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Influence de la culture actuelle sur la structure de la
personnalité borderline
Dr. Aiban Hagelin
Asociación Psicoanalítica
Buenos Aires, Argentine

Claudio Jorge Revere
Docteur en médecine
Buenos Aires, Argentine
Dès le début de nos recherches sur la pathologie "borderline", nous avons été frappés par le nombre important des publications sur ce sujet.
Bien que Freud ne l'ait pas mentionné dans sa nosographie, nous avons actuellement tendance à penser que des patients tels que "Anna 0." ou "L'Homme aux Loups", étaient des "cas-limites".

C'est cependant sous des noms divers, que, dans différents pays, ces cas ont retenu l'attention des chercheurs et ont été décrits. Mais avec des approches théoriques et techniques différentes, avec des critères et des cultures différentes, il était impossible de parvenir à une certaine identité de vues sur ces pathologies.
Lombroso, le célèbre criminaliste italien, utilisa ce terme dès 1870, mais pour désigner ce que nous appellerions plutôt des sociopathes ; dix ans plus tard, Hugues et Rosse se servirent du même terme pour identifier certaines affections mentales chroniques qui n'entraient pas dans des catégories précises Vers 1890, Fabret désignait cette pathologie sous le nom de "folie hystérique" et Kraeppelin, en 1905, plaçait ces patients dans un groupe intermédiaire entre psychose et névrose. En 1932 enfin, Glover les désigna sous le nom de"borderline";c'est alors qu'avec Stern, Rado, Deutsch, etc., commencèrent les premières recherches psychanalytiques contemporaines sur ce sujet.
De nos jours, les patients borderline sont devenus quantitativement importants dans tous les pays, ce qui a induit un développement des études sur ce sujet et a permis une identification plus précise de cette pathologie.

Freud, dans ses travaux, nous a parlé de la "hilflosigkeit", l'état de détresse du nourrisson qui dépend entièrement de sa mère tant pour sa survie que pour mettre fin à sa tension interne.
L'être humain est en effet soumis à une naissance traumatique qui l'expose à l'agression de son environnement. Les personnes qui s'occupent du bébé (essentiellement les parents) essayent de le protéger et de transformer cet univers implacable en un environnement tendre, doux, proche de celui dont l'accouchement l'a brutalement séparé. Cette tentative est naturellement vouée à l'échec pour tous mais, à cause de facteurs intrinsèques et extrinsèques, cet échec est plus important pour certains que pour d'autres. C'est de la combinatoire de ces divers facteurs que dépendra la possibilité de trouver, ou non, la "bonne symbiose" indispensable à un développement harmonieux du bébé.
Cette situation utérine/extra-utérine est le modèle, à demi manqué, des tentatives de rupture et d'indépendance qui sont le lot des êtres humains.
A travers les premières expériences parentales positives, que Freud a appelées "expériences de satisfaction", va se créer une tendance à la répétition du plaisir ; chaque satisfactions obtenue apparaîtra alors à 1'enfant comme une victoire sur ce qui était désagréable, déstabilisant et redoutable.
Ce schéma va se répéter à d'autres moments de la vie, avec d'autres caractéristiques et en d'autres circonstances, face à des situations d'angoisse. Il est clair que celui qui a eu la possibilité de surmonter facilement et de façon relativement agréable les premières situations traumatisantes se trouvera mieux armé pour affronter toutes celles que lui réserve la vie, car il gardera l'impression d'avoir été sauvé d'une situation à la fois chaotique et désastreuse.

A l'inverse, cette situation sera vécue par le patient borderline de façon dramatique: même si son environnement post-partum a été à peu près convenable, certaines différences ­ qui peuvent paraître minimes mais sont en fait très importantes ­ ont gauchi cette étape symbiotique. La mère du futur borderline, malgré son dévouement, n'arrive en effet pas à donner à son petit enfant tout ce dont il a besoin. Sa façon de l'approcher est narcissique et elle essaye, inconsciemment, de satisfaire plutôt ses propres désirs que ceux du bébé. Celui-ci ne se trouve ni sans défenses ni abandonné à des terreurs psychotiques mais, on revanche, sa capacité de créer des liens avec son environnement et le sentiment de pouvoir se tirer d'une situation aussi critique en sont amoindris.
Or le sentiment d'être en sécurité et d'être relié au monde extérieur est un des fondements de la culture. La beauté, l'amour entre les êtres, la raison, la justice, la solidarité, c'est ce que nous pouvons appeler "culture" ; c'est-à-dire un monde qui est le nôtre, dans lequel nous nous sentons à l'abri, protégés, intégrés.
La culture est, d'une certaine façon, semblable à la fonction parentale : elle établit un ordre dans la mesure où elle nous aide à créer la norme qui nous servira à contenir ce qui est perçu comme dangereux, agressif, nuisible, etc.

Nous pouvons dire, pour nous résumer, que les patients dits "borderline" ne peuvent pas s'insérer normalement dans la culture, parce qu'ils n'ont pas pu internaliser ce que nous avons défini comme culture normale. Celle-ci, représentée au départ par le couple parental a été pour lui épuisante et insatisfaisante ; à cause du narcissisme parental, il ne se sentait pas reconnu en tant que personne.
Pour pouvoir accéder normalement à la culture, il faut avoir disposé, dès la naissance et durant les premiers mois de vie, d'une quantité suffisante de "rêverie" (au sens do Bion) ainsi que d'une bonne quantité de gratifications parentales.
Ces besoins n'ayant pas été (ou pas suffisamment) satisfaits chez le borderline, celui-ci ressent un sentiment de manque, d'insatisfaction, de frustration de l'imaginaire et même de mépris vis-à-vis de la culture, sentiments qui ont leur origine dans les premières relations parents-enfants.
Ce sont ces sentiments d'intense frustration qui conduiront le borderline à chercher en permanence, au sein de la culture, les parents qu'il n'a pas pu avoir dans sa réalité infantile. Il ressentira donc un fort besoin de s'imprégner de culture, d'avoir des amis, d'avoir des livres, d'aller au cinéma, au théâtre, d'avoir une règle de conduite et de pouvoir partager tout cela;mais il éprouvera rapidement un sentiment de désillusion, car il ne pourra trouver dans aucun de ces objets la fusion mythique qu'il recherche.

Cette évolution quantitative et peut-être qualitative des patients borderline nous a incités à nous demander si des facteurs socio-économiques, culturels et anthropologiques (et lesquels) ont pu avoir une incidence sur l'homme contemporain. Nous nous sommes donc intéressés non seulement aux rapports d'un individu avec sa famille nucléaire, mais également avec son milieu social, et nous avons pris en compte le fait que nous sommes maintenant en contact avec le monde entier, c'est-à-dire avec des cultures, des modes de vie, des sensibilités différentes de celles auxquelles nous étions habitués.

Une des pratiques de la société actuelle qui nous semble être de nature à favoriser la multiplication des symptômes borderline, est la transformation des comportements sexuels:la sexualité génitale étant plus librement acceptée les mécanismes de sa répression ont changé et sont devenus moins visibles ; en même temps, la sexualité prégénitale est tolérée, de même que la dépendance vis-à-vis de l'alcool, de la drogue, des troubles liés à l'alimentation, etc., sont mieux acceptés.
Il est patent que les mass média favorisent tout ce qui est en relation avec le couple voyeurisme-exhibitionnisme et la perversité polymorphe. Le voyeurisme-exhibitionnisme s'est, au fil des ans, déplacé d'une zone érogène à l'autre, passant d'un intérêt centré sur la zone orale (par exemple le baiser de cinéma) à la région fessière, puis au dévoilement des organes génitaux proprement dits, d'abord féminins et récemment, masculins.

L'augmentation, constatée par tous, du nombre de patients borderline est certainement due au fait que nous savons mieux reconnaître cette pathologie, mais également au fait que les caractéristiques culturelles contemporaines favorisent son développement.

Il faut aussi signaler que cette forme de culture ­ celle de tous les medias ­ ne fait que traduire ce qui est présent chez tous, mais qui se manifeste de diverses façons, suivant la personnalité et l'environnement de chacun : certains réprimeront ou sublimeront leurs pulsions prégénitales, d'autres les projetteront ou les mettront en acte. Or ce sont les individus du premier groupe qui aident, encouragent, incitent, mais aussi détestent ceux du second, qu'ils ont pourtant contribué à former. Ceux-ci (les borderline) vont, à leur tour, contribuer au gauchissement du cadre social : en pratiquant ouvertement ce qui était autrefois prohibé et marginal ­ par exemple les pratiques perverses, les groupes d'homosexuels, les clubs échangistes etc. ­ ils font en sorte que tout cela soit non seulement permis mais même encouragé.
L.Brown (1981) nous a avertis : tous ceux qui sont en relation avec des borderline doivent s'attendre à éprouver des émotions fortes, à cause de la labilité de leurs sentiments.Ils passeront ainsi d'une intense émotion à la plus froide indifférence, d'un état de dépendance à la prétention de tout maîtriser, de la soumission à la rébellion, d'une brutale franchise à la plus extrême ambiguïté, d'une attitude confiante à une méfiance ombrageuse/

Pour essayer d'y voir plus clair, nous examinerons l'évolution des rapports familiaux, et comment l'internationalisation de la culture, due essentiellement au développement considérable de tous les moyens de communication a changé nos sociétés. Pour ne donner qu'un seul exemple, nous citerons le rock, qui a envahi l'Orient, tandis que les arts martiaux font florès en Occident, offrant à tous mais surtout aux enfants, des modèles d'identification nouveaux et très différents des modèles traditionnels.
Nous pensons qu'il existe un rapport entre l'apparition de nouveaux et nombreux modèles d'identification et l'accroissement des cas-limite. Autrefois, en effet, les modèles d'identification provenaient des relations d'objet ou étaient transmis oralement ou par les écrits. De nos jours, au contraire, les mass media offrent aux enfants et aux adolescents des modèles d'identification imaginaires, fictifs ou réels mais toujours pourvus de qualités idéalisées, omnipotentes, magiques transgressives. L'alcool, le tabac, les drogues, etc., présentent une érotisation prégénitale permettant aux processus primaires d'envahir les processus secondaires. L'extrême violence et l'auto-agression s'affichent comme associées à l'extrême érotisme. Au monde du fantasme préconscient s'ajoute alors celui de la fantasmatique cinématographique ou télévisuelle et, ensemble, ils facilitent le développement du monde de l'agir dans lequel nous vivons.
Un article d'Otto Kernberg (1989) décrit bien nos propres constatations : dans ce qu'il nomme "culture de masses", il analyse la dissociation entre érotisme et tendresse.
Dans un contexte de sexualité omniprésente, l'acte sexuel est réalisé par des individus sans rapports émotionnels entre eux et dont l'agressivité peut aller jusqu'à s'exprimer par le viol ou la sexualité de groupe. Dans ce même article, Kernberg propose l'idée qu'en tant que spectateur des divertissements de masse, l'enfant en période de latence est le prototype du consommateur de culture de masse totalement comblé. Un tel enfant serait en totale harmonie avec un sur moi archaïque et non pas post-oedipien ; il se sentirait, dans ses fantasmes, totalement gratifié dans son besoin de dépendance, tout en ayant un illusoire sentiment d'égalité avec tous les autres spectateurs, quels que soient leur âge et leur sexe.

Il n'est pas étonnant que les intenses stimulations qui sont quotidiennement notre lot ­ de
façon positive ou négative ­ finissent par favoriser nos angoisses et que notre psychisme se trouve constamment débordé et incapable de contenir autant d'excitation. Et il n'est pas surprenant non plus que les "cas-limite" prolifèrent, puisque ce sont des sujets à la fois très angoissés et incapables de contrôler leurs angoisses. Ils ont alors recours à une grande variété de mécanismes de défense qui, comme nous pouvons tous le constater, se manifestent à leur tour par une infinie quantité de symptômes. C'est cet état de choses qui nous a incités à essayer de mieux comprendre ce qui a empêché ces patients de se constituer un moi capable d'affronter les difficultés.
Nos modèles théoriques évoluent en se diversifiant et donnent lieu à des débats, souvent passionnés, sur les théories et techniques proposées par les psychanalystes dans l'approche des borderline. A ces débats participent, entre autre ,les tenants de l'école kleinienne : leurs théories (souvent d'origine britannique) soulignent l'importance des relations d'objet, l'importance de la présence et de la dynamique des objets internes dès le début de la vie psychique de l'être humain ; ceux de l'école "Anna-freudienne" qui, malgré son désaccord avec les audaces de l'école kleinienne sur le psychisme précoce, a énergiquement entrepris les thérapies de psychotiques et des cas-limite ; les intéressantes conception de D. Winnicott sur les objets transitionnels, qui ont reçu l'apport de la "psychologie du self" (Grodstein, Solomon). A tout cela il faut ajouter l'approfondissement des études sur le narcissisme primaire et la pathologie du narcissisme, qui ont permis de mieux repérer les processus psychiques précoces, ainsi que les travaux bien connus de M. Mahler sur les problèmes de symbiose et de séparation. Kernberg, Kohut et Masterson poursuivent également de semblables recherches.
Une des questions débattues est de savoir si cette pathologie est d'essence carentielle ou traumatique. Nous pensons, et Kernberg nous l'a personnellement confirmé, que toute carence, qu'elle soit du domaine du besoin, de la libido ou de l'épistémophilie est traumatique, ce qui réconcilie les deux théories.
Les erreurs parentales déterminent des désunions des pulsions qui sont de première importance pour la psycho-dynamique du futur borderline. Ainsi les erreurs maternelles quant aux besoins rythmiques du bébé induisent-elles une défusion de l'ambivalence et un accroissement du versant haine de celle-ci envers un objet qui est la cause de frustrations répétées. Sur le plan affectif, ceci aboutit à une séparation précoce du bébé et de ses objets primaires : il dissocie alors inconsciemment les représentations de ces objets en "mauvais-frustrants" et "bons-idéalisés". Ces derniers vont se transformer en objets mythiques que le borderline va rechercher durant tout le reste de sa vie en espérant ainsi contenir son angoisse, calmer ses peurs, satisfaire ses besoins, etc.

Le sujet borderline n'ayant pas atteint ­ au contraire du névrosé ­ à une certaine résolution du Complexe d'OEdipe, aura une structure essentiellement prégénitale ; la prédominance en lui de ce que l'on pourrait appeler "constellations homologues", explique la diversité symptomatologique des borderline, où sont associées les dépendances, les perversions, les conduites asociales, 1'agressivité dangereuse, etc. Il est intéressant de rappeler que certains auteurs, comme W. Sacarides, pensent que le syndrome de Hans Sachs est spécifique de toutes les perversions: 1'importance que gardent les pulsions partielles dans ces cas altérant, évidemment, celle du complexe d'OEdipe.
D'un autre côté, certains suggèrent la présence d'un facteur congénital à côté des facteurs dus aux traumatismes extérieurs. Il faudrait alors prendre en compte une sorte de sensibilité "hyper-allergique" du nouveau-né aux expériences mentales. Cette intolérance congénitale au travail psychique, ajoutée à un seuil extrêmement bas de tolérance à 1'anxiété serait co-responsable des grandes angoisses de ces sujets. Nous pensons qu'une telle prédisposition existe bien, à cause de la présence,si souvent constatée, d'au moins un géniteur présentant une hyper-allergie exquise aux expériences mentales. C'est donc à des identifications primaires précoces que 1' enfant de tels parents devra de devenir borderline.
Les parents de ces sujets "limites" ne peuvent généralement leur donner, ni le surcroît d'attention, ni le holding qui leur serait nécessaire. Les enfants, de leur côté, à cause de leur incapacité de supporter les frustrations, de développer de bonnes relations d'objet, de contenir leurs pulsions et leurs angoisses auraient absolument besoin, au contraire, de parents particulièrement capables de rêverie. De telles inadéquations produisent des sujets qui ont une forte tendance à passer à l'acte, des difficultés à contenir leurs émotions, sensations, affects ou sentiments, et qui ne peuvent retrouver un équilibre psychique relatif que grâce à la projection, au déni, à la dissociation, au clivage, etc. Mais, par l'utilisation constante de ces mécanismes de défense, ils ont progressivement perdu la possibilité de contention, la souplesse, le pouvoir d'élaboration et de synthèse ; ainsi limités, ils sont plus que d'autres exposés à succomber face à des expériences mentales ou à des situations qui leur semblent incontrôlables.

(Stone ­ 1986 ­ a bien décrit les mécanismes par lesquels la pathologie familiale est transmise et comment elle est acceptée par le futur borderline.)

Nous décrirons ici quelques--unes des réponses possibles à ces questions.
Il y a presque toujours, dans l'enfance des borderline, ce qu'on peut appeler une agression prégénitale excessive, généralement orale ; nous prendrons comme exemple celui d'un bébé de dix mois, en train de jouer joyeusement ; la mère fait soudain irruption et, sans tenir compte de la situation, se précipite vers lui et le force à téter. Il est clair qu'elle n'a alors respecté ni les rythmes de l'enfant ni son désir, mais n'a écouté que son besoin à elle. Une telle façon de faire a pour conséquence une augmentation de la disposition paranoïaque normale et induit chez l'enfant un désir d'agression, d'abord sadique-orale et, plus tard, sadique-anale.
En recueillant ces projections sadiques orales et sadiques anales, la mère devient un objet terriblement dangereux, permettant ensuite un transfert de cette dangerosité sur le père. Ce transfert ­ ou cette extension ­ se fait à cause de l'absence du père (réelle ou psychique) et prend diverses formes : il peut devenir aussi dangereux que la mère, ou se transformer en objet idéalisé.

On peut aisément comprendre comment une mère, elle-même infantile ou borderline, peut engendrer un enfant borderline : la situation fusionnelle mère-bébé est tellement gratifiante pour une telle mère, qu'elle tentera de prolonger indéfiniment la phase symbiotique ; la crise surviendra lorsque, en se développant, l'enfant passera par une phase ambivalente d'oscillation entre "se séparer"et "rester".

Lorsque le développement se fait normalement et malgré la crainte de pertes objectales, le processus d'individuation se mettra en place, conduisant le sujet à l'autonomie. La présence affective de la mère, en réduisant les angoisses de séparation, permet à 1'enfant de percevoir l'individuation comme agréable. Les borderline, au contraire, vivent la séparation comme menace catastrophique, à cause du retard de maturation de leur moi et de leur "allergie" aux expériences psychiques. Par exemple : durant la période de séparation/individuation un enfant s'éloignera de sa mère pour aller jouer ou explorer son environnement mais, de temps en temps, il retournera vers elle avant de repartir "à la conquête du monde". Pour le borderline, au contraire (cf. L. Brown 1981) chaque séparation d'avec elle est synonyme d'un abandon auquel il répond par un acting out ­ comme par exemple d'être victime d'un accident ­ destiné à recréer 1'union symbiotique avec la mère.

On a pu noter que les parents de borderline ont tendance à réprimer fortement les pulsions génitales de leur enfant et à en favoriser, au contraire, les pulsions prégénitales. Or la permanence de telles conduites au-delà du temps normal empêche une intrication satisfaisante des pulsions, et "laisse flotter librement" certains éléments agressifs et libidinaux qui sont cause de conduites perverses polymorphes et asociales. La mère de tels enfants, en interdisant le libre jeu des séparations/rapprochements, limitera leur autonomie ; en revanche, elle s'offrira volontiers comme objet érotique, se prêtant de façon narcissique à des jeux prégénitaux.

On comprend dès lors pourquoi, l'interdit de l'inceste et la Loi du père n'étant ni exprimés ni respectés, la morale sexuelle du borderline est laxiste et arrangeante, permettant ou interdisant ­ non en rapport avec la Loi, mais suivant ce qui convient au besoin de sécurité que ces parents recherchent chez leurs enfants.
Les drames de la petite enfance du borderline s'exprimeront interminablement par des symptômes, des illusions, des déviations sexuelles, des impulsions et l'usage des mécanismes de transfert et d'identification projective.
Dans son ambivalence, un tel sujet exprimera sa haine par une forte agressivité dans ses relations d'objet, mais aussi par une recherche incessante de l'objet mythique capable de l'aider à affronter sa peur chronique, ses craintes, ses angoisses.
On comprendra aisément que les moyens de communication de masse offrent précisément 1'illusion de tels objets mythiques ; dans les films, publicitaires ou non, dans les magazines illustrés, la presse, les affiches, etc., les tabous qui aidaient les enfants et adolescents et d'ailleurs bien les adultes à contenir leurs pulsions, ont été supprimés ou fortement réduits.
Les individus dont le surmoi n'était pas encore affirmé se sont vu offrir de façon illusoire, tout ce qui relève du fantasme idéalisé : sexe indéterminé (c'est-à-dire tous les sexes et donc pas de castration symbolique) ; sucreries, alcool, tabac ­ vecteurs d'addictions ­ dont les mérites sont vantés par la publicité et dont usent et abusent les héros des films. Vies fastueuses et personnages omnipotents auxquels s'identifie le public, fétiches (c'est-à-dire les symboles factices de la puissance, eux aussi destinés à nier la castration symbolique).
Autrement dit, toute une culture du narcissisme pathologique. Une culture de l'image dont la force de pénétration ne laisse guère de place au développement des fantasmes personnels, qui sont remplacés par des "fantasmes partagés" qui actualisent les mécanismes si bien décrits par Freud; aussi le borderline, qui procède par identifications imitatives, fusionnelles et non pas par identifications structurantes, est-il le modèle d'un certain type de consommateur de culture de masse.

Traduit et adapté de l'espagnol par Patricio Saltos et Gabrielle Rubin

Bibliographie

Brown Lawrence (1981) : "The therapeutic milieu in the treatment of patients with borderline personnality disorders", Bulletin of Mennin ger Clinic", Vol 45, n°5.
Freud Sigmund (1930) : "Malaise dans la civilisation"
Grostein Solomon, Lang (1987) : "The borderline patients", The analytic Press, London.
Kernberg Otto (1989) : "Psychoanalysis: toward second century" Yale University Press.
Masterson J., Kinsley D. (1975) : "The borderline syndrome: the role of the mother in the genesis and the psychic structure of the borderline personnality", J.P.A. 56,163
Revere Claudio (1989) : Estructura, etiología y tratamiento de la personalidad, Revista de
psicoanálisis, Tomo XLVI, n°4.
Stone Michael (1986) : "Essential papers on borderline disorders. Hundred years at the border", New-York University Press.

Résumé

Les patients borderline sont de plus en plus nombreux. A cela deux causes :
1. Les recherches nous permettent de mieux les reconnaître.
2. La culture actuelle, véhiculée par les moyens de communication de masse favorise cette pathologie. Les borderline sont restés en grande partie fixés à un stade prégénital à cause des carences de leur environnement; plus tard, notre environnement ­ notre civilisation ­ leur offre, par toutes sortes de moyens, mais surtout par l'image (cinéma, magazines, télévision, etc.) des modèles d'identification omnipotents, hyper-érotisés et d'une extrême violence que leur moi est incapable de contenir.

Mots clé : borderline, mass media, prégénital

Summary

Borderline patients are more and more numerous for two reasons:
1. Our researches permit best landmarks.
2. At the present time, the culture propagate by mass media promote that pathology. Borderlines remain largely fixed into pregenital stage on account of the environment's deficiency in their early childhood. Later, their environment ­ our civilisation ­ offers, by many means but especially with images (movies, magazines, T.V.) some omnipotent patterns of identification, hyper-erotic and extremely violent, unable to be content by their ego.

Key words: borderline, mass media, pregenital

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