui nous est
propre: la recherche du sens.
Idéologie
Quelques
définitions
· Pour Jaspers, l'idéologie est "le complexe de pensées et de
représentations qui apparaît comme une vérité absolue au sujet qui pense...,
et produit une auto-duperie, une occultation, une fuite".
· Engels pense
que l'idéologie est "un processus que le soi-disant penseur déroule
consciemment mais de façon erronée".
· Le dictionnaire de philosophie
donne, entre autres définitions, celle-ci : "L'idéologie, en un sens
philosophico-social est une façon de mettre en évidence, par le biais des idées,
la situation interne de la société. C'est, par conséquent, autant une forme
de connaissance que d'occultation" (Ferrater Mora).
· Pour Baranger il
faut entendre, par "idéologie philosophique" la conception générale que se
fait tel ou tel individu de sa propre existence dans son monde physique et
culturel. (i.e. : les principes de son savoir et les valeurs qui régissent sa vie),
cette idéologie philosophique pouvant être formulée et systématisée ou
rester implicite" (Baranger 1954).
Nous comprenons, par ces définitions,
que l'idéologie est :
· un mode de représentation de la connaissance qu'une
société à d'elle-même ;
· un mode d'occultation ou de fausse conscience ;
· un ensemble de représentations qui apparaissent comme des vérités absolues
;
· une conception générale du monde qui implique également un ensemble de
valeurs qui organisent notre façon de voir et notre vie quotidienne ;
La
pensée idéologique peut aussi bien être explicite qu'implicite.
L'Idéal du Moi et sa relation avec la formation des systèmes
Pour comprendre ce qu'est une idéologie il est important de revenir
à la genèse de 1'Idéal du Moi, au processus d'idéalisation et à la tendance
à la formation de systèmes.
La perte du narcissisme primaire infantile
engendre un processus qui sera porteur de la
formation de l'Idéal du Moi.
L'incitation à créer un Idéal du Moi se forme à partir de l'influence
critique des parents et de l'éveil de son propre principe de réalité.
Freud écrit : "...ce qu'il projette devant lui comme son Idéal est le
substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps là, il était
lui-même son propre idéal" (Freud 1914). Le développement du Moi consiste en
une distanciation par rapport au narcissisme primaire et engendre une
intense aspiration à le retrouver" et : "Il ne serait pas étonnant que nous
trouvions une instance psychique particulière qui accomplisse la tâche de
veiller à ce que soit assurée la satisfaction narcissique provenant de
l'idéal du moi et qui, dans cette intention, observe sans cesse le Moi
actuel et le mesure à l'idéal"(id.).
L'existence de cette instance
permet de comprendre tous les phénomènes qui sont basés sur
l'auto-observation. Dans l'individu, la capacité d'auto-observation rend
compte du sentiment de soi, culpabilité, (Selbstgefühl) du sentiment de
faute et de la fonction critique.
Freud dit que "La même activité
psychique qui a pris en charge la fonction de la conscience morale s'est
aussi mise au service de l'introspection qui livre à la philosophie le matériel
pour ses opérations de pensée. Cela n'est peut-être pas sans rapport avec la
tendance caractéristique des paranoïaques à construire des systèmes
spéculatifs La formation de ces systèmes spéculatifs, basés sur la capacité
d'auto-observation, nous permet d'établir des comparaisons entre phénomènes
individuels et collectifs.
Dans "Psychologie Collective et Analyse du Moi",
Freud établit une intéressante relation entre les productions asociales de
la névrose et la formation de systèmes spéculatifs dans le domaine de la
culture.
Il compare ainsi :
· la paranoïa avec la philosophie ;
· la
névrose obsessionnelle avec la religion ;
· l'hystérie avec la création
artistique.
C'est à partir de systèmes spéculatifs que la culture
formule ses idéaux et ses valeurs. Et c'est en les acceptant, en
s'accomplissant ou s'exprimant à travers eux qu'on récupère en partie les
quantités de libido narcissique à laquelle on avait dû renoncer.
L'idéologie et le problème de la conception de l'Univers
(Weltanschauung)
Je concentrerai particulièrement mon attention sur
ce que Freud appelle "Le problème de la Conception de l'Univers" Il écrit :
"Une Weltanschauung est une construction intellectuelle qui résout, de façon
homogène, tous les problèmes de notre existence à partir d'une hypothèse qui
commande le tout où, par conséquent, aucun problème ne reste ouvert et où tout
ce à quoi nous nous intéressons trouve sa place déterminée. Il est aisé de
comprendre qu'une telle Weltanschauung fait partie des désirs idéaux des
hommes. Si l'on y croit, on peut se sentir assuré dans la vie, savoir ce
vers quoi on doit tendre, comment on peut placer de la façon la plus
appropriée ses affects et ses intérêts". (Freud 1932)
Cette définition
est particulièrement éclairante. Elle s'accorde bien à la définition de
l'idéologie et nous permet d'en comprendre la signification.
Dans ce
sens, une idéologie est un système de représentations intellectuelles dans
lequel nos idéaux et valeurs se présentent comme déjà accomplis, ainsi que
le ferait une réalisation de désir, ce qui nous procure une importante
gratification narcissique puisque le sujet, immergé dans une vision
cosmique, se sent alors conforme à son idéal.
C'est un système de
représentation qui résout de façon globale tous les problèmes de notre
devenir:à laide d'une pensée quasi magique, il nous permet de récupérer le
contrôle omnipotent que nous croyons autrefois avoir; nous établissons ainsi
nos relations internes et avec nos semblables ainsi que notre adéquation
à la vie.
Moyennant une certaine "surestimation du pouvoir de nos pensées",
nous formulons les prémisses et les valeurs et établissons ensuite des
accords et transactions avec elles.
Nous fonctionnons "comme si" la réalité
était organisée en termes de "justice", "récompense de la bonté" ou un
quelconque autre ordre que nous croyons émaner de la réalité.
Récompense
et punition, crimes et péché ; ainsi organisons-nous une éthique dans laquelle
nos valeurs trouvent finalement leur place.
Une "weltanschauung" se
présente à nous comme une organisation cohérente et unitaire et la question
se pose alors de savoir d'où peuvent provenir tant de cohérence et d'unité.
Freud nous indique une réponse lorsqu'il dit qu'intervient, dans la
formation des systèmes, une élaboration secondaire qui, sur le modèle des
processus oniriques, s'occupe de l'unification, de la cohérence et de
l'intelligibilité.
L'idéologie est une réponse totale parce qu'elle espère
récupérer la totalité (imaginaire) perdue, l'idéal de complétude
narcissique. Ce désir de totalité recèle toutefois un grand danger, car il
mène tout droit au totalitarisme.
L'idéologie se convertit ainsi en un
système de représentations qui exerce une intense relation de pouvoir qui va
limiter de plus en plus la liberté individuelle. Ce glissement, en effet, ne
permet pas d'exercer la fonction relativisante qui sépare l'idéal du
possible, le total du partiel.
C'est ainsi que l'idéologie exerce une
séduction intellectuelle et affective analogue aux phénomènes de masse.
Une weltanschauung est donc une conception de l'univers qui répond au
désir de se sentir rassuré et elle est très précisément destinée à combler
les aspects les plus labiles du système narcissique :
· une vie qui aura
une fin,
· l'incertitude,
· le hasard,
· la détresse.
Toute idéologie contient aussi une téléologie implicite et si
nous avons des valeurs et des idéaux de ce genre, nous sommes sûrs d'arriver
à bon port.
Science et Idéologie
Lorsque Freud posait
le problème de la conception de l'univers, il établissait une différence
entre science et vision cosmique (Freud, 1932).
Il disait que
l'explication unitaire de l'univers est un programme que la science aspire à
réaliser, mais dans un futur indéterminé.
La science cherche la vérité
mais avec un esprit critique. Elle aspire à la vérité, mais accepte qu'elle
soit relative. "Tout ce qu'elle enseigne ne vaut que provisoirement; ce qu'on
prône aujourd'hui comme sagesse suprême sera rejeté demain pour être
remplacé, de nouveau à titre d'essai, par autre chose. La dernière erreur
s'appelle alors vérité". (Freud, 1932)
Il dit plus loin que la psychanalyse
est incapable de créer une conception de l'univers qui lui soit particulière
; elle n'en a pas besoin car elle est une partie de la science ; elle ne mérite
même pas ce nom car, étant incomplète, elle ne prétend pas constituer un
ensemble cohérent et systématique.
Nous savons que cette
différenciation entre science et Idéologie est correcte : la pensée surgit
là où se brise la certitude, là où nous osons, pour un instant, tolérer
notre vulnérabilité.
Nous savons bien, toutefois, qu'il n'en est pas
vraiment ainsi. Une théorie scientifique, révolutionnaire à un moment donné,
se convertit, dès qu'elle atteint un plein succès, en "establishment"
(Baranger 1970) ; ce qui hier, fut découverte, liberté et ouverture sacralise,
se convertit désormais en certitude, dogme, croyance.
Ortega y
Gasset écrit : "Ce n'est que grâce aux idées que nous pouvons penser ; nous ne
pouvons pas le faire à l'aide des croyances, puisque nous campons sur elles"
(In Idées et Croyances).
Les idéologies sont peut-être la forme que
prennent nos croyances une fois qu'elles nous ont donné ce que nous désirons
si fort: la sécurité. Peut-être aussi que toute théorie scientifique tend à
devenir idéologie et que la seule façon de contrôler la tendance au dogmatisme
est d'en avoir conscience.
Connaître, méconnaître
L'Idéologie est, sans aucun doute, un chapitre de l'épistémologie,
de la théorie de la connaissance.
Toutefois, en tant que psychanalystes,
lorsque nous parlons de la connaissance, nous ne
pouvons le faire comme si
un tel sujet était univoque. Lorsqu'il fait référence à 1' angoisse de
castration et nous entendons castration au sens large Freud écrit que
deux courants psychiques y prennent naissance. Un courant qui ne reconnaît
pas la castration symbolique, tandis qu'un autre y consent ; on peut dire de
celui-ci qu'il accepte la réalité et que ces deux courants, en un certain
sens, persistent côte à côte sans se gêner (Freud 1927).
Ce phénomène,
qui a été étudié dans le fétichisme, et qui sera approfondi dans "Le clivage du
Moi dans le processus de défense" décrit, plutôt que des cas pathologiques,
un phénomène inhérent au psychisme humain.
Jusqu'à quel point l'homme peut-il tolérer l'idée de la mort,
l'incertitude, la détresse ? La loi ou l'interdiction ne peuvent être
comprises sans la tendance au désaveu propre à la pensée humaine. Tant que
nous osons vivre sans vérités absolues, nous pouvons formuler notre savoir
et développer nos idées et pensées. Toutefois, avec ce courant de pensée qui
demande à savoir, coexiste un autre courant qui nous pousse à méconnaître.
C'est là que s'installent nos croyances et nos dogmes. C'est là, au seuil de
l'angoisse, que les idées s'organisent en idéologies, en "Conceptions
Totalisantes de l'Univers".
Ceci nous permet de comprendre comment ce qui
est changement et ouverture est à la fois fermeture et dogmatisme.
Nous
devons ici reconnaître que la tendance à transformer la connaissance en
idéologie est inhérente à la structure de notre appareil psychique. Cette
tendance étant évidemment commune à toutes les théories scientifiques et non
l'apanage de la seule psychanalyse.
Quand les idéologies échouent...
L'Histoire de la culture nous montre le surgissement, l'apogée et la
chute de différents systèmes idéologiques. Freud, à ce propos, nous parle
des systèmes animiste, religieux et scientifique. Le passage d'un système à
un autre résulte d'un mouvement complexe qui nous oblige à affronter une
crise.
Chaque crise contient en elle la marque de pertes et de fractures,
d'acquisitions et de rencontres. L'homme a-religieux rejette la religion et
en même temps se proclame fièrement orphelin de Dieu. Puis il remplace cette
tutelle en affirmant être au centre de l'Histoire et agent de son histoire ;
il se transforme en maître de son destin : alors la raison est plus forte
que la magie et que la peur.
De ce vide, de cette disparition de la
protection spirituelle, naît la réflexion moderne (N. Casullo, 1989). La
pensée moderne exprime aussi bien la crise de la condition humaine que son
ambition de la résoudre.
Dans le domaine scientifique, la pensée moderne a
trouvé sa plus pure expression au siècle des Lumières, dans le rationalisme
et le positivisme.
La raison souveraine promettait la domination de la
nature et ouvrait le chemin à un progrès virtuellement illimité ; des
idéologies de l'émancipation, de la justice et de la liberté se faisaient
jour : la Révolution française, les gestes émancipateurs des Etats modernes, les
mouvements nationalistes et, à l'aube de notre siècle, l'idéologie marxiste.
Pourtant, le côté obscur de la raison ne tardait pas à se manifester et les
révolutions à être trahies. Les idéologies réalisées occupèrent la place des
anciens tyrans et finalement les deux grandes guerres furent déclarées.
L'être humain, qui se réjouissait d'être au centre de la scène, se convertit
alors en un héros désolé. L'échec n'a pas été total, mais les prophéties et
les grandes illusions de notre temps n'ont pas été réalisées.
Nous
vivons une époque incertaine de crise, de changement, de vacuité et de perte.
Des prophéties dégradées se développent qui, comme en d'autres moments de
l'Histoire,
annoncent l'accomplissement de ces deux côtés d'une même pièce
de monnaie : le messianisme/apocalypse.
Alors se pose la question
suivante : qu'arrive-t-il donc lorsque les idéologies échouent ? En suivant
la pensée freudienne nous pouvons proposer deux destins possibles.
Idéologies paranoïdes
Devant la perte de la fonction
structurante et unificatrice de ses idéaux, une société se voit menacée de
fragmentation ce qui est valable aussi bien au niveau individuel que
collectif.
Dans certains cas, on essaye de surmonter un tel démantèlement
par un suprême effort régressif "d'auto-affirmation narcissique". On a
recours de façon défensive à l'orchestration mythologisante "des origines"
ou de la "pureté de la race".
Ceci est l'idéologie fascisante dans
n'importe lequel de ses aspects qui se propose, de façon restauratrice et
mégalomaniaque, de préserver notre identité.
Idéologies mélancoliques
Dans "Ephémère destiné"', Freud (1915) écrit : ..."la guerre brisait
notre fierté pour les acquisitions de notre civilisation, notre respect de
tant de penseurs et d'artistes, notre espoir de surmonter enfin les
différences entre les peuples et les races. Elle souillait l'éminente
impartialité de notre science... elle nous dépouillait de tant de choses que
nous avions aimées et nous montrait la caducité de maintes choses que nous
avions tenues pour persistantes" (Freud 1915).
Mais il nous dit aussi,
devant la dévalorisation de nos biens culturels : "...Cette dévalorisation
est injuste. Ceux qui sont disposés à renoncer, une fois pour toutes, à ce
qui est important uniquement parce que ce n'est pas absolument sur, sont
accablés par le deuil que leur cause leur perte" (Id.).
C'est de
tout cela que naissent les idéologies sceptiques qui sont des variantes du deuil
pathologique. Elles expriment, au-delà de leurs rationalisations, la marque
d'amertume propre à la mélancolie, annonçant ainsi la chute des grands
discours légitimants de notre temps : la fin du sujet, la fin de l'Histoire,
la fin des idéologies. Seul reste un éternel présent..." un texte unique,
indifférencié, qui est le simulacre, le spectacle, le show de tout cela ; comme
une parole erratique, illégitime, sans auteur, sans fondement ni
perspective" (N.Casullo, 1989).
Réflexions
Arrivés à ce
point de notre réflexion, nous devons nous interroger sur le paradoxe de la
connaissance (connaître/méconnaître).
Un homme peut-il vivre sans
idéologies ? Pourrait-il vivre sans idéal ? Autrement dit, sans ces idéaux
qui permettent les échanges et en sont les organisateurs, ou encore sans ces
idéaux tyranniques qui instaurent des relations de pouvoir accablantes ?
Quel est l'avenir de l'illusion (et non pas d'UNE illusion, la religieuse),
sinon cet espace nécessaire d'illusion qui va élire domicile dans les
recoins du quotidien ?
Je crois qu'admettre la fin des illusions, la fin des
idéologies ou la fin de l'Histoire est une fausse alternative. Toute forme
de scepticisme, ou le pragmatisme à outrance du post-modernisme est aussi
idéologie : c'est l'idéologie qui tente de ne pas jouer le jeu pour éviter la
désillusion. C'est, comme toute idéologie, une recherche ardente de
sécurité.
Dire que l'idéologie est la maladie infantile de la connaissance
est, à mon sens, une erreur.
Combien de fois n'avons-nous pas annoncé "la
fin de l'enfance" : l'humanisme, le rationalisme, 1'évolutionnisme."
Les
idéologies renaissent parce qu'elles répondent à un situation structurante.
U. Eco écrit : "... je définis l'idéologie comme une vision du monde
qui, lorsqu'elle est consciente de sa propre partialité, peut se convertir
en un utile instrument d'action politique ou d'analyse de la réalité ; par
contre, quand elle s'ignore comme telle et ne sait pas qu'elle est partiale
comme toutes les idéologies, elle se transforme justement en fausse conscience.
C'est pourquoi le discours sur la mort des idéologies est suprêmement
idéologique." (Umberto Eco 1990).
Mais que peut-on faire d'utile avec ces idéologies ? Je
tenterai quelques réponses :
1. Prendre conscience de sa propre partialité.
Cela demande qu'on réhabilite la fonction de relativisation.
2.
Conserver une certaine capacité d'inquiétude. Ou encore commencer à s'inquiéter
lorsque les capacités de critique ou de doute sont suspendues.
3/
Pouvoir élaborer la désidéalisation. Il nous faut ici différencier une
désidéalisation graduelle où ce qui fut surévalué retrouve ses dimensions
réelles d'une désidéalisation
brutale.
Cette dernière a le pouvoir
de provoquer des effets déstructurants. A des moments de fortes crises
idéologiques les idéaux se désagrègent et se fragmentent. Alors surgissent de
violentes intolérances ethniques et ce qu'on a appelé "libanisation" d'une
société.
Dans certains cas, la désagrégation induit des idéologies du doute,
qui ne parlent que d'un Sujet moribond, sans pouvoir; de "l'obscurité du
futur" et de l'extrême morcellement des expériences humaines qui ne seraient
plus capable de retrouver de sens intégrateur (N. Casullo 1989). (Il s'agit
du post-modernisme.)
Dans d'autres cas, la désagrégation essaye de se
restaurer en se réfugiant, par une fuite défensive, dans le temps.
Surgissent alors des visions cosmiques d'un temps antérieur, dans lequel les
hommes faisaient des projets. Nous pouvons ainsi comprendre l'essor nostalgique
de la "mode rétro", ou (lorsqu'il s'agit de cas pathologiques) de toutes
sortes de fondamentalismes.
De la fonction de désidéalisation dépendront
à leur tour :
· une certaine capacité de profaner le sacré ce qui n'est
nullement identique à:le démanteler totalement ;
· une certaine capacité
à élaborer un processus de désillusion ; ce qui n'est nullement identique à
perdre la capacité de s'illusionner.
Bibliographie
Baranger W. 1954 : "Tentativa de aproximación al Psicoanálisis de
las Ideologías filosóficas, Rev. de Psic. T.XI, n°4.
1970 : "Teoría
Psicoanalítica e Ideología", id. T.XXVII n°2.
Casullo N. 1989 : "El Debate
Modernidad/Post-modernidad : Compilación y Prologo" Ed. Punto Sur.
1989
: "Éramos Tan Postmodernos" in "La Opinión", avril 1989
Eco H., 1990 :
"Sobre Ideologías", in "La Nación" 15 avril 1990
Ferrater Mora :
"Diccionario de Filosofía"
Freud S.
1914 : "Pour Introduire le
Narcissisme
1915 : "Ephémère destinée"
1921 :
"Psychologie Collective et Analyse du Moi".
1927 : "L'avenir d'une
Illusion".
1927 : "Le Fétichisme
1932 : "Nouvelles
Conférences" (XXXV Conférence)
1938 : "Clivage du Moi et Processus
de Défense"
Ortega y Gasset : Ideas y Creencias
Résumé
La crise profonde des régimes de l'Est ainsi que la tendance
à l'unification de 1'Europe nous incite à réfléchir à la fin des idéologies.
Nous observons, d'autre part, une forte idéalisation du savoir scientifique.
Nous essayerons de comprendre le sens psychologique des idéologies en
analysant leurs relations avec la genèse de l'Idéal du Moi, de
l'idéalisation et la formation des systèmes spéculatifs.
Une idéologie
est une conception générale de l'univers, dans laquelle nos idéaux se trouvent
réalisés à la manière d'un accomplissement de désir. Elle nous permet
d'occulter les aspects les plus labiles du narcissisme : la mort,
l'incertitude, la détresse.
Toute théorie scientifique, dès lors qu' elle a
été admise par tous, tend à se convertir en dogme. Nous analysons le
paradoxe du savoir humain : connaître/méconnaître. Les Idéologies sont le
mode suivant lequel s'organisent nos croyances dans la pensée scientifique, un
processus structurant du psychisme.
Pour maîtriser l'idéalisation du
savoir il nous faut :
1. prendre conscience de notre partialité en
privilégiant la capacité de relativiser.
2. garder intact notre esprit
critique et la capacité de douter,
3. mettre en question l'idéalisation, de
sorte que ce qui fut surévalué retrouve ses dimensions réelles, la
désidéalisation pathologique induisant un scepticisme qui est, lui aussi,
idéologie.
Mots clé : idéologie, croyance, paradoxe,
connaître/méconnaître, postmodernité, désillusion.
Summary
The deep crisis prevailing in the Eastern countries and the
unification of Europe lead us to think of the end of ideologies.
In the
other hand, we are witnessing how the scientific knowledge is being strongly
ideologized. We shall try to understand the psychological meaning of
ideologies and study its relationship with the genesis of the ideal, the
idealization and the formation of reflective and meditative systems.
An
ideology is a general conception of the universe where our ideals are achieved
through the satisfaction of our desires. It allows to close the most labile
aspects of the Narcissist System:
death, uncertainty, helpness.
Once a
scientific theory gathers consensus, it tends to become a dogma. We study the
human knowledge paradox: to know/to not know.
The ideologies are the way
in which our beliefs are organized within the scientific thought.
This is
the result of the structuring process of the psyche.
How to control the
ideologizing process of knowledge?
1. By becoming aware of our own
partiality, giving way to the relativization function.
2. By keeping intact
our capacity of criticism and doubt.
3. By developing a deidealization
process so that what as been overvalued may become
actually real. The
pathologic deidealization leads to take sceptical, role, which is also an
ideology.
Key words: Ideology, belief, paradox, to know/to not
know, postmodernism, disillusion