Psychanalyse dans la Civilisation
Accueil
N° 1 octobre 1989
N° 2 juin 1990
N° 3 novembre 1990
N° 4 mai 1991
N° 5 novembre 1991
N° 6 mai 1992
N° 7 octobre 1992
N° 8 juin 1995
Contact
inalco
"Cosi fan tutti"
Les dynamiques relationnelles dans l'organisation
Laura Ambrosiano
Psychanalyste
Milan, Italie

Gianni Zanarini
Université de Bologne
Bologne, Italie
Laura Ambrosiano

Psychanalyste, elle fait partie de la Société psychanalytique italienne. Elle est membre du
"Studio APS" (Etude d'Analyse Psychosociologique), et s'intéresse à l'approche psychanalytique dans la formation et à l'intervention clinique dans les organisations de travail.
Elle a publié, avec Renzo Carli : "Esperienze di Psicosociologia" (Expériences de Psychosociologie) Milan 1984, et de nombreux articles dont, avec Gianni Zanarini :
"Dinamiche culturali e pensiero complesso : una prospettiva clinica" (1988).

Gianni Zanarini

Physicien et psychologue, il est professeur à l'Université de Bologne. Sa recherche en physique concerne la théorie des systèmes complexes. Il s'intéresse aussi à la psychologie de la connaissance et de la recherche scientifique.
Quelques-unes de ses publications :
· "L'emozione di pensare : psychologie de l'informatique", Milan 1985.
· "Introduction to the Physics of Complex Systems", Oxford 1986.
· "Complex Systems and Cognitive Processes, Heidelberg 1989.
· "Diario di viaggio : auto-organizzazione e livelli di realtà", Milan 1990.
· "Pensée scientifique et paradigmes affectifs : un hommage à Gaulée", "Psychanalyse dans la Civilisation", Paris 1990, 3,7-22.





"Cosi fan tutti"
Les dynamiques relationnelles dans l'organisation

Introduction

Pour tous les auteurs ­ de Freud (1921) à Jaques (1956) et à Bion (1965) ­ qui ont étudié les organisations d'un point de vue psychanalytique, il est évident que l'affectivité est toujours présente dans ces structures et qu'elle y tient une place importante.
Tous ont souligné certains éléments spécifiques de la dynamique inconsciente qui sous-tend les organisations : Freud a mis tout particulièrement l'accent sur sa dimension répressive et surmoïque; Bion nous a montré 1'intensité des vécus collectifs régressifs et leur problématique, ainsi que leurs interférences possibles avec la réalisation des travaux à exécuter ; Jaques, d'un point de vue plus kleinien, a mis en évidence, dans la"culture" des organisations, une fonction de défense contre les angoisses primaires.

Nous possédons là des analyses importantes et fondées, encore qu'elles traitent de sujets généraux ; seuls les travaux de Jaques, en effet, font référence aux organisations
caractéristiques de notre temps, qu'il s'agisse de bureaucraties ou d'entreprises productrices.
En outre, dans les expériences de travail avec les organisations de notre temps ­ comme psychologues ou comme consultants d'entreprise ­, on se trouve de plus en plus souvent face à une problématique qui exige une interprétation plus spécifique que celle proposée par le modèle kleinien.

Nous faisons particulièrement référence ici à l'émotion fondamentale que suscite la hiérarchie, du fait qu'elle se trouve être au centre des émotions ; cela se manifeste par un désir fortement tendu vers la réussite professionnelle, ainsi que par une idéalisation diffuse du "top management" et en de fréquents et graves problèmes relationnels entre les personnes qui sont dans un rapport hiérarchique. Souffrances et humiliations infligées et subies sont donc assez fréquentes et leurs effets s'étendent jusqu'au fonctionnement de l'organisation. Mais ce qui nous frappe le plus, c'est qu'il s'agit de souffrances "sans voix", en ce sens qu'il apparaît comme extraordinairement difficile, dans ces situations, d'accéder à sa propre expérience émotive.
Tout se passe comme si quelque chose ou quelqu'un l'interdisait, comme si une tacite "règle du jeu" imposait de ne pas se rendre compte de ce qui se passe, rendant ainsi impossible une élaboration réaliste, pour chacun, de ses propres sentiments.

Afin de mieux comprendre, d'un point de vue psychanalytique, ces problématiques affectives des organisations, il nous semble important de souligner leur dimension "familiale", à l'aide de quelques-uns des concepts qu'Alice Miller (1979) a développés en référence à des contextes spécifiques, familiaux et éducatifs.

Chaque organisation est fondée sur des relations hiérarchiques qui rappèlent les situations familiales : les personnes qui opèrent à l'intérieur des organisations se trouvent, en effet, soit dans la situation de chef, soit en situation de dépendance, et souvent dans les deux situations en même temps. Ce qui renvoie, dans l'affectif, non seulement au couple universel et anhistorique : grand/petit, mais aussi et surtout au couple historiquement marqué parent/enfant.

L'existence d'aspects communs entre organisations et familles ne veut pas dire que l'organisation se modèle forcément sur la structure familiale. Les ressemblances sont toutefois suffisantes pour réactiver des sentiments et des comportements passés, et donc capables de favoriser le développement de dynamiques liées aux expériences affectives que chacun a éprouvées dans sa famille.

Pareille répétition d'une situation affective ne pousse pourtant pas, en général, à se conduire comme les enfants qu'on aurait voulu être ni comme les parents qu'on aurait aimé avoir. S'il en était ainsi, les problèmes des organisations seraient en effet beaucoup moins compliqués.
Mais de telles conjonctures heureuses ne peuvent apparaître qu'en cas d'une bonne élaboration des évènements affectifs de l'enfance, élaboration qui sera d'autant plus difficile qu'aura été difficile 1'histoire de chacun.
Alice Miller (1979) a repéré dans notre société une présence généralisée de frustrations et d'iniquités liées à notre modèle éducatif. Elle affirme avec force que l'adulte qui traîne
derrière lui une telle éducation ne pourra que la reproduire de façon compulsive dans sa
propre vie.
Ainsi se crée un lourd enchaînement de souffrances qui semble se dérouler hors de la conscience et de la volonté de chacun.

Cette analogie avec la famille nous aide à mieux comprendre les souffrances vécues dans les organisations. Chacun y entre, en effet, avec ses propres besoins de reconnaissance et de valorisation, avec son désir d'être apprécié ; mais il se heurte à d'autres qui, eux, lui demandent de se conduire comme l'objet de leur désir : c'est-à-dire de satisfaire leurs besoins, de se conduire comme ils pensent qu'il doit se conduire ; en même temps ils lui demandent de ne pas s'apercevoir de ce qui est en train de se produire, de ne pas réfléchir sur la dynamique qui est en train de se mettre en place. Les considérations d'Alice Miller sur la présence massive, dans notre société, de souffrances liées au processus éducatif, nous permettent d'exprimer autrement notre expérience des organisations.
Le problème est créé par les personnes qui, frustrées par des parents incapables de reconnaître et valoriser leur identité, ont tendance à se venger, en traitant les autres comme on les a traitées. D'autres, au contraire, cacheront leur côté "enfant affamé" sous l'apparence d'une magnificence qu'il faut admirer, ce que l'on peut entendre comme défense contre la profonde douleur due à la perte de leur moi authentique.

On peut s'étonner de voir que ceux qui sont l'objet de ces demandes d'obéissance, de dépendance, d'admiration trouvent souvent cela normal. Cela nous étonne moins quand on se souvient que, justement, la demande de ne pas s'apercevoir, de ne pas se rendre compte de ce qui est en train de se passer est caractéristique de ce qu'Alice Miller (1980) appelle "la pédagogie noire". La plus grande violence dans le processus éducatif, rappelle-t-elle, n'est pas tant de conditionner les comportements que de conditionner la pensée : ce qui rend malade c'est le non-dit, c'est ce qu'on ne peut démasquer.

Comme nous l'avons déjà noté, chaque relation hiérarchique à l'intérieur d'une organisation ressemble, par certains côtés, à celle qu'il y a entre un enfant et une figure parentale. Mais avec une différence importante : dans le cas d'un enfant, celui-ci est, par sa fragilité même, la victime toute désignée d'un parent qui va en faire l'objet de son propre investissement narcissique. Dans le cas d'une organisation, au contraire, il s'agit d'adultes ; mais, en même temps, tous ces adultes ont été des enfants, avec des vécus plus ou moins difficiles. Il se développera alors une dynamique relationnelle particulière, que nous pouvons définir comme une suite incessante de "menaces narcissiques réciproques", marquées par une conflictualité profonde, plus ou moins explicite et reconnue suivant les cas.

Une telle dynamique, cependant, présente des risques élevés, puisqu'elle entraîne des conflits ouverts et des frustrations déchirantes. C'est la raison pour laquelle la demande silencieuse de ne pas penser, de ne se rendre compte de rien est inconsciemment acceptée par tous ; alors se créent, se cristallisent, des rôles psychologiques, des convictions, des images de l'organisation qui ont une forte valence de défense par rapport aux angoisses dérivées de la réactivation des dynamiques familiales.

Ce qui est spécifique de l'organisation de travail réside dans l'entrelacs inextricable d'une
dimension hiérarchique fonctionnelle et de ses connotations émotionnelles.
La dynamique relationnelle d'investissement narcissique et de frustrations réciproques s'insère alors dans une trame complexe de rapports avec les objets qui sont produits par l'organisation, avec les buts opératoires, avec le marché et avec la société dans laquelle se situent les organisations : de ces relations complexes naît une collusion défensive que nous pouvons, avec E. Jaques, appeler "culture".

Quoique les cultures des organisations soient, par bien des aspects, différentes entre elles, toutes contiennent pourtant (à des degrés divers) l'interdiction d'être conscients de sa perte de vérité intérieure. La défense se paye donc d'un prix élevé : celui d'éloigner chacun de sa propre vérité, d'atrophier sa capacité de penser l'expérience.
La difficulté à penser, à son tour, peut avoir des caractéristiques diverses, qui seront plus ou moins importantes suivant les organisations : nous nous bornerons ici à indiquer les plus communes.
Un premier aspect important est celui que nous appelons"étouffement de la vérité". Si chacun dit aux autres ce qui ­ et seulement ce qui ­ d'après lui, doit servir à les faire se conduire comme il le désire, et s'il veut en même temps afficher une image de lui-même assurée et supérieure, détachée et enviable, alors l'étouffement de la vérité sera douloureux mais inévitable et il s'étendra rapidement à toute l'organisation.

Concurremment à la difficulté de penser ; s'instaure une impossibilité de vivre les sentiments dans leur authenticité parce qu'ils sont remplacés par des investissements narcissiques massifs. Les seuls sentiments qui sont alors susceptibles d'être ressentis sont la rage et le mépris. D'un autre côté, les structures de pouvoir, existantes à l'intérieur de chaque organisation, comportent un risque constant d'humilier et de blesser les autres, d'être humilié et blessé soi-même.

Mais les traumatismes narcissiques subis dans le contexte de l'organisation ne peuvent être vécus qu'associés à des sentiments de faute et de honte, aussi doivent-ils être niés, masqués par des idéalisations, ou encore rejetés sur d'autres.

Lorsqu'il est normal d'étouffer la vérité, il devient normal que chacun essaye d'interpréter, de deviner, de démasquer cette vérité. Mais, de quelle vérité s'agit-il alors ?
En général, de celle des niveaux hiérarchiquement supérieurs, de "lieux choisis, en collusion silencieuse, comme dépositaires des valeurs, des orientations-guide, des critères d'évaluation, du pouvoir. Ce n'est pas par hasard si celui qui entre pour la première fois en contact avec une organisation est toujours frappé par un aspect particulier des organisations, c'est-à-dire par l'effort que fait chacun pour décoder les messages et les informations qui lui parviennent.
Mais, naturellement, l'étouffement de la vérité ne concerne pas que la communication ambiguë, partielle ou truffée d'omissions, des informations importantes. A travers ces comportements, en effet, est véhiculé un aspect plus profond et personnel que l'on retrouve systématiquement dans les cultures des organisations : l'interdiction implicite et pourtant efficace de comprendre, de s'apercevoir, de se rendre compte, de façon personnelle et profonde, de ce qui se passe.
Comme nous l'avons déjà dit, une des possibilités défensives de celui qui vit dans l'étouffement de la vérité est de développer une idéalisation des instances supérieures, destinée à occulter la blessure narcissique, qui, à travers une identification, soit gratifiante.
Cette même identification, toutefois, dilate l'espace de collusion, étouffant encore plus la vérité et augmentant la quantité des souffrances "sans nom", justement parce qu'elles ne peuvent être dites dans leur vérité.

Nous aimerions à présent insister sur un aspect particulier de la collusion dans les organisations comme source de malaise et d'inhibition de la pensée : le besoin d'avoir une solide base idéologique. Il s'agit d'un besoin ressenti souvent comme ce qui est impossible à sacrifier, car lorsqu'il n'est pas satisfait, on ressent un sentiment douloureux de confusion et de faiblesse. D'autre part, ce besoin est bien compréhensible dans le contexte de frustration narcissique dont nous avons parlé : les modèles idéalisés constituant en fait une sorte de prescription collective sur la bonne façon de se conduire et de penser une vérité idéalisée qui se substitue à la vérité étouffée.

Le fantasme d'une potentialité transformatrice intrinsèque des "idéaux" fait forcément partie d'une culture construite sur de tels modèles de comportement et de relation : il s'agit de modèles idéalisés, soustraits à la réflexion, à l'élaboration et à la confrontation avec la complexité des situations réelles, dont la compréhension intellectuelle apparaît comme suffisante pour assimiler les idées neuves et pour développer des comportements appropriés.
Le fantasme d'un contrôle absolu de l'expérience exercé au moyen d'idées parfaitement claires a besoin (en tant que prétention mensongère) d'une inventivité continue et de l'introduction de mots d'ordre et de modèles toujours nouveaux.

A l'intérieur de cette situation de collusion, les problèmes, les difficultés et les incertitudes, dans la mesure où ils arrivent à la conscience, ont tendance à être considérés non comme une part inévitable des vicissitudes du travail, mais plutôt comme étant de la faute de quelqu'un : comme le résultat de la malhonnêteté, du double-jeu, de la mauvaise volonté de certaines personnes ou d'unités entières de l'organisation.

Une telle dynamique est une conséquence directe des fantasmes de contrôle absolu de la réalité ; à leur tour, comme nous le savons, ces fantasmes sont associés à l'étouffement de la vérité et à la frustration des désirs de reconnaissance et de valorisation dont chacun est porteur. Le processus de culpabilisation s'étend donc en cascade, comme par contagion, jusqu'à ce qu'il trouve un individu qui, par ses caractéristiques (en particulier par un paradoxal besoin de contrôle) ou bien par sa place dans l'organisation, assume la faute sans la transférer.
Des "poches" de culpabilité sont ainsi définies dans certaines fonctions et rôles, qui absorbent les frustrations, les sentiments d'impuissance et de rage inexprimée, les réactions de revendication.

Mais la création de tels "boucs émissaires" n'est pas capable de "nettoyer" le milieu. Tout au contraire, la culpabilisation produit de nouveaux sentiments de faute, amplifiant ainsi ces mêmes sentiments dont on voulait inconsciemment se libérer ; à son tour, l'acceptation massive de la faute projetées induit aisément des comportements de culpabilité, ce qui permet de fonder et d'accroître la projection des fautes sur les "boucs émissaires".
Dans bien des cas, c'est la Direction du Personnel qui est désignée comme fautive.
Pour mieux comprendre comment cela est possible, nous dirons que, parmi les attributions les plus importantes de ce département, il y a celle de "faire passer" des messages idéologiques (par ex. "la qualité totale", la gestion efficace des ressources humaines", etc.), et aussi celle de mettre au point et de rendre opératoires les procédures d'évaluation du personnel. Ces attributions, qui ont une importance évidente pour le fonctionnement des organisations, assument également une importance symbolique à l'intérieur du processus psychologique de la constitution des cultures d'organisation dont nous avons parlé jusqu'à présent. La frustration des désirs de reconnaissance et de valorisation a lieu dans les contacts journaliers, mais elle est symboliquement assumée dans et avec l'évaluation formalisée ; le malaise secret par rapport aux "beaux discours" traverse toutes les réunions et les rencontres, mais elle se
cristallise surtout par rapport aux documents de "programmation", aux énonciations d'idéologies claires et rationnelles. D'autre part, la négation de la vérité (dans sa dimension d'impossibilité d'élaborer 1'expérience) conduit souvent à une attribution réciproque de faute à l'intérieur de la Direction du Personnel, qui est alors divisée et parfois déchirée par les accusations et les critiques destructrices des uns contre les autres.

Les difficultés et les conflits causent des souffrances, cela est évident et tout le monde le sait, même à l'intérieur des organisations. Ce qui, au contraire, n'est pas évident, c'est qu'il s'agit de manifestations déplacées, et donc énigmatiques, de dynamiques relationnelles chargées de valences affectives qui sont susceptibles d'inhiber la capacité de penser. Mais s'il y a une interdiction tacite de percevoir les difficultés réelles, on se trouve dans une impasse.
Le circuit du non-dit, chargé de souffrances, se referme ainsi sur lui-même et se renforce indépendamment, dans une large mesure, des caractéristiques de chacun.

La psychanalyse fournit une clé de lecture particulièrement significative pour comprendre l'origine du mal-être, des angoisses que bien des personnes ressentent lorsqu'elles travaillent dans les organisations. Nous savons déjà qu'il s'agit de l'échafaudage de constructions défensives "par collusion", qui ont un coût psychique important en regard de l'étouffement de la vérité et de l'inauthenticité de l'expérience émotionnelle. Mais la possibilité d'utiliser réellement ces connaissances par des professionnels (psychologues ou consultants) au sein des organisations apparaît comme assez problématique. En effet, les dynamiques relationnelles représentent souvent le principal problème de la culture des organisations, et ce d'autant plus qu'on est avec celles-ci dans une relation de proximité, car on sera alors perçus comme inclus dans le réseau de mouvements de frustration narcissique, de séduction et d'affirmations idéologiques.

On peut aisément reconnaître, si l'on a une formation psychanalytique, le caractère transférentiel de ces mouvements et on peut donc les concevoir comme des potentialités de changement à l'intérieur de l'organisation et pas seulement comme des problèmes.
Mais il faudrait pour cela que les membres de l'organisation soient capables, par une réflexion approfondie, de suspendre la dynamique relationnelle collusive qui les entrave, pour en explorer les interdictions de comprendre, la tragédie secrète, les souffrances.

Les cultures des organisations seront, en général, disposées à considérer l'expert extérieur comme porteur d'un savoir prestigieux et faisant autorité, dans la mesure où il montrera qu'il s'adapte à ce qu'on attend de lui, en proposant quelque chose qui n'attaque pas les structures défensives constituées. A partir du moment où il prétendrait appliquer son savoir (basé, entre autres sur la reconnaissance des mouvements transférentiels), à une connaissance approfondie des problèmes de la culture de l'organisation, il ne serait probablement plus vu comme un adulte plein d'autorité, mais comme un "enfant impertinent". Dans d'autres cas, au contraire, l'expert sera vécu comme l'adulte à qui il faut plaire, celui dont les analyses seront acceptées comme si on les avait faites siennes, comme si elles allaient mettre en branle un processus de pensée, alors qu'en réalité, elles seront systématiquement intellectualisées et rendues superficielles.
Par ailleurs, si la vérité doit être occultée, comment peut-on accepter la proposition de regarder avec plus de clairvoyance et de plus près ce qui se passe ? Si les traumatismes doivent être niés à travers l'idéalisation ou les transferts sur d'autres, comment reconnaître les souffrances comme point de départ d'une réflexion ? S'il est impossible de vivre ses propres sentiments, comment établir des relations significatives ?
Il semble donc difficile d'utiliser, dans un but de transformation, la connaissance des dynamiques affectives qui structurent les cultures des entreprises. Ce n'est que dans certains cas (i.e. en travail individuel) qu'il sera possible, pour 1'intervenant, de construire un setting suffisamment clair et solide : il pourra alors prendre, comme objet de travail, la façon dont est vécue cette culture.
La psychanalyse nous permet donc de comprendre certains aspects de la dynamique relationnelle des organisations qui, sans elle, nous resteraient obscurs et mystérieux.
Mais la psychanalyse n'est pas, là non plus, omnipotente et elle devrait, tout au contraire, nous avoir vaccinés contre les fantasmes d'omnipotence.

Bibliographie

Ambrosiano L. & Zanarini G (1988) : "Dinamiche culturali e pensiero complesso : una prospettiva clinica ("Dynamiques culturelles et pensée complexe : une perspective clinique"), Rivista di Psicologia Clinica, 3, 32-46
Bion W.R. (1965) : "Recherches sur les petits Groupes", P.U.F.
Freud S. (1921) : "Psychologie collective et analyse du Moi" Payot.
Jaques E. (1956) : "The changing culture in a factory" Tavistock.
Meltzer D. (1990) : "Une Diatribe Swiftienne" ; "Psychanalyse dans la Civilisation", n°2, Paris 1990, 32-46.
Miller A. (1979) : "Das Drama der begabten Kindes (le drame de l'enfant doué) Suhrkamp.
Miller A. (1980) : "Am Anfang war Erziehung" (La persécution de l'enfant) Suhrkamp.

Résumé

Pour comprendre le mal-être et la souffrance qui existent dans les organisations contemporaines, on propose une lecture psychanalytique inspirée par les recherches d'Alice Miller sur les processus d'éducation. La culture des organisations apparaît alors comme le résultat d'une collusion défensive par rapport aux menaces narcissiques réciproques. On débat ensuite de l'efficacité d'une telle approche pour transformer les organisations.

Mots clé : culture, organisation, collusion.

Summary

In order to understand the discomfort and sufferings which are characteristic of contemporary organizations, the authors propose a psychoanalytical approach inspired by the research of Alice Miller on educational processes. The culture of organizations then appears as the result of a collusion which is a defense against reciprocal narcissistic threats. The usefulness of this approach for clinical intervention in organizations is then discussed.

Keywords: culture, organization, collusion.      

© Inconscientetsociete.com - Tous droits réservés
Aide en réalisation http://www.aideordi.info