Psychanalyse dans la Civilisation
Accueil
N° 1 octobre 1989
N° 2 juin 1990
N° 3 novembre 1990
N° 4 mai 1991
N° 5 novembre 1991
N° 6 mai 1992
N° 7 octobre 1992
N° 8 juin 1995
Contact
inalco
A nos lecteurs

De nombreuses et amicales lettres de lecteurs m'incitent à mieux expliquer les buts que j'espère atteindre dans cette Revue. Quelques-unes de ces lettres sont publiées à partir de la Page 84, car je pense que rien n'est plus important que la communication qui s'établit entre les auteurs d'un texte et ceux qui le lisent. Les lecteurs qui nous font l'honneur et le plaisir de nous écrire nous apportent souvent des points de vue, des idées, des renseignements, etc., du plus haut intérêt,et les éloges ou encouragements qu'ils nous offrent sont pour nous extrêmement stimulants

Je voudrais, en premier lieu,bien préciser que la Psychanalyse en général, et cette Revue en particulier, n'ont aucunement le fantasme de tout expliquer par leur discipline.
Celle-ci n'occupe qu'une petite place (même si nous la croyons très importante) parmi toutes celles qui tentent d'expliquer le Monde. La Psychanalyse n'a pas non plus la vanité de se prendre pour "La Voie Royale des Sciences Humaines"; elle n'est que celle de l'Inconscient, et c'est déjà beaucoup.


Mon souhait serait que les diverses disciplines des Sciences Humaines fassent d'abord connaissance les unes avec les autres là où ce n'est pas - ou pas encore - fait, puis s'entraident, enfin se fécondent et s'enrichissent mutuellement. Car toute tentative d'hégémonie ou tentation de fusion serait (là comme ailleurs) appauvrissement, stérilité et, in fine, mort psychique.

On me demande aussi si l'on peut vraiment passer des "mécanismes intérieurs d'un individu aux mécanismes collectifs". Eh bien je l'ignore, et un des buts de cette Revue est justement d'essayer de le savoir. Freud l'a pensé, et il était un génie ; mais cela ne nous dispense nullement - et au contraire - de continuer à nous interroger.

Ce que nous tentons de faire ici, c'est de la Recherche Fondamentale - sur ce qui peut-être existe, et peut-être pas : un Inconscient des Civilisations et des Cultures (le titre dont s'inspire notre Revue : "Malaise dans la Civilisation" est dit en allemand : "Das Unbehagen in der Kultur").

Nous ne savons évidemment pas à quoi pourront servir nos recherches, ni même si elle serviront à quelque chose. Mais, comme me le disait quelqu'un à qui je dois beaucoup de ma formation : "Pouvons-nous savoir dès sa naissance ce que deviendra plus tard un Bébé ? C'est une réponse fort pertinente, aussi bien pour les bébés que pour toute Recherche Fondamentale.

Bion écrit : "Les Sociétés n'ont pas encore été poussées à chercher la guérison de leurs troubles psychiques par des méthodes psychologiques parce qu'elles n'ont pas encore acquis une conscience suffisante de la nature de leur mal". Et : "Si l'on pouvait démontrer que les malheurs d'une communauté sont le sous-produit de sa névrose, cette dernière apparaîtrait comme méritant d'être étudiée et attaquée par le groupe tout entier" (Recherches sur les Petits Groupes).

Pour moi,j'ai plutôt tendance à croire que les pulsions qui troublent les Sociétés ressemblent, peu ou prou, à celles qui agitent l'individu. Certains détails (qui m'apparaissent comme révélateurs) m'y incitent : si par exemple on écoute ceux qui sont face au public, comédiens, artistes, orateurs, on se rend compte qu'ils en parlent non comme nous, c'est-à-dire comme du rassemblement d'un nombre variable d'individus (de quelques dizaines à plusieurs milliers) mais comme d'une entité qui a sa vie, ses émotions propres. Or celles-ci ressemblent fort aux nôtres ; ceux qui s'adressent à un Public disent de lui : "Il était gentil ce soir" ou "Il était odieux et froid " ; ou encore : "Il était très gai et il comprenait toutes les allusions du texte", etc.
Les sondages nous montrent que des groupes importants de citoyens ont des comportements semblables aux mêmes moments.
Devons-nous penser que les motivations qui les déterminent sont exclusivement du domaine du rationnel, ne contenant nul affect et nulle pulsion ? Cela me semble bien improbable, mais il est vrai que nous ignorons encore presque tout de ce qui permettrait le passage de l'individu au groupe...

Je dois aussi affirmer ici avec toute la force nécessaire que ce qui est entrepris dans cette Revue n'est pas une psychanalyse ; il n'existe qu'une sorte de psychanalyse, celle qui se pratique sur le divan (ou parfois en face à face) et mobilise le transfert d'un patient et le contre-transfert d'un analyste.
Ce que nous désirons faire, c'est de la psychanalyse, c'est-à-dire nous servir de la théorie analytique pour mieux comprendre la Civilisation et/ou la Culture qui est la nôtre. Ou peut-être vaudrait-il mieux dire que nous utilisons LA psychanalyse pour nos recherches fondamentales, un peu comme d'autres sciences utilisent les mathématiques pour les leurs. Il me semble en effet que toutes les sciences qui s'occupent des Hommes auraient avantage à tenir compte de leurs pulsions et des sentiments inconscients qui les gouvernent en grande partie.
Il est clair que ni moi-même , ni aucun des Auteurs de cette Revue n'avons mis de Civilisation sur notre divan, et qu'il ne saurait y avoir de transfert, cette pièce maîtresse de toute psychanalyse.
Mais, comme les patients, la Civilisation parle et écrit, joue, rêve, fantasme... et, pour ce qui nous regarde, le contre-transfert ne manque pas.

Un autre reproche amical concerne "La Mélancolie de l'Occident" : "Vous défendez une thèse qui s'appuie sur des faits, bien réels, mais qui sont le résultat d'un choix dans un ensemble plus vaste. Il serait possible d'en choisir d'autres et de défendre une thèse très différente" m'écrit un ami.

J'en suis tout à fait d'accord ; je ne prétends en aucun cas ni détenir ni exprimer la Vérité (y en a-t-il une ?), mais seulement proposer à l'attention des autres chercheurs une hypothèse possible. J'irai plus loin, non seulement je ne pense pas détenir la Vérité, mais je ne le souhaite en aucune façon : je pense que rien ne serait plus réducteur et plus stérilisant qu'une unanimité des analystes sur leurs hypothèses. Là où leur unanimité me semble être nécessaire, c'est sur le Corpus Théorique que nous a proposé Freud, et sur les trois points qu'il jugeait fondamentaux : l'inconscient, la sexualité infantile, le complexe d'OEdipe.

D'ailleurs, n'en est-il pas également ainsi dans nos psychanalyses? Parmi la masse d'associations que nous propose un patient, notre "attention flottante" en sélectionne quelques-unes, qui susciteront notre interprétation. Celle-ci se fait suivant les paroles du patient, ce que nous savons de lui par ce qu'il en a dit depuis le début de son analyse, par notre contre-transfert, etc. Mais aussi, inévitablement, suivant nos choix théoriques. Nous savons bien qu'un autre analyste eût fait d'autres interprétations, et pourtant une aussi bonne analyse

Et, pour terminer, une citation de Freud : "... Nous ne nous dissimulons nullement toutes les incertitudes inhérentes à nos suppositions et toutes les difficultés auxquelles se heurtent nos résultats"... Mais ..."Nous postulons l'existence d'une âme collective dans laquelle s'accomplissent les mêmes processus que ceux ayant leur siège dans l'âme individuelle "

© Inconscientetsociete.com - Tous droits réservés
Aide en réalisation http://www.aideordi.info