Psychanalyse dans la Civilisation
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Une diatribe swiftienne
Donald Meltzer
Psychanalyste
Grande-Bretagne

Donald Meltzer est un éminent psychanalyste britannique. Né à New York en 1922, il a contribué à développer la pensée de Mélanie Klein. Son premier livre, "Le Processus Psychanalytique" (1965) dégage cinq étapes dans une cure :
1. Le rassemblement des éléments du transfert.
2. Le tri des confusions géographiques.
3. Le tri des confusions de zones.
4. Le seuil de la position dépressive.
5. Le processus de sevrage.
Dans les "Structures sexuelles de la vie psychique" (1972), il étudie polymorphisme et perversité dans la sexualité infantile et montre que l'attitude perverse n'est pas liée au polymorphisme de cette sexualité.

Dans "Exploration du Monde de l'Autisme" (1975), il introduit l'importante idée du démantèlement comme mode de clivage passif propre à l'autisme.

Enfin, avec "Le Développement Kleinien de la Psychanalyse ", il étudie les relations existant entre les oeuvres de Freud, Mélanie Klein et Wilfred Bion.

Ses préoccupations actuelles sont centrées sur ce qu'il appelle un "Conflit esthétique", dont le sens est associé à une interrogation première de l'infans sur la beauté du Monde : "Est-ce aussi beau au-dedans (où je ne suis plus) que dehors (où je suis) ?

L'article "A Swiftean Diatribe" est tiré du dernier ouvrage de Donald Meltzer, "Studies in Extended Metapsychology" (actuellement en traduction), dont il est le XVIIe et avant dernier chapitre.

Il n'échappera pas au lecteur que certaines des idées proposées dans ce texte par Donald Meltzer sont aux antipodes de celles soutenues par Franco Fornani (et, accessoirement, des miennes).
Donald Meltzer est représentatif d'un important courant d'idées, ainsi qu'un psychanalyste et un auteur plein de créativité. Il est donc d'un grand intérêt de pouvoir soumettre un de ses derniers textes aux lecteurs français.
G. R.

La dernière phrase de la lettre que Donald Meltzer m'a adressée pour m'autoriser à publier ce chapitre est : Je ne me suis jamais amusé davantage qu'en écrivant ce texte.

Cléopâtre Athanassiou
(texte partiellement repris, avec son accord, de celui que C. Athanassiou a écrit pour le Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse)

Quelle que soit l'ampleur des catastrophes qui désormais menacent notre planète, il n'est pourtant peut-être pas indispensable d'étudier ces problèmes sous leur angle quantitatif. C'est en effet dans la limitation de notre capacité de penser et la peine que nous avons à l'établir sur une sensibilité émotionnelle adéquate que se trouvent nos difficultés.
Un abord superficiel de ce problème peut nous faire croire qu'un cataclysme doit forcément nous émouvoir profondément, mais un examen plus attentif nous suggère quelque chose de bien différent, on peut constater, en effet, que les spectacles, descriptions, statistiques et prophéties de destins funestes excitent nos émotions plutôt qu'ils ne les mobilisent. C'est-à-dire qu'ils excitent notre sens de l'opposition au déjà connu, mais sont incapables de nous pousser à découvrir l'inconnu. Dans ce sens, ils réactivent les tendances perverses de l'esprit, les liens négatifs : -L, -H, -K, dans la terminologie de Bion.

La fin du monde peut bien être annoncée en mégatonnes plutôt qu'en rapports de température de queue de comète (comme le font les mathématiciens/astronomes de Laputa) ou encore, dans le langage des Prophètes de l'Ancien Testament, comme étant la"Colère de Dieu", de tels concepts ne modifient pas notre émotion.
Comme en témoignent d'abondance la télévision, les films ou les romans à quatre sous, ainsi que l'énorme intérêt qu'y porte toute une population - la mentalité individuelle et la participation individu elle aux groupes sont, d'une manière ou d'une autre, contaminées par l'attrait pervers de la guerre moderne et sa parenté évidente avec la magie.

Il n'est pas sans intérêt de noter que le terme "magique" a disparu du vocabulaire psychanalytique, probablement autour des années quarante ; son remplaçant "omnipotence" n'a que très peu de force, à cause de son imprécision, mais aussi parce que son étymologie suggère que sa finalité serait de pouvoir faire tout et n'importe quoi.
Mais il lui manque le "noeud" de la fascination qu'exerce la magie, qui se fonde sur la possibilité d'arriver à ses fins sans avoir à s'occuper des moyens à employer pour y parvenir.
Le concept de "réalisation du désir" n'en rend pas compte non plus, peut-être à cause de la pénombre qui entoure le sens et la musique du mot "désir", qui est singulièrement dénué de violence.
Le mot "magie" couvre tous ces sens, impliquant tout ce que "désir" contient, plus l'indication de l'action à distance, plus l'indifférence au sujet des moyens à utiliser, plus une nuance de mal.
Dans notre relation "blasée" à l'appareil technologique de la vie quotidienne, nous ne remarquons plus le recours à la "magie" dont foisonnent les myriades de mécanismes de la vie moderne tourner le robinet, appuyer sur l'interrupteur, ne pas même toucher le bouton de l'ascenseur mais l'effleurer à peine, s'approcher seulement des portes vitrées, changer de chaîne sans quitter son fauteuil, faire les calculs les plus compliqués grâce à une machine, etc.
C'est uniquement lorsque le gadget tombe en panne, et que nous nous rendons compte de la crise de rage infantile que cela provoque en nous, que nous prenons le temps de penser.
Nous nous conduisons en notre for intérieur, et parfois même extérieurement, comme Rumpelstiltskin, avec une rage impuissante. Mais pourquoi cette rage ? Et pourquoi impuissante ? D'où vient donc cette rage ? Peut-être est-elle sans cesse présente, sous la forme d'une irritabilité naissante, cette grande pseudo émotion qui inquiète et fait fuir tout le monde, de la même façon que tous cherchent à se mettre à l'abri, lorsqu'un chien mouillé se secoue au sortir de l'eau. Quand une personne irritable se secoue, chacun se sent mouillé mais impuissant à éviter les gouttes.
Quand nous halons nos filets conceptuels et que nous y trouvons cette idée d'irritabilité, nous pouvons d'abord penser avoir pris une épave plutôt qu'un poisson, parce que l'irritabilité est justement le bâton qu'agitent les organisations tyranniques qui emploient "la carotte et le bâton".

Ce bâton-là ne blesse pas, il fait seulement du bruit ou bourdonne et grogne. Il "montre les dents" à l'inférieur hiérarchique. La phraséologie de l'irritabilité est intéressante à étudier pour son ambiguïté et sa sophistication. Quelqu'un est soupçonné d'être "ennuyeux", ou bien on "n'a pas le temps " de le rencontrer, on "aurait dû y penser plus tôt". Les choses, quant à elles, sont "trop chères", "inappropriées", "sujettes à controverse", "trop originales", "trop voyantes" ou "légèrement vulgaires". Le sourire est sur les lèvres du locuteur, mais ses yeux sont froids; ses mots sont polis mais la musique en est monotone ; ses lunettes ont glissé au bout de son nez, et il toise son interlocuteur comme s'il mesurait un mètre cinquante ; la conversation téléphonique est à peine commencée qui elle est déjà terminée, et on vous assure que "le problème sera reconsidéré dans quelques temps".

C'est un vrai mystère que les manifestations d'irritabilité aient un tel impact sur toutes les institutions sociales, que ce soient elles qui maintiennent l'ordre à l'intérieur de ces structures hiérarchiques. Peut-être la théorie des signes nous donnera-t-elle, de ce fait important, une meilleure compréhension que ne le fait celle du symbolisme. Il est clair, en effet, que ces manifestations d'irritabilité sont entièrement non spécifiques et ne peuvent être considérées comme de la communication, mais plutôt comme des actions destinées à marquer une supériorité de rang. Cette impression est confirmée par l'observation de la méthode, quasi universelle, qu'emploie la personne de rang inférieur pour neutraliser l'impression nocive qu'elle a reçue. Comme on applique de l'herbe sauvage pour atténuer la brûlure de 1'ortie, ainsi l'inférieur a invariablement recours à ce qu'on appelle "l'insolence muette". Selon son intelligence et sa compétence, il peut - toutes choses égales d'ailleurs - faire en sorte que son attitude soit indétectable par son supérieur. Il peut aussi désirer qu'elle soit visible, son efficacité se mesurant alors à sa capacité à la rendre non descriptible ou, du moins, sans preuves, tangibles. Mais en général, l'inférieur ne désire nullement que cela soit repéré, car son attitude avait surtout pour but de restaurer son économie interne, de se débarrasser de l'impact déplaisant que lui avait causé l'irritabilité de son supérieur.

Des personnes d'un tel rang hiérarchique peuvent également diminuer leur détresse en confiant à un collègue la mauvaise opinion qu'ils ont de leur supérieur commun, ou même de plusieurs de leurs supérieurs respectifs. C'est un phénomène important, parce qu'il est à la base de l'inaction de la grande majorité silencieuse.
En fait, toutes les institutions hiérarchiques contiennent une majorité silencieuse, dont on pourrait dire qu'elle comprend presque tout le monde, puisque chaque individu est dans une position inférieure par rapport à quelqu'un d'autre, y compris la personne qui se trouve "au sommet", car elle-même est terrifiée par la rébellion qui se profile dans la majorité silencieuse, c'est-à-dire dans la totalité des inférieurs.

Je souligne ces observations banales, que quiconque peut faire s'il y réfléchit, et qu'il a probablement déjà faites, parce que cela peut être la clé de la compréhension de l'étrange phénomène qui existe chez les humains (peut-être même parmi les animaux), et qu'on appelle "la politique".
Je suis tout à fait d'accord avec les formulations de Bion au sujet des "Groupes" qui fonctionnent avec des "Hypothèses de Base" et de la "Mentalité de Groupe", car c'est une avancée à la fois exacte et importante sur ce Sujet ; et la reconnaissance de l'identification projective comme son vecteur est également juste.

J'ai l'intention, quant à moi, d'en examiner un aspect différent, celui qui concerne la signification du contenu de tels groupes.
Je dirai à nouveau que, considérés du point de vue de la pensée, de tels"Groupes" sont "programmés" et donc sans pensée véritable. Ils décident de leurs actions en fonction d'une dérivation - logique ou pas - de l'hypothèse de base. Mais si cette proposition décrit bien son mécanisme global, elle ne nous éclaire guère sur le sens qu'il prend dans l'économie vitale de chacun des participants.
Il va sans dire que le sens en est particulier et unique pour chaque individu mais qu'il doit être possible de trouver des points communs, des principes généraux.

Nos propos ont donné à entendre, jusqu'à présent, que tout membre d'une organisation hiérarchique a deux sortes de plaisirs : celui, évident, de tyranniser ses inférieurs et celui, plus subtil, de décevoir ses supérieurs - que fondamentalement il méprise - alors que ceux-ci le croient soumis et respectueux.

La question se pose alors de savoir (et là se trouve probablement le noeud de l'affaire), comment s'y prend la personne qui méprise secrètement son supérieur, tout en prétendant lui manifester soumission et respect, pour arriver à lui laisser croire que ses inférieurs lui sont soumis et le respectent.
Puisque c'est dans cette croyance que doit résider le plaisir du supérieur à tyranniser, notre réponse à une telle question tient en un seul mot : stupidité !

Mais le sens que peut avoir ce mot n'est toutefois pas immédiatement apparent ; il ne s'agit évidemment pas d'un manque d'intelligence ; aussi notre premier objet d'étude, dans notre recherche de la vérité, restera l'observation de la conduite sociale des jeunes enfants dans un groupe qui s'est formé spontanément.
On ne peut déjà pas leur attribuer un manque d'intelligence, alors qu'ils ont montré des capacités si brillantes dans d'autres domaines. Mais, dans leur conduite envers des enfants plus jeunes ou plus faibles qu'eux, ils font montre d'une stupidité qui révèle un comportement tout à fait comparable à celui des animaux, tels que chevaux, chiens, singes, etc.

Leur manque peut plus exactement être désigné comme un manque d'imagination, qui se développe à partir des processus identificatoires : alors qu'un individu peut si bien, dans la structure hiérarchique, s'identifier à ses supérieurs qu'il en arrive à imaginer le procédé exquis de l'insolence muette, cette même capacité d'identification semble lui manquer quand il s'agit de ses inférieurs. C'est comme s'il y avait deux états d'esprit distincts et sans communication entre eux, l'un d'infériorité et l'autre de supériorité, l'un tendant toujours vers le haut pour s'identifier aux supérieurs, l'autre refusant d'être tiré vers le bas, vers une identification à des inférieurs. On peut remarquer ce même défaut lorsqu'une personne veut faire preuve de gentillesse, de considération et de bienveillance envers ses inférieurs. Cela aboutit invariablement à un comportement grotesque à parfum de paternalisme, de complaisance et d'insensibilité arrogante.

Cet exposé ne fait que récapituler ce que nous connaissons bien grâce à l'étude psychanalytique des perversions, à savoir qu'il y a des jeux sado-masochistes réversibles, dans lesquels le sadique est celui qui est manipulé, tandis que c'est le masochiste qui donne le ton.
Cela semble être une façon de voir tout à fait paradoxale si on l'applique à la politique ou à la structure des organisations hiérarchisées.
Mais si nous prenons en considération les moyens par lesquels les gens s'élèvent dans ces organisations, il est tout à fait clair qu'ils le font grâce à la manipulation intelligente, pleine d'imagination et même cynique de leurs supérieurs. Cela nous indique aussi que nous ne devons pas être surpris lorsqu'un politicien ou un patron se conduit de façon stupide et sans imagination dans son travail ; il suffit de se souvenir que ses facultés sont utilisées avec une grande prodigalité pour manier tous ses supérieurs hiérarchiques successivement. Ces processus peuvent sembler amusants quand ils sont abordés dans des comédies comme "Oui, Monsieur le Ministre" (comédie anglaise bien connue), elles ont pourtant le ton de la vérité.

Ces considérations apportent quelques lumières sur ce que nous avons, peut-être un peu négligemment, classé jusqu'à présent sous l'étiquette de "obéissance". On voit, en effet, qu'un examen plus minutieux révèle quelque chose de bien plus complexe que ce mot, avec ses harmoniques de réflexe conditionné, ne nous l'avait laissé penser.
La moindre réflexion sur notre expérience de parents nous montrera la même chose:au moment où nous exigeons l'obéissance chez nos enfants, avec une autorité qui n'est pas
inspirée par l'amour, nous engageons, chez nos enfants, un processus des plus complexes de résistance passive mêlée à de l'hypocrisie et à du ressentiment ; ce dernier sera bientôt transféré sur les cadets, les animaux familiers ou le mobilier.

Parvenus à ce point, et parce que nous avons touché à la vie familiale avec sa dangereuse tendance à dégénérer en structure hiérarchique, il devient nécessaire de confirmer l'existence de ce que Bion a appelé le "Groupe de Travail". Il semble possible - dans des conditions très particulières - que des êtres humains puissent travailler ensemble, joyeusement et dans un respect mutuel. Les conditions peuvent en être énoncées avec précision, ainsi que l'a fait Bion : il doit y avoir une tâche à accomplir ; il faut avoir les outils, les matériaux et le savoir nécessaires pour la mener à bonne fin ; il doit y avoir un tableau qui indique le travail de chacun en tenant compte de ses capacités propres ; et enfin il doit y avoir des règles de procédure explicites (aussi bien qu'implicites) et des voies de communication, ainsi que le langage adéquat et propre à cette tâche.
Avoir ainsi explicité les conditions de 1' Organisation du "Groupe de Travail" a permis de montrer clairement (a contrario) les conditions qui favorisent la"Mentalité de Groupe à Hypothèse de Base" et l'évolution de la structure hiérarchique.

Nous devons encore préciser un autre point dans cette affaire, à savoir que les structures hiérarchiques sont des structures de rang, dans lesquelles le rôle et la fonction ne sont pas forcément en harmonie. Et ceci parce que les conditions favorables à l'organisation du "Groupe de Travail" sont ou bien absentes ou alors présentes, mais si faiblement qu'elles peuvent à tout moment être perdues de vue.

De toutes les conditions énumérées plus haut, celle qui manque le plus souvent est "la tâche".
Ce n'est pas toujours apparent, parce qu'il est difficile de distinguer entre tâche réelle et tâche illusoire
Le meilleur exemple en serait évidemment l'Eglise ; il est d'un certain intérêt de constater qu'en étudiant la psychologie des groupes, Freud avait été conduit à choisir comme exemples l'Eglise et l'Armée.
On ne peut pas se rendre immédiatement compte que l'Armée n'a pas de tâche nettement définie, alors que, si on n'est pas croyant, on peut le faire pour l'Eglise.
Or, le concept d'"ennemi" n'est-il pas au moins aussi illusoire que celui de "Vrai Dieu" ?
Le "Vrai" ennemi met des années, peut-être des siècles, à se façonner au moyen de
provocations, propagande, double jeu et alliances secrètes. Eh bien ! L'Ancien Testament ne s'est pas écrit non plus en un jour !
L'absence d'une tâche véritable, comme son remplacement par une tâche illusoire, est certainement du domaine du gouvernement. Encore serait-il plus juste de dire que la tâche est mal comprise, plutôt qu'absente ou illusoire.
Le mot "gouvernement" lui-même, dont les racines viennent du grec, "tenir la barre", révèle le malentendu, puisqu'il implique clairement, non seulement le contrôle adéquat du navire de l'Etat, mais encore la perception d'un but connu, ou du moins une direction, des instruments de navigation, etc.
Si les hommes d'Etat se croyaient capables de mener à bien un tel travail, nous penserions tout simplement qu'ils se proposent une tâche délirante. Mais je suppose que ceci n'a pas été un délire largement répandu, au moins depuis la disparition des rois de "droit divin".
Les plus évidemment fous des meneurs d'hommes l'ont peut-être affirmé et communiqué à leurs disciples. Mais même Hitler, qui se vantait de faire l'Histoire pour mille ans, n'a pas prétendu connaître avec précision le chemin pour y parvenir ; il se contentait de bloquer la barre.
Néanmoins, si grand est le désir humain d'être délivré de la nécessité de penser, de n'être qu'un passager, que le politicien professionnel est obligé, en se présentant aux suffrages, de prétendre posséder des connaissances - supérieures en savoir - sur la société, l'économie, la diplomatie, les problèmes militaires, pédagogiques, technologiques, psychologiques et écologiques.

Mais la position que l'on a déterminé aussi le rôle qu'on doit jouer, avec le résultat suivant : ce qui fut singeries de campagne électorale doit au moins sembler, pour la galerie, être en voie de réalisation.

Cependant, le clivage subtil entre le rôle et la fonction commence à être visible, dans toute sa vacuité dénuée de pensée et toute son irascibilité, au moment où un rang précis est créé. C'est alors que la "masse d'arme" de l'irritabilité surgit, comme par magie, dans la main d'un homme, quand bien même il eut été, jusque-là, le plus doux des êtres.
Il peut sembler excessif de mettre autant d'emphase dans le langage, comme pour le charger de tous les maux; mais il est vrai que les noms que nous donnons aux choses et le fait même que nous leur donnions un nom (ce qui implique qu'elles existent en tant que choses) joue un rôle décisif comme étouffoir de la pensée, qui est elle-même toujours désireuse de se laisser étouffer.
Si, au lieu de titres comme "colonel" "évêque", "premier ministre", "concierge", "éboueur", etc., nous parlions seulement en termes qui décrivent le travail, le sens en changerait, encore que la complexité de la méthode soit décourageante. Et puis, il faut aussi s'imaginer l'inertie ambiante : la description du travail à faire serait bientôt raccourcie, puis abrégée, ensuite "siglée" et enfin un néologisme indiquant le rang surgirait, tout frais émoulu et prometteur de nouveauté là où il n'en existe absolument pas.
Je ne cherche pas à faire preuve d'un cynisme "à la française" au sujet de la possibilité de changer les choses, mais seulement de rappeler la subtilité d'action de l'inertie, qui a ses racines à la fois dans la haine de la pensée et dans la peur des responsabilités. Je mentionne ce genre de cynisme pour le désavouer, car il se fonde sur une mauvaise opinion de la nature humaine, que la psychanalyse a renforcée de plusieurs façons. Aussi bien l'instinct de mort stipulé par Freud, que le soupçon (je ne dis pas la certitude) de Mélanie Klein selon lequel c'est la destructivité qui est à la base de la soif de savoir, sont des façons de voir pessimistes.
Il est sûr que si notre vision du Monde devait dépendre de la lecture des journaux et des livres d'Histoire, ce regard ne pourrait être différent. Mais une promenade à travers un parc par un beau dimanche raconte une autre histoire, de même que la visite d'une usine en l'absence de tout conflit. Donnez une tâche à accomplir et les moyens d'y arriver, et alors les hommes, les femmes et même les enfants coopéreront gaîment, se sentant en harmonie avec le Monde et s'en émerveillant.
Il est vrai que cette façon de voir est un retour aux idées socratiques du Sage qui cultive son jardin, mais c'est une alternative à une option de désespoir.

On est bien là sur la voie d'une définition du sens de "tâche" et des conditions nécessaires pour y participer. "S'occuper de ses affaires" cesse alors d'avoir un aspect de repli sur soi, avec ses implications d'isolement, et prend des qualités dynamiques qui vont être précisées : le travail d'un être humain devrait concerner une tâche bien définie, à l'intérieur de laquelle il devrait être chargé des fonctions pour lesquelles son habileté et ses capacités le qualifient ; des modes de communication avec ses compagnons de travail devraient également être prévus dans un tableau d'organisation, établi d'un commun accord.

A tout moment, qu'on soit père de famille, capitaine d'un bateau, spectateur d'un film ou dans la salle d'attente d'un médecin, on est attelé à une tâche, qui comprend un rôle et des fonctions implicites.
On peut avoir un rôle de superviseur et agir comme tel, surveillant d'autres personnes qui accomplissent leurs propres fonctions dans leur propre rôle ; mais cela n'impose ni ne confère de rang plus élevé.
Il peut paraître prosaïque de s'intéresser à des critères tels que le rang, le rôle, le statut et les attitudes, car ceux-ci semblent être les parties les moins intéressantes de la structure d'une organisation hiérarchique.
Au-dessus d'elle en effet est "drapé" un fragile tissu de préséances et de cérémonials destinés à lui donner l'apparence de force et de stabilité d'une cathédrale. En fait, ce n'est rien d'autre qu'un échafaudage de privilèges. Celui-ci est superposé à une organisation plus obscure mais plus solide, à un groupe de travail dont on ne reconnaît l'efficacité qu'à contre coeur et en tant que prime à l'ancienneté.
L'esthétique d'un plan de ferme ou d'usine est bien plus subtile que celle des plans de temples ou de palais. C'est sur des mensonges fondamentaux que sont basés les récits historiques, et l'éblouissement que procure leur cérémonial n'aurait pas des conséquences aussi sérieuses si leur fonction essentielle de divertissement, était divulguée.
Mais dès lors qu'on les prend comme base pour créer des liens négatifs - ces liens sur lesquels sont fondées la fierté nationale ou n'importe quelle autre fierté d'Organisation -, alors on voit se produire la subtile perversion de ces émotions qui lient entre eux les être humains qui se sentent en sympathie avec les merveilles de la nature ; ils érodent aussi notre capacité de verser des larmes et de ressentir de la joie ou plutôt notre capacité de verser des larmes de joie.

Ainsi que le redécouvre la psychanalyse (par l'étude des perversions et des addictions), le mal qu'ils font à l'intégrité de la personne humaine ne doit pas être mesuré à la seule dérive vers la folie, mais aussi à la perte constante de vitalité de chacun d'entre nous.
Il en va de même pour n'importe quel groupe ; du "Groupe-du-Devoir-Accompli" à celui de la Nation. La guerre peut être son extrapolation ultime, comme le meurtre 1'est du jeu pervers, mais ce n'est pas encore là que se trouve son fardeau le plus lourd pour l'économie psychique aussi bien que pour l'économie d'un pays.

Nous en trouverons un prototype dans l'Armée de métier. Ce qui était autrefois impensable - sauf pour une poignée de" soldats de fortune" méprisés -, est maintenant devenu un fait gigantesque, tant du point de vue social qu'économique. Quelle folie ! Il s'agit d'une sorte de satanique clergé prédateur, respecté et admiré en proportion du degré de paranoïa de sa communauté; on n'a pas besoin de chercher bien loin "l'ennemi" !
Je ne nie pas que l'étude de l'histoire ne soit importante. Mais si sa fonction est de permettre une meilleure compréhension, alors cela doit se faire non pas par la révélation admirative de l'idiotie de nos aïeux, de leur cruauté et stupidité primitives, mais par le sentiment de honte que cela suscite en nous lorsque nous constatons que nous perpétuons les structures de privilèges et de tyrannie qu'ils ont mises en place.

Ce que nous accordons avec tolérance et patience à l'enfant durant son développement nous ne devrions pas le permettre au monde adulte.
Et pourtant, si on dépouille les Assemblées qui nous gouvernent de leur sophistication, elles ressemblent de façon terrifiante à une cour de récréation enfantine.
Le mémento de Rupert Brooke sur le "Grand Mensonge" doit être reconnu comme étant composé de tous les petits mensonges qui soutiennent le statut et le rang.

Bien sûr, le "Grand Mensonge" n'est que l'expression du non moins grand délire qui consiste à penser qu'un groupe est un organisme. Les humains ne sont pas des abeilles, des fourmis ou des termites, et peu importe ce que le roi de Brobdingnag peut penser de nous. Toutes nos actions peuvent être le résultat de pensées émotionnelles, de jugements ou de décisions et également de notre sens des responsabilités, si toutefois on se rappelle que la concrétude du "nous" est un délire.
C'est notre très grand malheur que ce délire, comme tout délire puisse être mis en scène avec une précision telle qu'il soit possible d'y apposer l'étiquette de"vérité".

J'ai, jusqu'à présent, essayé de retracer le rôle secret de la "magie" dans les organisations hiérarchiques à partir d'un plaidoyer pour la reconnaissance de ce concept en tant que force dynamique dans notre esprit et dans les relations interhumaines.

J'ai rappelé que la différence qui existe entre rôle et fonction dans ces groupes, démontre que le "Groupe d'Hypothèse de Base" telle que l'a découverte Bion, ainsi que la Mentalité de Base qui va avec, doivent être tenues pour justes.

J'ai aussi soutenu l'idée selon laquelle c'est par l'interaction de base que le rang et le statut perdurent, et j'ai insisté sur le fait quo la subtilité et la complexité des techniques d'irritabilité et d'insolence muette tirent tout leur pouvoir de coercition et de manipulation de l'impossibilité ou on se trouve de les décrire, ce qui les rend inutilisables comme pièces à conviction.

J'ai opposé tout ceci, peut être plus implicitement qu'explicitement, au fonctionnement du Groupe de Travail, à propos duquel j'ai réactualisé le concept de "l'Honnête Homme" du philosophe, mais en y introduisant de façon plus spécifique, un exposé concernant la tâche à accomplir.

Il est par conséquent nécessaire d'insister sur le fait que la structure hiérarchique des rôles, statuts et privilèges dépend, pour être viable, de la structure du Groupe de Travail, qui est occulté par ce tissus de hiérarchies. Le Décideur officiel ou le Comité peuvent opérer "magiquement" en prenant des décisions, puisqu'ils n'ont pas à s'occuper de leur finalité.
La "baguette magique" de ces processus rituels est généralement l'argent ; c'est par la manipulation du budget que la possibilité de contrôler la vie et la mort du "Groupe de Travail" est créée et maintenue.
Il est difficile de croire que l'argent n'est en fait qu'un simple système de comptage qui, s'il était honnêtement utilisé, serait uniquement de l'arithmétique. C'est l'usure, en effet, qui vient déformer toute cette simplicité, par indifférence au taux de l'intérêt usuraire. Et c'est l'usure qui transforme l'argent, de système de comptage qu'il était en produit de base.

Il est tout aussi inutile de tenter de standardiser l'argent en le rattachant à une marchandise comme l'or, puisqu'un pays peut en trouver dans son sous-sol, et un autre pas? L'or de Fort Knox ne rend pas le dollar plus stable que les autres monnaies, ni ne le rend plus proche d'un standard monétaire. C'est par le fait ­ fortuit ­ de la productivité soutenue de l'Amérique que cela se produit, et cela pourrait changer d'un moment à l'autre. Non, si ce n'était grâce à l'emprunt, le système fou qui consiste à vouloir stabiliser l'instabilisable n'existerait pas. Aussi le fait d'acheter une action à la Bourse est-il différent de celui d'acheter un titre de rente.
Partager le risque, avoir son mot à dire dans la conduite d'une entreprise, recevoir une partie de ses profits et risquer de partager ses pertes fait partie de la coopération humaine. Les titres, par contre, sont de l'usure.
Les tentatives futiles, faites pour stabiliser les cours contre quelques standards mythiques, ou appuyés sur un cours qui serait considéré comme un roc sur lequel tous les autres se reposent, serait tout à fait superflu dans un système purement arithmétique où chaque pays aurait seulement besoin de rendre public le montant de sa monnaie en circulation. Ceci pour que les autres se positionnent sur le marché de l'achat et de la vente de la monnaie des uns et des autres, pour s'en servir et non pour spéculer.
De même, l'intérêt du jeu pourrait être éliminé par l'abolition des marges d'achat des ventes conditionnelles, etc. Les gens qui veulent jouer ont beaucoup de possibilités de le faire, sans embrouiller le système économique.
Ainsi que déjà mentionné, nous revenons à l'idée que ce n'est pas l'argent qui est le mal dont nous souffrons, mais la possibilité "magique" de "faire de l'argent" sans avoir à exécuter un travail correspondant.

L'autre "baguette magique" du pouvoir est celle du monopole des promotions. Le clivage entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l'ont pas existe partout et à toutes les époques entre les aristocrates et les paysans, les gentilshommes et les clercs, les officiers et les soldats, les gestionnaires et les travailleurs, l'administration et les ouvriers agricoles, les étudiants diplômés ou pas, Adam et Eve...
Le pouvoir de retirer une personne de son groupe de travail pour la hisser dans la hiérarchie des privilégiés garantit que la sélection se fera sur la base de l'obéissance et que le terme "initiative" est un euphémisme pour désigner la capacité d'anticiper sur les désirs de ses supérieurs.

L'obéissance étant par essence de la docilité qui ne pense pas, on peut comprendre l'empressement d'un travailleur à participer à un système dont la fonction est, avant tout, conservatrice. On peut être sûr qu'il résistera à la pression constante vers le changement provoqué par l'impact des idées nouvelles, ainsi que de ce qu'implique leur mise en oeuvre.
Il n'est naturellement pas étonnant de constater qu'avec ce système de monopole du pouvoir, la menace d'altération fondamentale apportée au dit système par les concepts syndicaux ait fait long feu. Nous voyons arriver à présent l'apocalypse prévue : les membres unis des groupes de travail, des éboueurs aux professeurs d'université, paralysant le système hiérarchique.
La méthode qui consiste à élever les travailleurs les plus militants du rang des "obéissants" à celui des privilégiés, Cassant ainsi l'union entre radicaux et conservateurs, ne fait que ralentir le processus. Et le clivage entre le commandement et la base ne fait que refléter le clivage fondamental du pouvoir. Le pouvoir "magique" de donner des ordres commence à faire faillite quand le Groupe de Travail développe de techniques capables de saboter la structure même du pouvoir et les privilèges.

Lorsqu'on réalise que l'homme n'est que potentiellement un animal pensant, que ses capacités d'adaptation ne dépassent guère celles des autres animaux, on se trouve devant une découverte à double tranchant : elle "casse" la vision religieuse d'un ordre divin que viendrait troubler la méchanceté humaine, mais aussi la façon de voir des matérialistes, qui croient que l'homme est un animal super-intelligent, qui manie les données du jugement sur son super-ordinateur.
Que les éléments "sataniques" soient attribués au mal ou aux conduites agressives et destructrices, la nécessité d'un système de récompenses et punitions, qui sanctionne l'obéissance et la désobéissance est implicite (encore qu'il soit parfois difficile de dire ce qui est le plus récompensé ou le plus puni). Et la psychanalyse, parmi d'autres psychologies ou philosophies, n'a fait que bien peu de choses pour changer cette vision fondamentale de la condition humaine.

Toutefois, la découverte par Bion d'un clivage fondamental entre un comportement "avec pensée"et un comportement "sans pensée", qui inclut la distinction entre liens émotionnels positifs et négatifs, introduit une nouvelle clé, au sens de "nouvelle entrée" et au sens de "nouveau système tonal", qui concerne une certaine atmosphère de relations humaines dans les groupes et dans les familles.

Cette clé réside dans la prise de conscience que la fonction symbolique (ce besoin naturel de formation de symboles, qui est une activité particulière de l'espèce humaine) se forme sur la complexité de l'expérience émotionnelle de la beauté du Monde , au niveau esthétique.

Cela conduit à une révision totale de nos idées sur la souffrance psychique, la déplaçant de son épicentre "d'expérience de l'absence de l'objet gratifiant" vers un nouveau centre, celui de la disparition naissante de l'objet d'admiration et de crainte".
Toute l'expérience esthétique est bouleversée par cette émergence, comme nous le rappelle 1'"Ozmandia" de Shelley.
Rester statique n'est absolument pas dans la nature du monde ni dans la pierre, ni dans le papier imprimé, ni dans les enfants, ni dans les organisations.
Loué soit l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, et la folie d'Eve, et la ruse de Satan.
La représentation d'une réparation possible, tentée avec frénésie, mais sans succès, dans le vain espoir de garder le Jardin inchangé, est au moins aussi effrayante que le Pandémonium.
Tout ceci ne va pas manquer de susciter une forte résistance contre cette nouvelle et pourtant si vieille idée (que les Grottes de Lascaux nous montrent clairement) ; parce que cela requiert justement ce genre de changement catastrophique dont Bion nous a parlé.
Toutes nos idées, et les diverses façons de les mettre en oeuvre, ont besoin d'être révisées.
Mais je pense qu'il est facile de voir par où commencer par les méthodes que nous employons pour élever et enseigner nos enfants, ainsi que l'a montré une "parabole sur la confusion des temps".

Pour explorer le concept de privilège, plutôt que de partir du dictionnaire, je préfère rapporter, au hasard d'un discours impromptu, un certain nombre de phrases dans lesquelles le mot "privilège" ou ses dérivés apparaissent. "Ce n'est pas un droit, c'est un privilège", "C'est un privilège de vous rencontrer", "Un membre des classes privilégiées", "Les privilèges de bar", "En franchise par privilège", "Une relation privilégiée". Qu'ont donc de commun tous ces mots, qui leur donne un sens sans ambiguïté ? Je pense que c'est le fait que rien de tout cela n'a été gagné par le mérite, que tout soit advenu comme une grâce.
Le mot de "grâce" est particulièrement approprié, à cause de ses connotations religieuses et parce qu'il implique l'existence d'un être qui dispense la grâce. En outre, le point de vue religieux présente un aspect à la fois secret et apaisant, à savoir que les raisons du donateur sont impénétrables.
Dans le domaine de la religion, poser des questions sur la justice divine est une hérésie. Dans le domaine social nous avons aussi une question importante qui se pose, celle d'interroger non pas le donateur, mais le système qui l'a investi du pouvoir d'accorder la grâce, ce qui est un pouvoir dévolu à son rang.

(Dans le chapitre IV du livre "Studies in Extended Metapsychology", j'ai raconté le rêve d'une patiente cancéreuse où il était question d'une directrice de lycée qui, après avoir proposé un de ses professeurs pour l'honorifique décoration de l'O.B.E. (Order of British Empire) décida ensuite qu'il devait, au lieu de cela, recommencer sa formation professionnelle ; l'entraînement consistait, en l'occurrence, à se faire fracasser le crâne et couper la moustache. J'ai proposé l'idée que, dans ce rêve, les trois méthodes choisies : O.B.E., enfoncement du crâne et coupe de la moustache, représentaient l'octroi et l'annulation du privilège.)

Nous pouvons certes nous réjouir que 1'humanité ait fait, durant les deux derniers siècles, des progrès en ce qui concerne la réduction des privilèges, qui ont été réduits au profit des concepts de droit et de justice sociale. Mais un autre aspect des privilèges nous concerne encore : le privilège qui s'attache à la personnalité, tout particulièrement tel qu'on le voit fonctionner dans la vie de famille et dans la façon d'élever les enfants. Il ne sert à rien, dans ce cas, de minorer les privilèges parentaux en faveur du respect du droit des enfants, puisque la grâce et la protection continueraient à être octroyées. Les droits doivent être arrachés, ils ne peuvent être octroyés (cf. l'impossibilité d'un despotisme bienveillant). Une des grandes difficultés des discussions sur les privilèges est que les gens ont une conscience aiguë des privilèges des autres, mais aucune des leurs.
Leurs propres privilèges sont ressentis comme des droits, sont un dû dès qu'ils sont acquis, et considérés comme tels sans examen minutieux de la base sur laquelle ils s'appuient. Le meilleur exemple en est la famille Il n'est pas besoin de grandes réflexions pour savoir que porter un enfant peut être vécu, dans le meilleur des cas, comme une grâce, et dans le pire comme un fardeau non désiré (ce qui est de moins en moins le cas en Occident, depuis la contraception et l'IVG). La question de savoir si l'on a tiré le "bon numéro" ou non, doit être ajournée pour de nombreuses années - plus ou moins jusqu'à la majorité de l'enfant, encore que nous sachions qu'il faut beaucoup plus de temps pour pouvoir vraiment juger des résultats d'une éducation.
Je cite cet exemple comme étant le plus apte à montrer que seul un jugement à posteriori peut être équitable, quel que soit le cas particulier dont on s'occupe.
Pour moi, tout environnement capable d'aider quelqu'un à mener à bien ce qu'il désire est une sorte de grâce, dont le processus, d'une complexité infinie, trouve son origine dans la préhistoire.
De là provient la nécessité historique du socialisme, car il prône l'égalité des chances.
La réalisation de cette égalité des chances nécessite une révolution de notre façon de penser, qui doit abandonner l'idée d'arracher des droits, et par conséquent d'abolir des privilèges. Car ceci ne peut apporter à la société que des changements matériels. Cet arrachement et cette abolition ne touchent pas à l'essence de l'élitisme sur lequel sont fondés les aspects hiérarchiques - et par conséquent politiques - de notre culture, qu'il s'agisse de la famille ou de la communauté. L'égalitarisme est un chemin sans issue qui ne peut rien faire d'autre que se polariser, comme il l'a toujours fait, de façon globalisante.

Puisque je suis un inconditionnel de tous ceux qui veulent "échapper au fouet" et que je me réjouis des conquêtes qui ont été faites par les droits aux dépens des privilèges, je vois aussi cette courbe du progrès comme atteignant son asymptote, ce qui va nous obliger à faire un saut dans l'inconnu pour accéder à la prochaine étape de la justice sociale.
Ce saut se trouve dans les concepts de "grâce" et "d'égalité des chances" qui, comme le faisait l'idée contenue dans"tendre l'autre joue", doivent inclure le pardon, ainsi que l'idée de "donner une nouvelle chance".
En ce qui concerne la vie de famille, la grâce des enfants doit être gagnée par ce type de
dispenses d'amnisties et de pardons, quand cela est possible et, corollairement, en s'abstenant d'exiger l'obéissance et d'infliger punitions ou récompenses.
Pour pouvoir être entrepris au niveau du groupe social, un tel bond dans nos conceptions requerrait le même type de révolution que celui qui commence tout juste à prendre forme au niveau de l'éducation de nos enfants.

Traduction : Marie-Christine Choppy et Jacqueline Tricaud


Mots clés : Organisation, Hiérarchie, Groupes à Hypothèses de Base, Mentalité de Base, Tâche, Rôle, Fonction, Privilège.

Key-Words: Organisation. Hierarchy. Basic Assumption Groups, Group Mentality, Task, Role, Function, Privilege.  

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