Le compte-rendu en a été
établi d'après le livre du Professeur Franco Fornari :
"Psicanalisi della Guerra", publié par les Editions Feltrinelli
de Milan en avril 1966.
Ce livre est une reprise, revue et augmentée, de son "Rapport"
au XXVe Congrès des Psychanalystes de Langues Romanes, qui s'est
tenu à Milan au printemps 1964.
Il nous a semblé tout à fait intéressant de
donner un aperçu de ce livre (que peut-être beaucoup ne
connaissent pas) avec l'espoir d'inciter nos lecteurs à lire le
texte lui-même. Cet ouvrage traite en effet d'un thème
fondamental, et si la guerre paraît actuellement
s'éloigner de nous, il y en a hélas suffisamment ailleurs
pour que toute réflexion, surtout aussi profonde et pertinente
que celle de Franco FORNARI, mérite d'être mieux connue.
Mais ce livre ne se borne pas à étudier les raisons
inconscientes de la guerre ; bien qu'il n'en soit pas explicitement
fait mention, il nous a semblé que le mécanisme du deuil
paranoïaque, tel quo le décrit Franco Fornari, nous offre
une clé importante pour mieux comprendre les causes des
blessures que nous infligeons actuellement à notre Terre.
Dans son livre "Psicanalisi della Guerra", Franco Fornari nous propose
une idée originale : la guerre serait une élaboration
paranoïaque du deuil.
A partir des recherches de G. Bouthoul - sociologue inventeur de la
Polémologie -, Franco Fornari, s'appuyant sur les raisons
techniques, économiques, psychologiques et démographiques
de la guerre, en arrive à conclure que sa fonction essentielle
n'est autre que la destruction.
Il est notoire que les techniques de la guerre ont suivi et souvent
stimulé de nombreuses conquêtes technologiques de
l'humanité. Cela nous impose une première constatation :
l'agressivité s'exprime différemment selon qu'il s'agit
d'individus ou de groupes. Dans les guerres "d'autrefois", on se
battait entre individus, au moyen d'armes - épées,
glaives, lances - qui, impliquant une lutte "corps à corps",
s'apparente à un sadisme génital.
Puis vinrent les armes à feu avec leurs balles ou leurs obus
projetés, comme expulsés vers l'ennemi,
procédés qui suggèrent plutôt quelque chose
de l'ordre du sadisme anal. Nos armes actuelles, enfin, avec leur pouvoir de destruction radical, nous incitent à penser au sadisme oral dominé, comme nous le savons bien, par l'omnipotence et les angoisses d'anéantissement.
Cette évolution régressive ne nous surprend pas vraiment,
dit Fornari, puisque les recherches psychanalytiques nous ont appris
que les groupes sont toujours plus régressifs que les individus
qui les composent.
Toutefois, lorsque cette constatation s'applique à la guerre, et
que nous constatons que le développement technique des armes
entraîne une mobilisation des niveaux les plus archaïques du
psychisme, nous sommes incités à craindre, si nous nous
plaçons du point de vue de l'Inconscient, d'en être
désormais arrivés aux processus psychotiques.
Certes, la guerre a toujours fantasmatiquement fait appel au
sado-masochisme omnipotent, c'est-à-dire à
l'agressivité qui veut la destruction de l'Autre, mais ce n'est
qu'à présent que la réalité
extérieure peut réaliser les rêves les plus fous de
l'omnipotence infantile. Aussi devons nous admettre que la guerre est
à la fois un état normal et la maladie mentale de
l'homme.
Puisque la seule caractéristique démographique constante
et générale de la guerre est une augmentation de la
mortalité, Franco Fornari soutient (en s'appuyant sur les
travaux de G. Bouthoul) que la guerre n'est qu'un infanticide
différé. C'est ainsi que chaque civilisation (!) a
trouvé une solution originale pour arriver à ses fins :
· l'avortement et l'infanticide, comme dans l'ancien Japon, ou certains pays de Malaisie et
d'Océanie ;
· la création de conditions favorisant une forte mortalité infantile, qui est la solution
asiatique ;
· la guerre : solution européenne.
Cette constatation impose comme corollaire l'idée que la guerre,
en tant qu'infanticide différé, est directement
proportionnelle à la diminution de la mortalité
infantile. Les structures démo-économiques seraient donc,
suivant ce schéma, les racines de l'agressivité, tandis
que les idéologies et problèmes politiques ne seraient
que les superstructures ou, mieux, les instances exécutrices de
la fonction de destruction dévolues à la guerre.
Mais si l'on veut bien admettre que ces facteurs démographiques
ont une fonction de désinhibition de l'Inconscient, alors nous
pourrons accepter l'idée que la guerre est secrètement
désirée par les pères afin d'envoyer les fils
à la mort.
Bien plus, puisque le complexe de chronos (ce
père qui, dans la mythologie grecque, dévorait ses fils)
n'est autre que l'inversion du complexe d'OEdipe, on en arrive à
la conclusion que celui-ci (désir des fils de tuer les
pères) est le facteur inconscient qui déclanche les
guerres.
Ce qui est étrange, note Fornari, c'est que ces complexes, que
nous retrouvons sous une forme sublimée chez nos patients, ne
sont jamais mis en actes par eux, et que les symptômes
névrotiques, lorsqu'ils sont dûment analysés, sont
reconnus comme fantasmatiques, en tant que composants du complexe de
culpabilité. Mais à l'inverse,lorsque ce désir
d'infanticide est différé et projeté dans la
guerre il est,lui, bel et bien mis en actes.
Nous trouvons donc des pulsions identiques chez les névroses en
temps de paix et dans les groupes en temps de guerre, mais avec des
agencements différents, suivant qu'il s'agit d'individus ou de
collectivités.
Les premiers ressentent, sous forme de douloureux symptômes, la
culpabilité provoquée par des illusions sadiques pourtant
non actualisées, les seconds se glorifient de ces mêmes
pulsions réalisées.
Si nous nous attachons maintenant aux facteurs économiques, nous
constatons des faits tout aussi étranges : loin
d'accroître les ressources économiques des uns ou des
autres, la guerre se présente comme un temps de
prodigalité (ce qui est d'ordre purement psychologique), c'est
une sorte de "Potlach", c'est-à-dire une destruction solennelle
et rituelle de richesses (cf. Marcel Mauss).
Or la guerre, en tant qu'elle est fantasmée comme pouvant avoir
un solde économique positif, est comparée par F. Fornari
à ces états psychopathologiques que sont le jeu et la
toxicomanie.
En effet, dit-il, pas plus les peuples qui entrent en guerre que les
joueurs ou les toxicomanes ne peuvent se représenter la
défaite ; il existe certes dans ces trois cas une
possibilité objective d'obtenir en fin de compte un
bénéfice, mais ce qui est caractéristique, c'est
l'impossibilité, pour ces trois groupes, d'envisager la perte ou
la défaite.
De fortes pulsions sado-masochistes sont à l'oeuvre aussi bien
chez le joueur que chez le toxicomane, mais elles sont occultées
dans le premier cas par la représentation du gain, dans le
second par l'euphorie procurée par la drogue . Et nous savons
bien qu'une des façons de nier ces angoisses spécifiques
est de nier la réalité elle-même.
On peut donc penser que ceux qui donnent les problèmes
économiques comme cause principale de la guerre se servent
inconsciemment de cet écran pour masquer sa fonction
sadomasochiste de destruction.
Pour G. Bouthoul, les principaux aspects sociologiques de la guerre
considérée en tant que fête suprême sont :
· Permettre l'union des membres du groupe
· Etre un rite de dépenses et de gaspillage
· Modifier les règles morales
· Etre un rite d'exaltation collective
· Annuler la peur et la sensibilité physique
· Instaurer des rites sacrificiels.
Cette théorie sociologique recoupe donc la théorie
psychanalytique d'Abraham qui voyait dans la guerre une fête
totémique.
Fornari fait cependant remarquer que, lors de la fête
totémique, c'est le père qui est sacrifié, tandis
que dans la guerre, ce sont les fils qui sont visés. Pour les
peuples primitifs, le caractère sacramentel de la guerre est
intimement lié au culte de la mort ; et pour tous les hommes la
mort est porteuse d'une valeur absolue : elle est le critère de
la vérité. En effet, seul est vrai ce pour quoi
l'on meurt, de même qu'on n'attribue de réelle valeur
qu'à ce pour quoi on est prêt à mourir.
Une des caractéristiques de la guerre est l'idéalisation
du Chef et l'instauration du groupe (par ex. "les Belges" ou la
"Patrie", etc.) comme objet d'amour, ce qui nous ramène
inévitablement à l'objet d'amour originel : la
mère pour le bébé.
Mais alors, se demande Fornari, qu'est-ce donc qui conduit l'être
humain à créer des valeurs qui le conduisent à
s'imposer d'immenses sacrifices ou même à accepter comme
inéluctable sa propre destruction ?
Fornari se demande si c'est une pulsion masochiste qui nous y
contraint, et pour illustrer son propos, il raconte une anecdote
personnelle. Au cours d'un Congrès, il décrivit
l'expérience de Pavlov, qui avait amené un chien à
présenter une réaction jubilatoire à un
stimulus douloureux. Et il citait 1'exclamation d'un des
participants : "Je comprends enfin la psychologie des Saints"/
Cette conclusion provoqua une franche hilarité dans l'auditoire.
Mais , ajoute Fornari, lorsque je fis remarquer que cette
expérience expliquait encore mieux la psychologie des
héros, il y eut un silence gêné.
Il en conclut que nous sommes prêts à accepter le
diagnostic de masochisme lorsqu'il s'agit des idéaux
"dévalués" des autres, mais pas du tout lorsqu'il s'agit
des nôtres, qui sont au contraire, dans le même cas,
crédités d'une sorte de "survaleur".
En ce qui concerne les réflexes conditionnés qui forcent
le chien à accepter une position masochiste, nous pouvons dire
que le "primum movens" en est le besoin de nourriture, et donc que la
nourriture est pour lui la valeur absolue, celle qui conditionne toutes
les autres. Le stimulus douloureux est alors devenu pour le chien le
symbole de ce qui est indispensable, le bien suprême : la
nourriture.
Mais quel est donc, se demande l'auteur, l'équivalent humain de cet absolu qu'est la nourriture pour le chien ?
Eh bien, presque le même : la nourriture première, le
lait, don originaire maternel, absolu que l'homme porte au plus profond
de lui comme objet d'amour ; paradis dont il a autrefois joui, mais qui
est désormais perdu. C'est ce qui explique que l'aventure
humaine soit une quête constante, confiante ou
désespérée, afin de retrouver l'objet perdu.
C'est dans ces retrouvailles que semble prendre son origine la
nécessité si profonde qu'ont les hommes de se former en
groupes.
Les chiens comme les hommes se présentent donc comme liés
aussi bien à l'objet indispensable qu'à ses
représentations ; mais tandis que pour l'animal les
représentations sont très limitées, dans le
psychisme humain, "l'objet lait" se dilate presque à l'infini
dans ses symboles. Aussi le monde interne des humains est-il
peuplé d'une multitude de représentations
créées par sa vie affective : objets d'amour (liés
à la présence) et objets de haine (liés à
l'absence) qui donnent à notre vie psychique une énorme
extension.
Or si la prolifération des fantasmes donne sa richesse au
psychisme humain, il nous expose aussi, plus que tout autre animal, au
risque de la psychose
Franco Fornari examine alors ce qui en est de la guerre dans les
sociétés primitives, car elles nous offrent un
modèle éclairant.
Une des bases de la compréhension des processus de guerre nous
est fournie par l'étude des rites initiatiques, car ceux-ci ne
sont pas seulement des rites pubertaires, ils définissent
également le passage qui marque le détachement
définitif d'avec la mère et l'univers maternel, ainsi que
l'entrée dans le clan des mâles adultes. Ce sont eux aussi
qui marquent une nette séparation entre les sphères
féminine et masculine et l'attribution de tout ce qui concerne
la guerre aux mâles exclusivement.
Ces rites enserrent le jeune adulte dans trois nouveaux systèmes
de référence : ils leurs enseignent une totale soumission
au chef, ils les mettent en état d'accepter les douloureuses
épreuves infligées par les "pères" aux fils et ils
les initient à la guerre. Tout ceci indique clairement un
processus oedipien, dans lequel l'agressivité des pères
contre les fils est ritualisée, et celle des fils envers les
pères est rituellement détournée et
déplacée sur les ennemis.
Ces rites de mort-et-renaissance ont encore une autre fonction essentielle : ils
sont perçus comme mort/castration donnant la possibilité
de renaître dans le groupe. Le groupe prenant alors la place de
la mère.
Les rites initiatiques, là comme ailleurs, sont vécus
comme castration symbolique ; mais ce que les études des
ethnologues - ici G. Roheim - montrent clairement, c'est que la
défense du groupe contre ces angoisses de castration consiste
à défléchir l'agressivité suscitée
vers l'extérieur, vers l'ennemi ; en un mot, de faire la guerre.
L'équivalence guerrier/viril est partout ressentie, et chez la
plupart des peuples primitifs, on n'est vraiment accepté comme
Homme qu'après avoir tué un ennemi.
Tous ces faits (et bien d'autres fournis par Fornari) montrent clairement qu'il y a deux
équivalences : belliqueux = viril, tandis que non belliqueux =
féminin-châtré. (Dans plusieurs de ces
sociétés, l'homme sans armes est méprisé et
invité à "aller s'occuper des enfants").
Ceci nous permet de comprendre le peu d'enthousiasme qu'éprouvent les hommes pour le pacifisme : dans leur inconscient, l'arme équivaut au pénis et le désarmement à la castration.
Fornari se tourne alors vers le monde magico-religieux des primitifs,
pour nous initier à leur façon de vivre le deuil.
Pour les peuples primitifs, le monde est plein d'esprits et de
fantômes des ancêtres morts qui hantent la terre. Cette
constatation permet à Fornari de dire que tout ce monde
fantasmatique dans lequel vivent ces peuples est une élaboration
du deuil.
Les esprits sont, en effet, généralement conçus
comme des êtres malins ou hostiles, toujours prêts à
tourmenter les vivants. Ils sont donc perçus comme ambivalents,
puisqu'ils appartiennent à la fois à la tribu et aux
ennemis (persécuteurs).
Mais, parce qu'ils sont invisibles, les esprits sont beaucoup plus
terrifiants que les dangers réels. Il semble donc
préférable de projeter (momentanément) la
malignité de ces esprits dans les ennemis,car cela permet de
faire la guerre à des êtres humains qui peuvent être
vaincus et tués, ce qu'on ne peut espérer réussir
avec les esprits.
Les esprits ont donc en quelque sorte une arme absolue, et la religion
primitive apparaît comme une organisation de défense
contre un ennemi, invisible et omnipotent, qu'on ne peut transformer en
ami qu'à force de sacrifices. Les rites propitiatoires et
réparateurs de ces religions n'ont cependant pas assez de
puissance pour contenir longtemps les angoisses de persécution.
Ce n'est que par l'identification projective (c'est-à-dire en
projetant dans l'ennemi tout ce que l'on a de mauvais en soi) puis en
le tuant, que ces angoisses peuvent être maîtrisées,
suivant le modèle bien connu du bouc émissaire.
"Lorsqu'elle parvient dans l'autre monde - nous dit l'ethnologue
Thompson -, l'âme d'un Fidjien doit pouvoir se vanter d'avoir
massacré une quantité d'êtres humains et d'avoir
détruit beaucoup de villages : c'est en cela que consistent les
"oeuvres de bien" ; la religion des peuples primitifs, qui
considèrent le crime comme une vertu, exprime une imbrication
totale entre le Ça et le Surmoi ; d'ailleurs, au Paradis Fidji,
nous trouvons des Divinités telles que :
"l'Adultère", le Ravisseur nocturne de Femmes Riches", "l'Assassin" , "le Despote", etc.
Ces constatations ethnologiques peuvent choquer et scandaliser le "bien
pensant"de la culture occidentale. Mais si on y réfléchit
bien, on ne peut qu'être impressionnés par les
ressemblances entre la religion fidjie et la morale militaire.
Cette étrange situation qui fait se confondre le délit et
la vertu (guerres = pillages, mises à sac, viols, vols, plus ou
moins admis ou, en tout cas, mollement réprimés), nous
découvre avec évidence la singularité du
phénomène, son sens d'élaboration du deuil, ou
mieux encore, d'élaboration paranoïaque du deuil.
En effet, tandis que les rites expiatoires et les
cérémonies propitiatoires dédiés à
ses propres divinités doivent être entendus comme rites de
réparation (on agit alors envers ses Dieux comme si on les avait
soi-même offensés, ce qui explique pourquoi on les
encense, les prie, leur offre des sacrifices). Tandis que la
guerre/vertu, dans laquelle on châtie ses ennemis, (qui sont
aussi forcément les ennemis de ses propres Dieux), se fonde sur
la projection, par laquelle le peuple qui attaque prétend que
c'est l'ennemi qui a offensé ses Dieux et qui doit donc
être châtié.
C'est pour cette excellente raison que le meurtre d'un ennemi ou les
atrocités perpétrées envers lui deviennent
l'expression de la vertu, puisqu'ils ne sont que la JUSTE punition
infligée aux mauvaises parties (aux désirs interdits) des
attaquants, qu'ils projettent sur les "Autres".
Car les mauvais traitements infligés aux fils par les
pères au cours des rites de passage (d'initiation à la
guerre) vont par fois jusqu'à provoquer la mort. Ils induisent
le déplacement (Reik) et renforcent le désir des fils de
tuer les pères. Ceci conduit Fornari, ainsi que d'autres
psychanalystes et ethnologues, à considérer la guerre
comme une lutte contre les instincts parricides déplacés
et projetés sur les ennemis
Or nos guerres ne semblent pas, sur ce point précis, très
différentes de celles des peuples primitifs et peuvent
être considérées, elles aussi, comme une pure
aliénation mentale : la projection dans l'ennemi de nos propres
pulsions d'agression, l'Autre étant accusé d'avoir
attenté à nos croyances, à notre Dieu, ou à
nos fils et nos compagnes.
Que se passerait-il donc, s'interroge Fornari, si la paix s'installait
? A défaut de pays industrialisés où on pourrait
étudier une telle situation, il se tourne à nouveau vers
les "primitifs" et reprend les observations d'Eliane Métais sur
une tribu canaque après que la
colonisation blanche leur ait interdit la guerre. Il semble que la
privation de guerre ait provoqué au sein de cette tribu
l'apparition de profondes angoisses de destruction, fantasmées
non comme infligées par des ennemis ou par les blancs, mais bien
par leurs propres sorciers.
Autrement dit, l'impossibilité de défléchir vers
l'extérieur leurs pulsions d'agression aurait obligé ces
hommes à les garder en eux.
Ces pulsions agressives, à défaut de trouver un exutoire,
les auraient contraints à accepter leur destruction interne par leurs propres sorciers - autrement dit par eux-mêmes.
On ne peut qu'être surpris de constater que le danger le plus
inquiétant n'est pas celui que présente un ennemi
extérieur, mais bien celui, purement fantasmatique, de devoir
garder pour soi ses propres terreurs d'anéantissement, ses
propres pulsions de mort, et que cela, tout en étant normale,
peut être aussi qualifié de psychotique.
Lawves rapporte que les Motou de Nouvelle-Guinée ont une peur
panique de leurs voisins les Koïtapou, auxquels ils attribuent le
pouvoir de leur envoyer toutes les calamités possibles ; en
1876, les Motou perdirent une grande quantité de biens au cours
d'une tempête qui avait fait couler leurs pirogues. Ils en
accusèrent bien évidemment les Koïtapou et en
tuèrent un grand nombre ; en 1878, ils les accusèrent
d'une sécheresse dévastatrice et en tuèrent encore
beaucoup. La pluie étant tombée entre temps, les Motou
furent plus que jamais convaincus de la malignité de leurs
voisins et du bien fondé de leurs projections.
Ne nous hâtons pas de sourire, car l'Amé ricain (?!) moyen
ne se conduit pas autrement ; le gouverneur perd les élections
en cas de sécheresse, et le lynchage de Nègres suivait
autrefois de près la courbe du prix du coton. Les divers travaux
psychanalytiques, et notamment ceux de Freud, nous permettent de dire
qu'inconsciemment, nous croyons être, au moins en partie,
responsables de la mort de chaque être cher que nous perdons.
Même au niveau conscient, chacun s'accuse de n'avoir pas fait
ceci, d'avoir dit cela, de n'avoir pas..., etc. Or une des
façons les plus courantes de se laver d'une faute (réelle
ou fantasmée) est d'en accuser un autre, c'est-à-dire de
la projeter sur un autre.
En Albanie, par exemple, et dans bien d'autres lieux, si une personne
de son sang a été assassinée, toute la famille
perd son honneur et, pour le retrouver, a besoin du sang d'un des
membres de la famille de l'assassin, et pas nécessairement du
vrai coupable. L'honneur doit être lavé dans le sang. Et
Fornari remarque l'étrange similitude qui existe entre
l'angoisse de l'enfer, vécue comme exclusion de rapports avec
Dieu, et l'angoisse du déshonneur, vécue comme exclusion
de rapports avec sa société. L'une comme l'autre, dit-il,
sont des élaborations différentes de la même
angoisse originaire de séparation/abandon par son propre objet
d'amour, telle qu'elle est vécue dans les rapports entre un
bébé et sa mère, et revécues plus tard sous
forme religieuse ou sociale.
Il me suffit pour le moment, ajoute-t-il, d'avoir relevé le
rapport étroit qui unit la "vendetta à
l'élaboration paranoïaque du deuil et d'avoir
identifié la guerre à une élaboration
paranoïaque, destinée à éviter la souffrance
dépressive du deuil.
Lorsque Roheim compare la paranoïa européenne aux fantasmes
paranoïdes des primitifs, il indique que, pour ces derniers, la
réalité extérieure n'est pas indispensable :
lorsque, par exemple, un membre d'une tribu australienne est la proie
d'un délire de persécution, cela est souvent suffisant
pour déclancher la guerre. Autrement dit, son groupe offre au
délirant une guerre avec la tribu voisine pour lui permettre de
résoudre ses angoisses de persécution. Il lui offre, en
somme, une formidable psychothérapie en lui permettant de
projeter son délire dans la réalité
extérieure.
Dans sa forme la plus primaire la
société arrive donc à résoudre les
angoisses paranoïaques de persécution de ses membres, ce
qui permet d'occulter, en les socialisant, les folies personnelles de
chacun.
Toujours selon Roheim, il y aurait une bien plus grande
agressivité chez l'homme que chez n'importe quel autre animal,
fait qu'il attribue à la longue union duelle qui existe entre le
bébé et sa mère ; la nature humaine tend à
garder, sous forme de fantasme, ce qui ne peut l'être dans la
réalité. De là viendraient les
représentations de la société, fantasmée
comme un seul corps, dont les individus seraient les "membres". Ceci
fait évidemment référence au corps fusionnel
mère/bébé. Ce serait pour retrouver la
béatitude fantasmée de cette relation duelle, dit Roheim,
que l'être humain aurait un besoin fondamental de faire partie
d'un groupe (substitut de la mère), et c'est aussi pour cela que
l'étranger qui risquerait de détruire le groupe nous
apparaît toujours comme inquiétant : c'est l'ennemi
potentiel, celui qui pourrait détruire notre cocon protecteur,
de même que le premier étranger rencontré par le
bébé est le père, rival qui peut et même
doit le séparer de sa mère.
Franco Fornari recense alors les principaux écrits
psychanalytiques sur ce sujet. Ce sont les textes freudiens qui nous
donnent l'explication la plus profonde de l'instinct qui nous pousse
à faire la guerre,qui n'est autre que la pulsion de mort. On
peut en effet supposer qu'il existe d'autres moyens de résoudre
nos angoisses paranoïdes de persécution (elles-mêmes
dues à notre terreur d'une séparation
mère/bébé vécue comme mortifère) que
la mort de l'autre.
La guerre, pour Fornari, est la preuve la plus éclatante de la
pulsion de mort : c'est pour nous en débarrasser que nous la
projetons sur l'étranger, sur l'ennemi, car la garder en nous
conduirait à des actes d'auto agression ou à la
mélancolie.
Glover est ensuite mis à contribution, notamment en ce qui
concerne ses constatations au sujet de la régression infantile
des gens devant la menace de guerre.
Il avait, en effet, adressé - au moment de la crise qui
conduisit aux accords de Munich - un questionnaire à de nombreux
collègues en leur demandant comment leurs patients vivaient
cette crise politique. Malgré des différences mineures,
tous purent constater que, quel que fut l'état, très
pathologique ou névrosé/normal des sujets, tous vivaient,
sur le plan inconscient, les leaders (Churchill, Hitler, Goebbels,
etc.) comme des imagos parentales. Partant de là, Glover affirme
que nos fantasmes inconscients, qui utilisent les voies archaïques
de la pensée infantile, sont responsables de la confusion qui
s'instaure entre une pensée adulte (tenant compte des dangers
réels) et un mode de penser infantile qui privilégie les
périls fantasmatiques.
Et Glover de nous mettre en garde : là comme ailleurs, plus
les raisons de faire la guerre sont justes, légitimes et
vertueuses et plus elles nous permettent de nier la part irrationnelle
et inconsciente de nos motivations.
On voit bien aussi comment la propagande, en temps de guerre, a pour
but d'exporter la dépression (peur, doute) dans le camp ennemi,
permettant ainsi à son propre pays de faire l'économie de
la dépression de ses citoyens en projetant leurs peurs et doutes
sur les adversaires.
Fornari cite ensuite la théorie de Money Kyrle, selon lequel nos
difficultés guerrières ne proviennent, ni de nos
dispositions naturellement agressives, ni d'une particulière
méchanceté native, mais du fait que nous sommes
forcés de traiter la réalité extérieure par
des moyens psychotiques ; pour lui, ce qui pousse l'Homme à
faire la guerre, c'est une sorte de folie innée qui s'installe
dès l'origine entre lui et sa mère qui, à l'aube
de la vie, représente le monde entier. Cette disposition
particulière est facilement réactivée par les
gouvernants chaque fois que, pour une raison quelconque (de la plus
réelle à la plus imaginaire), les hommes sentent leur
patrie en danger. On ne peut négliger le fait que les soldats
veulent certes combattre pour leur "roi"et à l'appel du chef
mais ils veulent aussi défendre leurs enfants et leur femme. Et,
par-dessus tout peut-être, c'est leur terre-mère qu'ils
veulent mettre à l'abri de ce qui est ressenti comme une
souillure et comme un viol.
Si nous considérons tout cela du point de vue des groupes on
peut penser, comme le note Money Kyrle, que pour certains les relations
intergroupe relèveront toujours d'une lutte acharnée
(théorie darwinienne de la sélection de groupe), tandis
que pour d'autres la nature de l'homme étant toute de paix et de
fraternité, il serait normal que les groupes suivent le
même modèle. Autrement dit, les uns ne voient que
l'agressivité de l'être humain et les autres
l'idéalisent.
En fait, lorsque les pulsions d'agression engendrent un sentiment de
culpabilité, celui-ci peut donner naissance soit à des
pulsions de destruction, soit à des motions de
réparation.
Une des défenses contre le sentiment de culpabilité est
la projection, ce mécanisme qui consiste à dire : "ce
n'est pas moi qui ai fait cela, c'est l'autre". Aussi, lorsqu'on fait
la guerre, c'est l'ennemi vaincu qui doit payer pour toutes les fautes
: les siennes et les nôtres. Mais il y a une autre
défense, non moins dangereuse, c'est celle des pacifistes
intégraux qui, par peur panique de la violence - de leur propre
violence méconnue - sont paralysés, même quand il
s'agit de défendre une juste cause et ceux qu'ils aiment.
Money Kyrle a conscience de ce que peut avoir d'étrange, pour
certains, l'attribution de tant de pouvoir aux sentiments inconscients,
et que cela fait irrésistiblement penser aux dires des
religions. Il semble pourtant plus exact de penser que les religions ne
font qu'aménager notre sentiment de culpabilité : non
seulement le Christianisme, mais aussi les idéologies politiques
qui ont pris sa place, commencent par un mythe de la faute. Aucun
d'entre eux ne sépare la faute de la projection. Dans le cas du
péché originel, les coupables sont nos premiers parents,
dans le mythe de la " bonne nature humaine", telle que la
conçoit Rousseau (qui a encore une énorme influence
politique), on admet bien une "méchanceté" de l'homme,
mais celle-ci est induite par la Société. Il est fort
probable qu'une société meilleure améliorerait
l'être humain mais, tel qu'il est, le mythe ne sert qu'à
nier, sans le diminuer en rien, notre sentiment de culpabilité
On peut comprendre dès lors une des raisons pour lesquelles au
déclin des religions a correspondu une recrudescence des
idéologies politiques. Ces théories peuvent être
justes ou non, leurs militants n'en sentent pas moins qu'ils
préféreraient mourir que de les croire fausses, et ils
sont prêts à donner leur vie pour elles.
C'est de là que vient le danger des idéologies; s'il
s'agissait de théories scientifiques, donc vérifiables,
il serait facile de les mettre à l'épreuve et d'en tirer
les conclusions Mais, étant de l'ordre de la Foi, toute
tentative de vérification peut être ressentie par les
adhérents comme un attentat contre ce qu'ils aiment, et donc
provoquer ces angoisses dépressives que la Foi a pour but de
diminuer. Le doctrinaire sera toujours poussé à
élaborer sur un mode paranoïaque les résultats
tangibles de son système. En effet,la distance qu'il est bien
obligé de constater entre ce que prévoyait
l'idéologie et ce qui existe ne peut être correctement
appréhendé à cause de son idéalisation. Les
mauvais résultats seront donc attribués à la
malignité des "autres", devenus des persécuteurs. Les
"mécréants" sont dès lors hais, et toute la haine
que l'idéologue voulait éliminer du Monde grâce
à son idéologie, il la retrouve à
l'intérieur de lui-même. Il ne peut alors, pour s'en
libérer, que la projeter sur ceux qui "ne croient pas".
Comme nous l'avons déjà noté, les
idéologies prennent la place de l'objet d'amour perdu ; elles
permettent de nier la perte et le deuil. La crise qui les menace risque
donc de faire réapparaître les angoisses de mort qu'elles
étaient chargées de juguler.
La projection de la faute sur l'ennemi permet, à travers la
fête de la guerre, une élaboration paranoïaque du
deuil ; l'idéologie mènerait, au contraire, selon
l'auteur, à une élaboration maniaque du deuil, et il
donne un exemple du fanatisme idéologique, celui de l'axiome :
"Fiat justitia, pereat Mundus".
Le fait que son propre objet d'amour, ici la Justice, puisse être
imaginé comme existant encore lorsque le Monde entier sera
détruit, n'est possible qu'à travers un déni
massif de la perte/deuil.
A la fin de ce chapitre, Fornari s'élève contre les
thèses de Massermann et Anthony Leeds, qui nient les
hypothèses de la psychanalyse et pensent que la guerre est non
seulement indispensable, mais même facteur de progrès, par
ses vertus adaptatives, internes et externes, puisqu'elle permet la
diffusion de la culture, l'augmentation de la variété
génétique, etc. La destructivité de la guerre
permettant une autorégulation qui rend possible l'instauration
de nouveaux équilibres.
Il semble donc très difficile, pour Leeds et ses disciples, de
se passer de la guerre. Fornari, s'appuyant à nouveau sur le
traité de Polémologie de Bouthoul, réfute ce genre
d'affirmations et ajoute qu'à force d'oublier que ce sont des
êtres humains qui font la guerre et en souffrent, on en fait un
objet d'études abstrait. Pour inquiétantes que soient ses
propres conclusions de psychanalyste, il pense qu'en replaçant
dans le sujet lui-même les raisons de la guerre et celles des
ravages causés par les idéologies, nous avons de
meilleures chances d'en comprendre le sens, peut-être même
d'en combattre les effets.
La thèse de Leeds semble confondre une nécessité
d'intégration entre la paix et la guerre avec celle d'une
intégration entre Eros et agressivité ; or ils sont l'un
et 1'autre présents, aussi bien dans la paix que dans la guerre.
C'est donc par une diminution de leur clivage qu'un nouvel et meilleur
équilibre, à l'intérieur de chacun d'entre nous pourrait être trouvé.
Fornari s'intéresse alors à la fondation des groupes et
à leurs fonctions. Cette étude à pour objet la
compréhension du comportement d'individus singuliers lorsqu'ils
sont incorporés dans une entité collective. Depuis
l'Antiquité, le groupe est décrit comme
l'émergence d'une unité, faite d'individus multiples, et
il est métaphorisé comme "des membres qui s'unissent pour former un seul corps".
Dans "Psychologie Collective et Analyse du Moi", Freud a montré
l'importance des processus d'identification, les comparant à
ceux de l'hypnose. Ceci nous conduit à entrevoir, au-delà
de l'identification introjective, le processus d'identification
projective, tel que l'a découvert et défini
Mélanie Klein et sur lequel ses disciples insistent tout
particulièrement.
Destinée à nier la perte, la récupération
fantasmatique de la mère perdue, par la médiation du
groupe, se rapporte à ce que Fornari a appelé
l'élaboration maniaque du deuil. En effet, tandis que dans les
rapports individuels, c'est le corps de l'autre qui fonde
matériellement sa présence, dans le groupe les individus
sont en rapport avec un "corps mystique" qui le fonde.
Il s'agit donc d'un corps fantasmatique qui, à travers la
mobilisation des émotions et des angoisses originaires, est
revécu comme avait été autrefois vécu celui
de la mère.
Ce qui semble constituer la spécificité de
l'expérience sociale,c'est l'utilisation, par un sujet, d'autres
individus faisant partie de la même expérience collective
pour se défendre contre des angoisses inconscientes. De plus, le
critère de vérité de ces expériences est
validé bien plus par l'accord de ses membres que par la
recherche d'une réalité extérieure.
Car le deuil ne trouve pas sa
réalité émotionnelle dans le monde
extérieur, mais dans le monde interne. Autrement dit, il ne
s'agit pas d'un problème de la réalité
concrète mais d'un problème de culpabilité
fantasmatique.
L'expérience sociale apparaît donc comme dominée
par une "unité plurielle" et une solidarité de type
"symbiotique-narcissique" (il s'agit de ce type de rapport particulier
pour lequel l'autre n'existe pas comme objet séparé et
autonome, mais comme partie d'une unité, duelle ou plurielle, ou
encore comme image spéculaire).
Cet état fusionnel la conduit à se prendre
elle-même comme unique critère de vérité.
C'est une situation de type autistique - autrement dit psychotique -
qui trouve sa preuve la plus évidente dans le
phénomène "guerre". Puisque le fantasme du groupe est
d'être capable de recréer la dualité parfaite
mère/enfant, et bien qu'il rende toutes sortes d'autres services
très réels à ses membres, il finit, à
un moment ou à un autre, par conduire le groupe entier vers des
buts fantasmatiques avec une formidable et dangereuse puissance.
En effet, puisque les systèmes narcissiques-symbiotiques ne
peuvent accepter la vérité que lorsque celle-ci
coïncide avec la leur, toute autre configuration, qui pose 1'Autre
comme différent, est perçue comme une menace de
destruction de sa propre vérité.
Il devient dès lors nécessaire de détruire
l'Autre, porteur de cette vérité différente et,
comme telle, destructrice.
De nos jours encore, où le "Jugement de Dieu" n'existe plus,
deux groupes qui entrent en guerre s'en remettent au meurtre pour
décider qui, des deux, "a raison". Car le critère de
vérité est celui-1à (on n'a encore jamais vu un
vainqueur faire des excuses au vaincu ni reconnaître que
c'était celui-ci qui avait raison).
Un tel processus, sadique, semble justifier l'idée d'une sorte
de fusion entre les trois instances : Ça, Moi, Surmoi,
configuration qui désigne la psychose.
Pour terminer, je voudrais transcrire ici une expérience vécue par Money Kyrle et rapportée par Fornari.
Money Kyrle décrit l'ambiance d'une assemblée d'Allemands
haranguée par Goebbels et Hitler : les deux orateurs disaient la
même chose, sans paraître ennuyer l'auditoire. Comme pour
le "Boléro" de Ravel, la répétition semblait en
augmenter l'effet émotionnel. Money Kyrle réussit, avec
bien du mal, à garder son équilibre psychique et à
ne pas s'identifier à cette foule qui lui apparut, dès
lors, comme un super individu terrifiant.
Pour Money Kyrle, les paroles prononcées étaient sans
grand intérêt, mais leur impact sur la foule était
impressionnant. Les individus semblaient perdre leur
individualité et devenir un monstre obtus mais très
puissant et capable de tout. Un monstre sans raison, mais avec des
pulsions très fortes, excitées par deux ou trois "notes",
toujours les mêmes, quel que soit l'orateur : pendant dix
minutes, il parlait des souffrances de l'Allemagne, et la foule-monstre
vivait une orgie d'auto-compassion. Puis on avait dix minutes de fureur
contre les Juifs et les sociaux-démocrates,
désignés comme responsables de cette souffrance. A
l'auto-compassion succédait alors la haine ; et on sentait la
foule-monstre devenir homicide. Après cela, dix minutes pour
exalter le parti nazi et sa montée en puissance, et la
foule-monstre se sentait omnipotente. A ce moment-là, Hitler
invitait l'Allemagne à s'unir et dans la foule, on sentait
monter la note masochiste.
Hitler alors se taisait, et dans ce silence mortel, sa voix disait :
"L'Allemagne doit vivre, même si nous, nous devons mourir pour
elle." Et la foule-monstre était prête pour le sacrifice.
Le très beau livre de Franco Fornari ne s'arrête pas
là, mais comprend encore un important chapitre (qui ne sera pas
étudié dans les limites de ce compte-rendu) dans lequel
il examine, toujours du point de vue psychanalytique, la situation
créée par la possibilité d'une guerre atomique.
Il y parle, entre autres, des paradoxes de l'ère atomique ; de
la nécessité de la haine dans les groupes, alors qu'elle
n'est pas fatale pour les individus ; il réévalue le sens
de la faute et la part de responsabilité de notre Inconscient
dans la guerre et il y propose enfin une solution alternative aux
conflits.
Un copieux appendice, dans lequel il répond aux intervenants du XXVe Congrès des
"Psychanalystes de Langues Romanes" clôt la "Psychanalyse de la Guerre".
Traduction Gabrielle Rubin et Elsa Bonan.
Résumé
La guerre pourrait bien être une élaboration
paranoïaque du deuil, une trouvaille de l'Inconscient pour
résoudre l'insupportable douleur qu'éprouve le
bébé lors de sa séparation d'avec la mère.
Fornari montre que le Groupe vient prendre la place de la mère
et projette sur l'ennemi - défléchit à
l'extérieur - toutes les angoisses de persécution
induites par ce deuil chez ses membres. Le Groupe s'offre en somme (ou
offre à un de ses membres) une féroce
psychothérapie qui calmera - pour un temps - son délire.
Summary
The war could well have been a paranoic working over of mourning, a
stroke of inspiration of the unconscious to resolve all the unbearable
pain that the baby experiences when separated from the mother.
Fornari shows that the group, taking the place of the mother, and
projecting on the enemy - throwing outside - all the anguish of
persecution induced by the mourning of its members.
The group offers in short (or offers to one of its members) a ferocious
psychotherapy witch will calm - for some time-its delirium.
Mots clé : Deuil, Guerre, Projection, Complexe d'Oedipe, Groupes, Agressivité,
Identification, Identification projective.
Key-Words: Mourning, War, Projection, Oedipus Complex, Groups, Aggressivity,
Identification, Projective Identification
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