"Cosi fan tutti" Les dynamiques relationnelles dans
l'organisation
Laura Ambrosiano Psychanalyste
Milan,
Italie
Gianni Zanarini Université de Bologne
Bologne, Italie
Laura Ambrosiano
Psychanalyste, elle fait partie de la Société
psychanalytique italienne. Elle est membre du
"Studio APS" (Etude d'Analyse
Psychosociologique), et s'intéresse à l'approche psychanalytique dans la
formation et à l'intervention clinique dans les organisations de travail.
Elle a publié, avec Renzo Carli : "Esperienze di Psicosociologia"
(Expériences de Psychosociologie) Milan 1984, et de nombreux articles dont,
avec Gianni Zanarini :
"Dinamiche culturali e pensiero complesso : una
prospettiva clinica" (1988).
Gianni Zanarini
Physicien et
psychologue, il est professeur à l'Université de Bologne. Sa recherche en
physique concerne la théorie des systèmes complexes. Il s'intéresse aussi à
la psychologie de la connaissance et de la recherche scientifique.
Quelques-unes de ses publications :
· "L'emozione di pensare :
psychologie de l'informatique", Milan 1985.
· "Introduction to the Physics
of Complex Systems", Oxford 1986.
· "Complex Systems and Cognitive
Processes, Heidelberg 1989.
· "Diario di viaggio : auto-organizzazione e
livelli di realtà", Milan 1990.
· "Pensée scientifique et paradigmes
affectifs : un hommage à Gaulée", "Psychanalyse dans la Civilisation", Paris
1990, 3,7-22.
"Cosi fan tutti" Les dynamiques relationnelles dans
l'organisation
Introduction
Pour tous les auteurs de Freud
(1921) à Jaques (1956) et à Bion (1965) qui ont étudié les organisations
d'un point de vue psychanalytique, il est évident que l'affectivité est toujours
présente dans ces structures et qu'elle y tient une place importante.
Tous ont souligné certains éléments spécifiques de la dynamique inconsciente
qui sous-tend les organisations : Freud a mis tout particulièrement l'accent
sur sa dimension répressive et surmoïque; Bion nous a montré 1'intensité des
vécus collectifs régressifs et leur problématique, ainsi que leurs
interférences possibles avec la réalisation des travaux à exécuter ; Jaques,
d'un point de vue plus kleinien, a mis en évidence, dans la"culture" des
organisations, une fonction de défense contre les angoisses primaires.
Nous possédons là des analyses importantes et fondées, encore qu'elles
traitent de sujets généraux ; seuls les travaux de Jaques, en effet, font
référence aux organisations
caractéristiques de notre temps, qu'il s'agisse
de bureaucraties ou d'entreprises productrices.
En outre, dans les
expériences de travail avec les organisations de notre temps comme
psychologues ou comme consultants d'entreprise , on se trouve de plus en
plus souvent face à une problématique qui exige une interprétation plus
spécifique que celle proposée par le modèle kleinien.
Nous faisons
particulièrement référence ici à l'émotion fondamentale que suscite la
hiérarchie, du fait qu'elle se trouve être au centre des émotions ; cela se
manifeste par un désir fortement tendu vers la réussite professionnelle,
ainsi que par une idéalisation diffuse du "top management" et en de
fréquents et graves problèmes relationnels entre les personnes qui sont dans
un rapport hiérarchique. Souffrances et humiliations infligées et subies sont
donc assez fréquentes et leurs effets s'étendent jusqu'au fonctionnement de
l'organisation. Mais ce qui nous frappe le plus, c'est qu'il s'agit de
souffrances "sans voix", en ce sens qu'il apparaît comme extraordinairement
difficile, dans ces situations, d'accéder à sa propre expérience émotive.
Tout se passe comme si quelque chose ou quelqu'un l'interdisait, comme si
une tacite "règle du jeu" imposait de ne pas se rendre compte de ce qui se
passe, rendant ainsi impossible une élaboration réaliste, pour chacun, de
ses propres sentiments.
Afin de mieux comprendre, d'un point de vue psychanalytique, ces
problématiques affectives des organisations, il nous semble important de
souligner leur dimension "familiale", à l'aide de quelques-uns des concepts
qu'Alice Miller (1979) a développés en référence à des contextes
spécifiques, familiaux et éducatifs.
Chaque organisation est fondée sur
des relations hiérarchiques qui rappèlent les situations familiales : les
personnes qui opèrent à l'intérieur des organisations se trouvent, en effet,
soit dans la situation de chef, soit en situation de dépendance, et souvent
dans les deux situations en même temps. Ce qui renvoie, dans l'affectif, non
seulement au couple universel et anhistorique : grand/petit, mais aussi et
surtout au couple historiquement marqué parent/enfant.
L'existence
d'aspects communs entre organisations et familles ne veut pas dire que
l'organisation se modèle forcément sur la structure familiale. Les
ressemblances sont toutefois suffisantes pour réactiver des sentiments et
des comportements passés, et donc capables de favoriser le développement de
dynamiques liées aux expériences affectives que chacun a éprouvées dans sa
famille.
Pareille répétition d'une situation affective ne pousse
pourtant pas, en général, à se conduire comme les enfants qu'on aurait voulu
être ni comme les parents qu'on aurait aimé avoir. S'il en était ainsi, les
problèmes des organisations seraient en effet beaucoup moins compliqués.
Mais de telles conjonctures heureuses ne peuvent apparaître qu'en cas d'une
bonne élaboration des évènements affectifs de l'enfance, élaboration qui
sera d'autant plus difficile qu'aura été difficile 1'histoire de chacun.
Alice Miller (1979) a repéré dans notre
société une présence
généralisée de frustrations et d'iniquités
liées à notre modèle éducatif. Elle affirme
avec force que l'adulte qui traîne
derrière lui une telle éducation ne pourra que
la reproduire de façon compulsive dans sa
propre vie.
Ainsi se crée un
lourd enchaînement de souffrances qui semble se dérouler hors de la
conscience et de la volonté de chacun.
Cette analogie avec la
famille nous aide à mieux comprendre les souffrances vécues dans les
organisations. Chacun y entre, en effet, avec ses propres besoins de
reconnaissance et de valorisation, avec son désir d'être apprécié ; mais il
se heurte à d'autres qui, eux, lui demandent de se conduire comme l'objet de
leur désir : c'est-à-dire de satisfaire leurs besoins, de se conduire comme
ils pensent qu'il doit se conduire ; en même temps ils lui demandent de ne
pas s'apercevoir de ce qui est en train de se produire, de ne pas réfléchir sur
la dynamique qui est en train de se mettre en place. Les considérations
d'Alice Miller sur la présence massive, dans notre société, de souffrances
liées au processus éducatif, nous permettent d'exprimer autrement notre
expérience des organisations.
Le problème est créé par les personnes qui,
frustrées par des parents incapables de reconnaître et valoriser leur
identité, ont tendance à se venger, en traitant les autres comme on les a
traitées. D'autres, au contraire, cacheront leur côté "enfant affamé" sous
l'apparence d'une magnificence qu'il faut admirer, ce que l'on peut entendre
comme défense contre la profonde douleur due à la perte de leur moi
authentique.
On peut s'étonner de voir que ceux qui sont l'objet de ces
demandes d'obéissance, de dépendance, d'admiration trouvent souvent cela
normal. Cela nous étonne moins quand on se souvient que, justement, la
demande de ne pas s'apercevoir, de ne pas se rendre compte de ce qui est en
train de se passer est caractéristique de ce qu'Alice Miller (1980) appelle "la
pédagogie noire". La plus grande violence dans le processus
éducatif, rappelle-t-elle, n'est pas tant de conditionner les comportements
que de conditionner la pensée : ce qui rend malade c'est le non-dit, c'est
ce qu'on ne peut démasquer.
Comme nous l'avons déjà noté, chaque
relation hiérarchique à l'intérieur d'une organisation ressemble, par
certains côtés, à celle qu'il y a entre un enfant et une figure parentale. Mais
avec une différence importante : dans le cas d'un enfant, celui-ci est, par
sa fragilité même, la victime toute désignée d'un parent qui va en faire
l'objet de son propre investissement narcissique. Dans le cas d'une
organisation, au contraire, il s'agit d'adultes ; mais, en même temps, tous
ces adultes ont été des enfants, avec des vécus plus ou moins difficiles. Il se
développera alors une dynamique relationnelle particulière, que nous pouvons
définir comme une suite incessante de "menaces narcissiques réciproques",
marquées par une conflictualité profonde, plus ou moins explicite et
reconnue suivant les cas.
Une telle dynamique, cependant, présente des
risques élevés, puisqu'elle entraîne des conflits ouverts et des
frustrations déchirantes. C'est la raison pour laquelle la demande silencieuse
de ne pas penser, de ne se rendre compte de rien est inconsciemment acceptée
par tous ; alors se créent, se cristallisent, des rôles psychologiques, des
convictions, des images de l'organisation qui ont une forte valence de
défense par rapport aux angoisses dérivées de la réactivation des dynamiques
familiales.
Ce qui est spécifique de l'organisation de travail réside
dans l'entrelacs inextricable d'une
dimension hiérarchique fonctionnelle et
de ses connotations émotionnelles.
La dynamique relationnelle
d'investissement narcissique et de frustrations réciproques s'insère alors
dans une trame complexe de rapports avec les objets qui sont produits par
l'organisation, avec les buts opératoires, avec le marché et avec la société
dans laquelle se situent les organisations : de ces relations complexes naît
une collusion défensive que nous pouvons, avec E. Jaques, appeler "culture".
Quoique les cultures des organisations soient, par bien des aspects,
différentes entre elles, toutes contiennent pourtant (à des degrés divers)
l'interdiction d'être conscients de sa perte de vérité intérieure. La
défense se paye donc d'un prix élevé : celui d'éloigner chacun de sa propre
vérité, d'atrophier sa capacité de penser l'expérience.
La difficulté à
penser, à son tour, peut avoir des caractéristiques diverses, qui seront plus ou
moins importantes suivant les organisations : nous nous bornerons ici à
indiquer les plus communes.
Un premier aspect important est celui que
nous appelons"étouffement de la vérité". Si chacun dit aux autres ce qui
et seulement ce qui d'après lui, doit servir à les faire se conduire comme
il le désire, et s'il veut en même temps afficher une image de lui-même assurée
et supérieure, détachée et enviable, alors l'étouffement de la vérité sera
douloureux mais inévitable et il s'étendra rapidement à toute
l'organisation.
Concurremment à la difficulté de penser ; s'instaure une
impossibilité de vivre les sentiments dans leur authenticité parce qu'ils
sont remplacés par des investissements narcissiques massifs. Les seuls
sentiments qui sont alors susceptibles d'être ressentis sont la rage et le
mépris. D'un autre côté, les structures de pouvoir, existantes à l'intérieur
de chaque organisation, comportent un risque constant d'humilier et de
blesser les autres, d'être humilié et blessé soi-même.
Mais les traumatismes narcissiques subis dans le contexte de
l'organisation ne peuvent être vécus qu'associés à des sentiments de faute
et de honte, aussi doivent-ils être niés, masqués par des idéalisations, ou
encore rejetés sur d'autres.
Lorsqu'il est normal d'étouffer la vérité,
il devient normal que chacun essaye d'interpréter, de deviner, de démasquer
cette vérité. Mais, de quelle vérité s'agit-il alors ?
En général, de celle
des niveaux hiérarchiquement supérieurs, de "lieux choisis, en collusion
silencieuse, comme dépositaires des valeurs, des orientations-guide, des
critères d'évaluation, du pouvoir. Ce n'est pas par hasard si celui qui
entre pour la première fois en contact avec une organisation est toujours
frappé par un aspect particulier des organisations, c'est-à-dire par
l'effort que fait chacun pour décoder les messages et les informations qui
lui parviennent.
Mais, naturellement, l'étouffement de la vérité ne concerne
pas que la communication ambiguë, partielle ou truffée d'omissions, des
informations importantes. A travers ces comportements, en effet, est
véhiculé un aspect plus profond et personnel que l'on retrouve
systématiquement dans les cultures des organisations : l'interdiction
implicite et pourtant efficace de comprendre, de s'apercevoir, de se rendre
compte, de façon personnelle et profonde, de ce qui se passe.
Comme nous
l'avons déjà dit, une des possibilités défensives de celui qui vit dans
l'étouffement de la vérité est de développer une idéalisation des instances
supérieures, destinée à occulter la blessure narcissique, qui, à travers une
identification, soit gratifiante.
Cette même identification, toutefois,
dilate l'espace de collusion, étouffant encore plus la vérité et augmentant
la quantité des souffrances "sans nom", justement parce qu'elles ne peuvent
être dites dans leur vérité.
Nous aimerions à présent insister sur un
aspect particulier de la collusion dans les organisations comme source de
malaise et d'inhibition de la pensée : le besoin d'avoir une solide base
idéologique. Il s'agit d'un besoin ressenti souvent comme ce qui est impossible
à sacrifier, car lorsqu'il n'est pas satisfait, on ressent un sentiment
douloureux de confusion et de faiblesse. D'autre part, ce besoin est bien
compréhensible dans le contexte de frustration narcissique dont nous avons
parlé : les modèles idéalisés constituant en fait une sorte de prescription
collective sur la bonne façon de se conduire et de penser une vérité idéalisée
qui se substitue à la vérité étouffée.
Le fantasme d'une
potentialité transformatrice intrinsèque des "idéaux" fait forcément partie
d'une culture construite sur de tels modèles de comportement et de relation
: il s'agit de modèles idéalisés, soustraits à la réflexion, à l'élaboration
et à la confrontation avec la complexité des situations réelles, dont la
compréhension intellectuelle apparaît comme suffisante pour assimiler les
idées neuves et pour développer des comportements appropriés.
Le fantasme
d'un contrôle absolu de l'expérience exercé au moyen d'idées parfaitement
claires a besoin (en tant que prétention mensongère) d'une inventivité
continue et de l'introduction de mots d'ordre et de modèles toujours
nouveaux.
A l'intérieur de cette situation de collusion, les problèmes,
les difficultés et les incertitudes, dans la mesure où ils arrivent à la
conscience, ont tendance à être considérés non comme une part inévitable des
vicissitudes du travail, mais plutôt comme étant de la faute de quelqu'un :
comme le résultat de la malhonnêteté, du double-jeu, de la mauvaise volonté
de certaines personnes ou d'unités entières de l'organisation.
Une telle dynamique est une conséquence directe des fantasmes de
contrôle absolu de la réalité ; à leur tour,
comme nous le savons, ces fantasmes sont associés à
l'étouffement de la vérité et à la
frustration des désirs de reconnaissance et de valorisation dont
chacun est porteur. Le processus de culpabilisation s'étend donc
en cascade, comme par contagion, jusqu'à ce qu'il trouve un
individu qui, par ses caractéristiques (en particulier par un
paradoxal besoin de contrôle) ou bien par sa place dans
l'organisation, assume la faute sans la transférer.
Des "poches" de culpabilité sont ainsi définies
dans certaines fonctions et rôles, qui absorbent les frustrations, les
sentiments d'impuissance et de rage inexprimée, les réactions de
revendication.
Mais la création de tels "boucs émissaires" n'est pas
capable de "nettoyer" le milieu. Tout au contraire, la culpabilisation
produit de nouveaux sentiments de faute, amplifiant ainsi ces mêmes
sentiments dont on voulait inconsciemment se libérer ; à son tour, l'acceptation
massive de la faute projetées induit aisément des comportements de
culpabilité, ce qui permet de fonder et d'accroître la projection des fautes
sur les "boucs émissaires".
Dans bien des cas, c'est la Direction du
Personnel qui est désignée comme fautive.
Pour mieux comprendre comment cela
est possible, nous dirons que, parmi les attributions les plus importantes
de ce département, il y a celle de "faire passer" des messages idéologiques
(par ex. "la qualité totale", la gestion efficace des ressources humaines",
etc.), et aussi celle de mettre au point et de rendre opératoires les
procédures d'évaluation du personnel. Ces attributions, qui ont une
importance évidente pour le fonctionnement des organisations, assument
également une importance symbolique à l'intérieur du processus psychologique de
la constitution des cultures d'organisation dont nous avons parlé jusqu'à
présent. La frustration des désirs de reconnaissance et de valorisation a
lieu dans les contacts journaliers, mais elle est symboliquement assumée
dans et avec l'évaluation formalisée ; le malaise secret par rapport aux
"beaux discours" traverse toutes les réunions et les rencontres, mais elle se
cristallise surtout par rapport aux documents de "programmation", aux
énonciations d'idéologies claires et rationnelles. D'autre part, la négation
de la vérité (dans sa dimension d'impossibilité d'élaborer 1'expérience)
conduit souvent à une attribution réciproque de faute à l'intérieur de la
Direction du Personnel, qui est alors divisée et parfois déchirée par les
accusations et les critiques destructrices des uns contre les autres.
Les difficultés et les conflits causent des souffrances, cela est
évident et tout le monde le sait, même à l'intérieur des organisations. Ce
qui, au contraire, n'est pas évident, c'est qu'il s'agit de manifestations
déplacées, et donc énigmatiques, de dynamiques relationnelles chargées de
valences affectives qui sont susceptibles d'inhiber la capacité de penser.
Mais s'il y a une interdiction tacite de percevoir les difficultés réelles,
on se trouve dans une impasse.
Le circuit du non-dit, chargé de souffrances,
se referme ainsi sur lui-même et se renforce indépendamment, dans une large
mesure, des caractéristiques de chacun.
La psychanalyse fournit une clé
de lecture particulièrement significative pour comprendre l'origine du
mal-être, des angoisses que bien des personnes ressentent lorsqu'elles
travaillent dans les organisations. Nous savons déjà qu'il s'agit de
l'échafaudage de constructions défensives "par collusion", qui ont un coût
psychique important en regard de l'étouffement de la vérité et de
l'inauthenticité de l'expérience émotionnelle. Mais la possibilité d'utiliser
réellement ces connaissances par des professionnels (psychologues ou
consultants) au sein des organisations apparaît comme assez problématique.
En effet, les dynamiques relationnelles représentent souvent le principal
problème de la culture des organisations, et ce d'autant plus qu'on est avec
celles-ci dans une relation de proximité, car on sera alors perçus comme
inclus dans le réseau de mouvements de frustration narcissique, de séduction et
d'affirmations idéologiques.
On peut aisément reconnaître, si l'on a une formation
psychanalytique, le caractère transférentiel de ces mouvements et on peut
donc les concevoir comme des potentialités de changement à l'intérieur de
l'organisation et pas seulement comme des problèmes.
Mais il faudrait pour
cela que les membres de l'organisation soient capables, par une réflexion
approfondie, de suspendre la dynamique relationnelle collusive qui les
entrave, pour en explorer les interdictions de comprendre, la tragédie
secrète, les souffrances.
Les cultures des organisations seront, en
général, disposées à considérer l'expert extérieur comme porteur d'un savoir
prestigieux et faisant autorité, dans la mesure où il montrera qu'il
s'adapte à ce qu'on attend de lui, en proposant quelque chose qui n'attaque
pas les structures défensives constituées. A partir du moment où il
prétendrait appliquer son savoir (basé, entre autres sur la reconnaissance
des mouvements transférentiels), à une connaissance approfondie des
problèmes de la culture de l'organisation, il ne serait probablement plus vu
comme un adulte plein d'autorité, mais comme un "enfant impertinent". Dans
d'autres cas, au contraire, l'expert sera vécu comme l'adulte à qui il faut
plaire, celui dont les analyses seront acceptées comme si on les avait
faites siennes, comme si elles allaient mettre en branle un processus de
pensée, alors qu'en réalité, elles seront systématiquement intellectualisées
et rendues superficielles.
Par ailleurs, si la vérité doit être
occultée, comment peut-on accepter la proposition de regarder avec plus de
clairvoyance et de plus près ce qui se passe ? Si les traumatismes doivent
être niés à travers l'idéalisation ou les transferts sur d'autres, comment
reconnaître les souffrances comme point de départ d'une réflexion ? S'il est
impossible de vivre ses propres sentiments, comment établir des relations
significatives ?
Il semble donc difficile d'utiliser, dans un but de
transformation, la connaissance des dynamiques affectives qui structurent
les cultures des entreprises. Ce n'est que dans certains cas (i.e. en
travail individuel) qu'il sera possible, pour 1'intervenant, de construire un
setting suffisamment clair et solide : il pourra alors prendre, comme objet
de travail, la façon dont est vécue cette culture.
La psychanalyse nous
permet donc de comprendre certains aspects de la dynamique relationnelle des
organisations qui, sans elle, nous resteraient obscurs et mystérieux.
Mais
la psychanalyse n'est pas, là non plus, omnipotente et elle devrait, tout au
contraire, nous avoir vaccinés contre les fantasmes d'omnipotence.
Bibliographie
Ambrosiano L. & Zanarini G (1988) :
"Dinamiche culturali e pensiero complesso : una prospettiva clinica
("Dynamiques culturelles et pensée complexe : une perspective clinique"),
Rivista di Psicologia Clinica, 3, 32-46
Bion W.R. (1965) : "Recherches
sur les petits Groupes", P.U.F.
Freud S. (1921) : "Psychologie collective et
analyse du Moi" Payot.
Jaques E. (1956) : "The changing culture in a
factory" Tavistock.
Meltzer D. (1990) : "Une Diatribe Swiftienne" ;
"Psychanalyse dans la Civilisation", n°2, Paris 1990, 32-46.
Miller A.
(1979) : "Das Drama der begabten Kindes (le drame de l'enfant doué) Suhrkamp.
Miller A. (1980) : "Am Anfang war Erziehung" (La persécution de l'enfant)
Suhrkamp.
Résumé
Pour comprendre le mal-être et la
souffrance qui existent dans les organisations contemporaines, on propose
une lecture psychanalytique inspirée par les recherches d'Alice Miller sur
les processus d'éducation. La culture des organisations apparaît alors comme le
résultat d'une collusion défensive par rapport aux menaces narcissiques
réciproques. On débat ensuite de l'efficacité d'une telle approche pour
transformer les organisations.
Mots clé : culture, organisation,
collusion.
Summary
In order to understand the
discomfort and sufferings which are characteristic of contemporary
organizations, the authors propose a psychoanalytical approach inspired by
the research of Alice Miller on educational processes. The culture of
organizations then appears as the result of a collusion which is a defense
against reciprocal narcissistic threats. The usefulness of this approach for
clinical intervention in organizations is then discussed.