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Psychanalyse et idéologie
Dr. Susana de Gorodokin
Asociación Psicoanalítica Argentina
Buenos Aires, Argentina
Susana Lustgarten de Gorodokin est licenciée en psychologie de la Universidad Nacional de Buenos Aires, diplômée du Centro de Investigación de Medicina Psicosomática, enseignante au Centro de Investigación en Medicina Psicosomática (1979/1981). Professeur Adjoint de la chaire de Psychologie générale de l'Université du Salvador (1980/1984).
Elle fait partie de l'Institut de la Asociación Psicoanalítica Argentina.

Auteur de :
· Notas preliminares acerca la fe (1980).
· E1 pueblo judío, una construcción acerca de su historia (1980)
· Reflexiones acerca de la diferenciación sexual (1089)
· Psicoanálisis e ideología (1990).





Psychanalyse et idéologie

Mon intérêt pour ce sujet est né de l'observation de deux sortes de phénomènes, apparemment contradictoires, que je me propose d' étudier dans cet article.
La crise profonde dans laquelle se trouvent les régimes de l'Est et la tendance à 1'unification de l'Europe nous invitent à réfléchir à la fin des idéologies, ou tout au moins à celle des idéologies traditionnelles
Or la pensée contemporaine débouche précisément sur cette problématique : sujet de 1'Histoire/fin de l'Histoire ; modernité/postmodernité ; idéologies/fin des idéologies.

(Dans le cercle plus restreint de notre relation à la théorie psychanalytique, nous constatons un phénomène différent. Les théories scientifiques ­ dans n'importe quelle science ­, développent, sous certaines conditions, une forte tendance à devenir des idéologies. Des théories se succèdent, provoquant des adhésions et des rejets, de forts sentiments d'appartenance et d'exclusion, des discours passionnés et dogmatiques).

En partant de ces phénomènes, j'aimerais formuler les questions ci-après :
· Quel est le sens psychologique de l'idéologie ?
· Quelle est la différence entre une théorie scientifique et une idéologie ?
· Existe-t-il actuellement une tendance à transformer la théorie en idéologie ?
· Ou bien assistons-nous, au contraire, à la fin des idéologies ?

Il s'agit là d'un sujet qui appartient au domaine philosophique et plus précisément à celui de l'épistémologie. C'est un thème très vaste, qui est en relation avec d'autres versants de la pensée; aussi n'ai-je pas l'intention de l'explorer en totalité, mon but étant seulement de formuler certaines interrogations et de proposer quelques réflexions au moyen de l'instrument qui nous est propre: la recherche du sens.

Idéologie

Quelques définitions
· Pour Jaspers, l'idéologie est "le complexe de pensées et de représentations qui apparaît comme une vérité absolue au sujet qui pense..., et produit une auto-duperie, une occultation, une fuite".
· Engels pense que l'idéologie est "un processus que le soi-disant penseur déroule consciemment mais de façon erronée".
· Le dictionnaire de philosophie donne, entre autres définitions, celle-ci : "L'idéologie, en un sens philosophico-social est une façon de mettre en évidence, par le biais des idées, la situation interne de la société. C'est, par conséquent, autant une forme de connaissance que d'occultation" (Ferrater Mora).
· Pour Baranger il faut entendre, par "idéologie philosophique" la conception générale que se fait tel ou tel individu de sa propre existence dans son monde physique et culturel. (i.e. : les principes de son savoir et les valeurs qui régissent sa vie), cette idéologie philosophique pouvant être formulée et systématisée ou rester implicite" (Baranger 1954).

Nous comprenons, par ces définitions, que l'idéologie est :
· un mode de représentation de la connaissance qu'une société à d'elle-même ;
· un mode d'occultation ou de fausse conscience ;
· un ensemble de représentations qui apparaissent comme des vérités absolues ;
· une conception générale du monde qui implique également un ensemble de valeurs qui organisent notre façon de voir et notre vie quotidienne ;
La pensée idéologique peut aussi bien être explicite qu'implicite.

L'Idéal du Moi et sa relation avec la formation des systèmes

Pour comprendre ce qu'est une idéologie il est important de revenir à la genèse de 1'Idéal du Moi, au processus d'idéalisation et à la tendance à la formation de systèmes.

La perte du narcissisme primaire infantile engendre un processus qui sera porteur de la
formation de l'Idéal du Moi.
L'incitation à créer un Idéal du Moi se forme à partir de l'influence critique des parents et de l'éveil de son propre principe de réalité.
Freud écrit : "...ce qu'il projette devant lui comme son Idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps là, il était lui-même son propre idéal" (Freud 1914). Le développement du Moi consiste en une distanciation par rapport au narcissisme primaire et engendre une intense aspiration à le retrouver" et : "Il ne serait pas étonnant que nous trouvions une instance psychique particulière qui accomplisse la tâche de veiller à ce que soit assurée la satisfaction narcissique provenant de l'idéal du moi et qui, dans cette intention, observe sans cesse le Moi actuel et le mesure à l'idéal"(id.).

L'existence de cette instance permet de comprendre tous les phénomènes qui sont basés sur l'auto-observation. Dans l'individu, la capacité d'auto-observation rend compte du sentiment de soi, culpabilité, (Selbstgefühl) du sentiment de faute et de la fonction critique.

Freud dit que "La même activité psychique qui a pris en charge la fonction de la conscience morale s'est aussi mise au service de l'introspection qui livre à la philosophie le matériel pour ses opérations de pensée. Cela n'est peut-être pas sans rapport avec la tendance caractéristique des paranoïaques à construire des systèmes spéculatifs La formation de ces systèmes spéculatifs, basés sur la capacité d'auto-observation, nous permet d'établir des comparaisons entre phénomènes individuels et collectifs.
Dans "Psychologie Collective et Analyse du Moi", Freud établit une intéressante relation entre les productions asociales de la névrose et la formation de systèmes spéculatifs dans le domaine de la culture.
Il compare ainsi :
· la paranoïa avec la philosophie ;
· la névrose obsessionnelle avec la religion ;
· l'hystérie avec la création artistique.

C'est à partir de systèmes spéculatifs que la culture formule ses idéaux et ses valeurs. Et c'est en les acceptant, en s'accomplissant ou s'exprimant à travers eux qu'on récupère en partie les quantités de libido narcissique à laquelle on avait dû renoncer.

L'idéologie et le problème de la conception de l'Univers (Weltanschauung)

Je concentrerai particulièrement mon attention sur ce que Freud appelle "Le problème de la Conception de l'Univers" Il écrit : "Une Weltanschauung est une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes de notre existence à partir d'une hypothèse qui commande le tout où, par conséquent, aucun problème ne reste ouvert et où tout ce à quoi nous nous intéressons trouve sa place déterminée. Il est aisé de comprendre qu'une telle Weltanschauung fait partie des désirs idéaux des hommes. Si l'on y croit, on peut se sentir assuré dans la vie, savoir ce vers quoi on doit tendre, comment on peut placer de la façon la plus appropriée ses affects et ses intérêts". (Freud 1932)

Cette définition est particulièrement éclairante. Elle s'accorde bien à la définition de l'idéologie et nous permet d'en comprendre la signification.
Dans ce sens, une idéologie est un système de représentations intellectuelles dans lequel nos idéaux et valeurs se présentent comme déjà accomplis, ainsi que le ferait une réalisation de désir, ce qui nous procure une importante gratification narcissique puisque le sujet, immergé dans une vision cosmique, se sent alors conforme à son idéal.
C'est un système de représentation qui résout de façon globale tous les problèmes de notre devenir:à laide d'une pensée quasi magique, il nous permet de récupérer le contrôle omnipotent que nous croyons autrefois avoir; nous établissons ainsi nos relations internes ­ et avec nos semblables ­ ainsi que notre adéquation à la vie.
Moyennant une certaine "surestimation du pouvoir de nos pensées", nous formulons les prémisses et les valeurs et établissons ensuite des accords et transactions avec elles.
Nous fonctionnons "comme si" la réalité était organisée en termes de "justice", "récompense de la bonté" ou un quelconque autre ordre que nous croyons émaner de la réalité.

Récompense et punition, crimes et péché ; ainsi organisons-nous une éthique dans laquelle nos valeurs trouvent finalement leur place.
Une "weltanschauung" se présente à nous comme une organisation cohérente et unitaire et la question se pose alors de savoir d'où peuvent provenir tant de cohérence et d'unité.
Freud nous indique une réponse lorsqu'il dit qu'intervient, dans la formation des systèmes, une élaboration secondaire qui, sur le modèle des processus oniriques, s'occupe de l'unification, de la cohérence et de l'intelligibilité.
L'idéologie est une réponse totale parce qu'elle espère récupérer la totalité (imaginaire) perdue, l'idéal de complétude narcissique. Ce désir de totalité recèle toutefois un grand danger, car il mène tout droit au totalitarisme.
L'idéologie se convertit ainsi en un système de représentations qui exerce une intense relation de pouvoir qui va limiter de plus en plus la liberté individuelle. Ce glissement, en effet, ne permet pas d'exercer la fonction relativisante qui sépare l'idéal du possible, le total du partiel.
C'est ainsi que l'idéologie exerce une séduction intellectuelle et affective analogue aux phénomènes de masse.

Une weltanschauung est donc une conception de l'univers qui répond au désir de se sentir rassuré et elle est très précisément destinée à combler les aspects les plus labiles du système narcissique :
· une vie qui aura une fin,
· l'incertitude,
· le hasard,
· la détresse.

Toute idéologie contient aussi une téléologie implicite et si nous avons des valeurs et des idéaux de ce genre, nous sommes sûrs d'arriver à bon port.

Science et Idéologie

Lorsque Freud posait le problème de la conception de l'univers, il établissait une différence entre science et vision cosmique (Freud, 1932).
Il disait que l'explication unitaire de l'univers est un programme que la science aspire à réaliser, mais dans un futur indéterminé.
La science cherche la vérité mais avec un esprit critique. Elle aspire à la vérité, mais accepte qu'elle soit relative. "Tout ce qu'elle enseigne ne vaut que provisoirement; ce qu'on prône aujourd'hui comme sagesse suprême sera rejeté demain pour être remplacé, de nouveau à titre d'essai, par autre chose. La dernière erreur s'appelle alors vérité". (Freud, 1932)
Il dit plus loin que la psychanalyse est incapable de créer une conception de l'univers qui lui soit particulière ; elle n'en a pas besoin car elle est une partie de la science ; elle ne mérite même pas ce nom car, étant incomplète, elle ne prétend pas constituer un ensemble cohérent et systématique.

Nous savons que cette différenciation entre science et Idéologie est correcte : la pensée surgit là où se brise la certitude, là où nous osons, pour un instant, tolérer notre vulnérabilité.
Nous savons bien, toutefois, qu'il n'en est pas vraiment ainsi. Une théorie scientifique, révolutionnaire à un moment donné, se convertit, dès qu'elle atteint un plein succès, en "establishment" (Baranger 1970) ; ce qui hier, fut découverte, liberté et ouverture sacralise, se convertit désormais en certitude, dogme, croyance.

Ortega y Gasset écrit : "Ce n'est que grâce aux idées que nous pouvons penser ; nous ne pouvons pas le faire à l'aide des croyances, puisque nous campons sur elles" (In Idées et Croyances).
Les idéologies sont peut-être la forme que prennent nos croyances une fois qu'elles nous ont donné ce que nous désirons si fort: la sécurité. Peut-être aussi que toute théorie scientifique tend à devenir idéologie et que la seule façon de contrôler la tendance au dogmatisme est d'en avoir conscience.

Connaître, méconnaître

L'Idéologie est, sans aucun doute, un chapitre de l'épistémologie, de la théorie de la connaissance.
Toutefois, en tant que psychanalystes, lorsque nous parlons de la connaissance, nous ne
pouvons le faire comme si un tel sujet était univoque. Lorsqu'il fait référence à 1' angoisse de castration ­ et nous entendons castration au sens large ­ Freud écrit que deux courants psychiques y prennent naissance. Un courant qui ne reconnaît pas la castration symbolique, tandis qu'un autre y consent ; on peut dire de celui-ci qu'il accepte la réalité et que ces deux courants, en un certain sens, persistent côte à côte sans se gêner (Freud 1927).

Ce phénomène, qui a été étudié dans le fétichisme, et qui sera approfondi dans "Le clivage du Moi dans le processus de défense" décrit, plutôt que des cas pathologiques, un phénomène inhérent au psychisme humain.

Jusqu'à quel point l'homme peut-il tolérer l'idée de la mort, l'incertitude, la détresse ? La loi ou l'interdiction ne peuvent être comprises sans la tendance au désaveu propre à la pensée humaine. Tant que nous osons vivre sans vérités absolues, nous pouvons formuler notre savoir et développer nos idées et pensées. Toutefois, avec ce courant de pensée qui demande à savoir, coexiste un autre courant qui nous pousse à méconnaître.
C'est là que s'installent nos croyances et nos dogmes. C'est là, au seuil de l'angoisse, que les idées s'organisent en idéologies, en "Conceptions Totalisantes de l'Univers".
Ceci nous permet de comprendre comment ce qui est changement et ouverture est à la fois fermeture et dogmatisme.
Nous devons ici reconnaître que la tendance à transformer la connaissance en idéologie est inhérente à la structure de notre appareil psychique. Cette tendance étant évidemment commune à toutes les théories scientifiques et non l'apanage de la seule psychanalyse.

Quand les idéologies échouent...

L'Histoire de la culture nous montre le surgissement, l'apogée et la chute de différents systèmes idéologiques. Freud, à ce propos, nous parle des systèmes animiste, religieux et scientifique. Le passage d'un système à un autre résulte d'un mouvement complexe qui nous oblige à affronter une crise.
Chaque crise contient en elle la marque de pertes et de fractures, d'acquisitions et de rencontres. L'homme a-religieux rejette la religion et en même temps se proclame fièrement orphelin de Dieu. Puis il remplace cette tutelle en affirmant être au centre de l'Histoire et agent de son histoire ; il se transforme en maître de son destin : alors la raison est plus forte que la magie et que la peur.
De ce vide, de cette disparition de la protection spirituelle, naît la réflexion moderne (N. Casullo, 1989). La pensée moderne exprime aussi bien la crise de la condition humaine que son ambition de la résoudre.
Dans le domaine scientifique, la pensée moderne a trouvé sa plus pure expression au siècle des Lumières, dans le rationalisme et le positivisme.
La raison souveraine promettait la domination de la nature et ouvrait le chemin à un progrès virtuellement illimité ; des idéologies de l'émancipation, de la justice et de la liberté se faisaient jour : la Révolution française, les gestes émancipateurs des Etats modernes, les mouvements nationalistes et, à l'aube de notre siècle, l'idéologie marxiste.
Pourtant, le côté obscur de la raison ne tardait pas à se manifester et les révolutions à être trahies. Les idéologies réalisées occupèrent la place des anciens tyrans et finalement les deux grandes guerres furent déclarées.
L'être humain, qui se réjouissait d'être au centre de la scène, se convertit alors en un héros désolé. L'échec n'a pas été total, mais les prophéties et les grandes illusions de notre temps n'ont pas été réalisées.
Nous vivons une époque incertaine de crise, de changement, de vacuité et de perte.
Des prophéties dégradées se développent qui, comme en d'autres moments de l'Histoire,
annoncent l'accomplissement de ces deux côtés d'une même pièce de monnaie : le messianisme/apocalypse.
Alors se pose la question suivante : qu'arrive-t-il donc lorsque les idéologies échouent ? En suivant la pensée freudienne nous pouvons proposer deux destins possibles.

Idéologies paranoïdes

Devant la perte de la fonction structurante et unificatrice de ses idéaux, une société se voit menacée de fragmentation ­ ce qui est valable aussi bien au niveau individuel que collectif.

Dans certains cas, on essaye de surmonter un tel démantèlement par un suprême effort régressif "d'auto-affirmation narcissique". On a recours de façon défensive à l'orchestration mythologisante "des origines" ou de la "pureté de la race".
Ceci est l'idéologie fascisante ­ dans n'importe lequel de ses aspects ­ qui se propose, de façon restauratrice et mégalomaniaque, de préserver notre identité.

Idéologies mélancoliques

Dans "Ephémère destiné"', Freud (1915) écrit : ..."la guerre brisait notre fierté pour les acquisitions de notre civilisation, notre respect de tant de penseurs et d'artistes, notre espoir de surmonter enfin les différences entre les peuples et les races. Elle souillait l'éminente impartialité de notre science... elle nous dépouillait de tant de choses que nous avions aimées et nous montrait la caducité de maintes choses que nous avions tenues pour persistantes" (Freud 1915).
Mais il nous dit aussi, devant la dévalorisation de nos biens culturels : "...Cette dévalorisation est injuste. Ceux qui sont disposés à renoncer, une fois pour toutes, à ce qui est important uniquement parce que ce n'est pas absolument sur, sont accablés par le deuil que leur cause leur perte" (Id.).

C'est de tout cela que naissent les idéologies sceptiques qui sont des variantes du deuil pathologique. Elles expriment, au-delà de leurs rationalisations, la marque d'amertume propre à la mélancolie, annonçant ainsi la chute des grands discours légitimants de notre temps : la fin du sujet, la fin de l'Histoire, la fin des idéologies. Seul reste un éternel présent..." un texte unique, indifférencié, qui est le simulacre, le spectacle, le show de tout cela ; comme une parole erratique, illégitime, sans auteur, sans fondement ni perspective" (N.Casullo, 1989).

Réflexions

Arrivés à ce point de notre réflexion, nous devons nous interroger sur le paradoxe de la connaissance (connaître/méconnaître).
Un homme peut-il vivre sans idéologies ? Pourrait-il vivre sans idéal ? Autrement dit, sans ces idéaux qui permettent les échanges et en sont les organisateurs, ou encore sans ces idéaux tyranniques qui instaurent des relations de pouvoir accablantes ?
Quel est l'avenir de l'illusion (et non pas d'UNE illusion, la religieuse), sinon cet espace nécessaire d'illusion qui va élire domicile dans les recoins du quotidien ?
Je crois qu'admettre la fin des illusions, la fin des idéologies ou la fin de l'Histoire est une fausse alternative. Toute forme de scepticisme, ou le pragmatisme à outrance du post-modernisme est aussi idéologie : c'est l'idéologie qui tente de ne pas jouer le jeu pour éviter la désillusion. C'est, comme toute idéologie, une recherche ardente de sécurité.
Dire que l'idéologie est la maladie infantile de la connaissance est, à mon sens, une erreur.
Combien de fois n'avons-nous pas annoncé "la fin de l'enfance" : l'humanisme, le rationalisme, 1'évolutionnisme."
Les idéologies renaissent parce qu'elles répondent à un situation structurante.

U. Eco écrit : "... je définis l'idéologie comme une vision du monde qui, lorsqu'elle est consciente de sa propre partialité, peut se convertir en un utile instrument d'action politique ou d'analyse de la réalité ; par contre, quand elle s'ignore comme telle et ne sait pas qu'elle est partiale comme toutes les idéologies, elle se transforme justement en fausse conscience. C'est pourquoi le discours sur la mort des idéologies est suprêmement idéologique." (Umberto Eco 1990).

Mais que peut-on faire d'utile avec ces idéologies ? Je tenterai quelques réponses :
1. Prendre conscience de sa propre partialité. Cela demande qu'on réhabilite la fonction de relativisation.
2. Conserver une certaine capacité d'inquiétude. Ou encore commencer à s'inquiéter lorsque les capacités de critique ou de doute sont suspendues.
3/ Pouvoir élaborer la désidéalisation. Il nous faut ici différencier une désidéalisation graduelle ­ où ce qui fut surévalué retrouve ses dimensions réelles ­ d'une désidéalisation
brutale.

Cette dernière a le pouvoir de provoquer des effets déstructurants. A des moments de fortes crises idéologiques les idéaux se désagrègent et se fragmentent. Alors surgissent de violentes intolérances ethniques et ce qu'on a appelé "libanisation" d'une société.
Dans certains cas, la désagrégation induit des idéologies du doute, qui ne parlent que d'un Sujet moribond, sans pouvoir; de "l'obscurité du futur" et de l'extrême morcellement des expériences humaines qui ne seraient plus capable de retrouver de sens intégrateur (N. Casullo 1989). (Il s'agit du post-modernisme.)
Dans d'autres cas, la désagrégation essaye de se restaurer en se réfugiant, par une fuite défensive, dans le temps. Surgissent alors des visions cosmiques d'un temps antérieur, dans lequel les hommes faisaient des projets. Nous pouvons ainsi comprendre l'essor nostalgique de la "mode rétro", ou (lorsqu'il s'agit de cas pathologiques) de toutes sortes de fondamentalismes.
De la fonction de désidéalisation dépendront à leur tour :
· une certaine capacité de profaner le sacré ce qui n'est nullement identique à:le démanteler totalement ;
· une certaine capacité à élaborer un processus de désillusion ; ce qui n'est nullement identique à perdre la capacité de s'illusionner.

Bibliographie

Baranger W. 1954 : "Tentativa de aproximación al Psicoanálisis de las Ideologías filosóficas, Rev. de Psic. T.XI, n°4.
1970 : "Teoría Psicoanalítica e Ideología", id. T.XXVII n°2.
Casullo N. 1989 : "El Debate Modernidad/Post-modernidad : Compilación y Prologo" Ed. Punto Sur.
1989 : "Éramos Tan Postmodernos" in "La Opinión", avril 1989
Eco H., 1990 : "Sobre Ideologías", in "La Nación" 15 avril 1990
Ferrater Mora : "Diccionario de Filosofía"
Freud S.
1914 : "Pour Introduire le Narcissisme
1915 : "Ephémère destinée"
1921 : "Psychologie Collective et Analyse du Moi".
1927 : "L'avenir d'une Illusion".
1927 : "Le Fétichisme
1932 : "Nouvelles Conférences" (XXXV Conférence)
1938 : "Clivage du Moi et Processus de Défense"
Ortega y Gasset : Ideas y Creencias

Résumé

La crise profonde des régimes de l'Est ainsi que la tendance à l'unification de 1'Europe nous incite à réfléchir à la fin des idéologies. Nous observons, d'autre part, une forte idéalisation du savoir scientifique.
Nous essayerons de comprendre le sens psychologique des idéologies en analysant leurs relations avec la genèse de l'Idéal du Moi, de l'idéalisation et la formation des systèmes spéculatifs.
Une idéologie est une conception générale de l'univers, dans laquelle nos idéaux se trouvent réalisés à la manière d'un accomplissement de désir. Elle nous permet d'occulter les aspects les plus labiles du narcissisme : la mort, l'incertitude, la détresse.
Toute théorie scientifique, dès lors qu' elle a été admise par tous, tend à se convertir en dogme. Nous analysons le paradoxe du savoir humain : connaître/méconnaître. Les Idéologies sont le mode suivant lequel s'organisent nos croyances dans la pensée scientifique, un processus structurant du psychisme.
Pour maîtriser l'idéalisation du savoir il nous faut :
1. prendre conscience de notre partialité en privilégiant la capacité de relativiser.
2. garder intact notre esprit critique et la capacité de douter,
3. mettre en question l'idéalisation, de sorte que ce qui fut surévalué retrouve ses dimensions réelles, la désidéalisation pathologique induisant un scepticisme qui est, lui aussi, idéologie.

Mots clé : idéologie, croyance, paradoxe, connaître/méconnaître, postmodernité, désillusion.

Summary

The deep crisis prevailing in the Eastern countries and the unification of Europe lead us to think of the end of ideologies.
In the other hand, we are witnessing how the scientific knowledge is being strongly ideologized. We shall try to understand the psychological meaning of ideologies and study its relationship with the genesis of the ideal, the idealization and the formation of reflective and meditative systems.
An ideology is a general conception of the universe where our ideals are achieved through the satisfaction of our desires. It allows to close the most labile aspects of the Narcissist System:
death, uncertainty, helpness.
Once a scientific theory gathers consensus, it tends to become a dogma. We study the human knowledge paradox: to know/to not know.
The ideologies are the way in which our beliefs are organized within the scientific thought.
This is the result of the structuring process of the psyche.
How to control the ideologizing process of knowledge?
1. By becoming aware of our own partiality, giving way to the relativization function.
2. By keeping intact our capacity of criticism and doubt.
3. By developing a deidealization process so that what as been overvalued may become
actually real. The pathologic deidealization leads to take sceptical, role, which is also an
ideology.

Key words: Ideology, belief, paradox, to know/to not know, postmodernism, disillusion

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